Je suis une jeune scrabbleuse

Je parie que vous connaissez le Scrabble, et pour cause : c'est l'un des jeux de société les plus connus en France.
De nombreuses familles en possèdent un chez elles et pratiquent plus ou moins régulièrement. Vous-même vous lancez-vous peut-être à l'occasion dans une partie entre amis, et les expressions "mot compte triple" ou "lettre compte double" ne vous sont pas étrangères.
Mais connaissez-vous le duplicate ?

Le duplicate est "une façon de jouer qui bannit toute notion de hasard et de stratégie."
Un nombre illimité de joueurs peuvent s'affronter dans une partie lors de laquelle chacun joue sur sa propre grille.
À chaque coup, un arbitre effectue le tirage des lettres et chaque joueur pioche les lettres annoncées.
Ensuite, chacun cherche sur son jeu le meilleur coup à jouer, le plus rémunérateur en terme de points.
À la fin du temps réglementaire, chaque joueur remplit un bulletin comportant sa solution et le nombre de points correspondant. Les bulletins sont ramassés puis corrigés par des arbitres qui vérifient la validité des mots joués et attribuent les scores obtenus pas chacun.
Enfin, l'arbitre annonce le "top", c'est à dire le meilleur coup et chaque compétiteur le place sur sa grille, qu'il l'ait trouvé ou non. Ainsi, tout au long de la partie, les joueurs ont la même grille et réfléchissent avec le même tirage de lettres.
Dans cette façon de procéder, plus personne ne se lamente sur ses mauvais tirages ou sur son manque de chance, personne ne joue pour bloquer la grille et empêcher les adversaires de prendre les bonnes places : chacun s'efforce à chaque coup de marquer le plus de points possibles.

Olivier Papleux nous immerge dans une compétition de scrabble duplicate, entremêlant l'histoire personnelle de l'héroïne et son parcours dans le tournoi.
Cinq parties se succèdent, tels les cinq actes d'une tragédie grecque, jusqu'au grand prix final et le tout donne un petit roman drôle et très bien écrit.

En tant que scrabbleuse passionnée j'ai adoré retrouver l'ambiance qui règne lors des différents festivals.
Eh oui, il y a des "festivals" de scrabble, successions de tournois qui se déroulent sur une semaine ou plus, ceux de Vichy et d'Aix-les-Bains étant parmi les plus connus des compétiteurs.
Ces festivals sont l'occasion de retrouver des amis scrabbleurs de tous horizons, d'enchaîner les parties et de vivre des journées intenses.
Que font les joueurs avant le début d'une partie ? Ils parlent scrabble.
Que font-ils lors des pauses entre les différentes parties, y compris la pause déjeuner ? Ils parlent scrabble.
Que font-ils en fin de journée ? Ils parlent scrabble.
Chacun évoque les mots qu'il a trouvés, ceux qu'il a ratés, ceux qu'il n'a pas osé jouer car il n'était pas sûr de leur validité...
Les scrabbleurs parlent de scrabble !

Par la concentration intense et la réflexion poussée qu'il exige, le scrabble duplicate est un sport cérébral qui n'a rien à envier au bridge ou aux échecs.
Il existe de nombreux clubs partout en France, n'hésitez pas à franchir la porte de l'un d'eux : en général on vous proposera de faire quelques parties d'essai.
Si cela vous plaît, vous rentrerez dans un univers fascinant et merveilleux.
Un univers de mots, de ruse, de conjugaisons et d'anagrammes magiques.
Et si vous avez de la chance comme moi, vous vous ferez de nombreux amis avec qui partager cette passion des lettres, au quotidien et en compétition.

Qu'un SOIGNEUR vous mène à la GUÉRISON, quoi de plus logique ?
Pensez-vous qu'un PARISIEN ait besoin d'ASPIRINE ?
Et que diriez-vous d'une ÉTREINTE pour l'ÉTERNITÉ ?

Si vous êtes curieux, si vous aimez jouer avec les mots, jetez-vous à l'eau et venez découvrir le scrabble duplicate. Mais avant cette découverte, commencez déjà par lire ce court texte fantaisiste et jubilatoire, vous passerez un excellent moment.

Cet Opuscule est un régal. Il nous fait entrer le temps d'un tournoi dans l'univers du Scrabble de haut niveau. A priori, ce sport ne semble pas propice aux passes d'armes spectaculaires ni aux suspenses haletants. Pourtant, Olivier Papleux parvient à nous tenir en haleine de sorte que l'on ne parvient pas à lâcher la nouvelle avant d'en connaître le dénouement.
Comme dans la vie du scrabbleur de compétition, toute l'attention du lecteur est accaparée par les joutes qui se succèdent jusqu'au « grand chelem » final. Pourtant, on voit petit à petit se dessiner en filigranes l'histoire d'une vie, celle d'une scrabbleuse de talent dont l'existence est traversée depuis l'enfance par une faille dont elle ne parvient à déterminer ni la nature, ni les contours.
Toute la subtilité de cette nouvelle est d'instiller dans notre esprit une interrogation : et si notre existence n'était qu'une partie de scrabble ? Et si l'énigme de la vie n'était rien de plus qu'un tirage de sept lettres dépourvu à première vue de toute signification ? Et si la destinée humaine consistait à en explorer toutes les combinaisons pour tenter d'en déchiffrer le sens ?
Tel est, en tout cas, le destin de l'héroïne. Au terme du tournoi, elle parvient enfin à placer dans l'ordre toutes les lettres de l'anagramme de sa vie. Scrabble !

Les éditions Lamiroy ont eu une idée géniale : publier des nouvelles (5000 mots) selon une périodicité hebdomadaire, sous forme de mini-livres de 40 pages, format 10 x 14 cm, sur du beau papier, couverture sobre et prix modique. J'ai découvert avec surprise l'existence de cette collection “opuscule”, riche de plus de 250 titres, lors d'une rencontre avec le nouvelliste Brice Gautier à la librairie Lettres à Croquer (Villeurbanne). Brice Gautier présentait son recueil Même pas mal (Quadrature), et a aussi été publié chez Lamiroy. Il se trouve que l'auteur est villeurbannais, tout comme le rédacteur de ces lignes, et que le récit de Je suis une jeune scrabbleuse commence à Villeurbanne. Il se trouve aussi que je suis l'éditeur de Villeurbanne, on t'aime !, un tour de ville de Bernard Jadot illustré par Mathilde Garcia, livre dans lequel est évoqué – comme dans celui que je chronique – l'anagramme de Villeurbanne, soit “invulnérable”. Il se trouve enfin que, dans les années 1980, j'avais participé à des compétitions de Scrabble, à un niveau resté modeste. Ces parties dites “duplicate” étaient absolument épuisantes, avais-je trouvé, parvenant au mieux à 70% du “top” évoqué par Olivier Papleux.
Bref, je ne pouvais qu'apprécier cette histoire de 5000 mots, joliment conçue et surtout très drôle. Elle mérite sincèrement une lecture, quand bien même vous n'auriez pas le même “CV” que le signataire de cette chronique…