Cette étude se rattache avec une nécessité impérieuse, logique autant que chronologique, à celles qui la précèdent. On s'est demandé, dans les études antérieures, ce qu'a été l'idéal antique, puis l'idéal chrétien; on a évoqué devant vous le Sage de la Grèce et de Rome, et le Saint du Moyen âge. Or, notre XVIIe siècle marque le plus vigoureux effort de conciliation, de fusion entre ces deux conceptions diverses, entre la sagesse antique et la sainteté chrétienne.
La leçon précédente pourrait se résumer en peu de mots: la morale chrétienne suppose avant tout la distinction du surnaturel et de la nature. La nature humaine est incapable d'elle-même de s'élever au devoir moral et surtout à la poursuite des fins que la révélation assigne à l'homme. Par conséquent, sans l'intervention continuelle de Dieu et sans cette espèce de travail du surnaturel sur la nature, qui s'appelle la Grâce, l'homme est égaré dans la vie du monde, et il est bien incapable d'atteindre sa fin véritable, selon la religion.
Si nous avons analysé fidèlement l'esprit général de ce temps, nous pouvons comprendre maintenant l'idéal de l'homme de bien tel qu'il le conçut ; car, dit Descartes dans une de ses lettres à la princesse Elisabeth, « un homme de bien est celui qui fait tout ce que lui dicte la vraie raison ». On l'appelait alors « l'honnête homme ».
L'idée maîtresse de cette sagesse, c'est l'idée d'un ordre universel, rationnel et nécessaire ; le bien suprême pour l'homme, c'est l'obéissance joyeuse et consentie à cet ordre, une fois qu'il a été compris par la raison. Le point de vue des doctrines religieuses est inverse : c'est une conception dramatique, de l'univers ; elle comporte une suite de crises successives, où la décision libre et imprévisible de l'âme joue le plus grand rôle ; loin d'accepter l'ordre du monde, on le considère comme un résultat d'une faute de l'âme, qui doit faire effort pour y échapper.
Le problème que se posaient ces hommes, était le problème du bonheur. Il s'agissait de savoir si l'homme, par ses propres forces, peut échapper à tous les maux, à l'erreur, à l'incertitude, au regret, au repentir, au chagrin, à l'ignorance, à la pauvreté, à l'esclavage, à la maladie, à la misère, aux insultes, à tous les maux enfin qui pouvaient menacer l'homme à cette époque. L'homme peut-il obtenir un bonheur indéfectible, indépendant de toutes les circonstances extérieures, de tous les changements aussi bien naturels que sociaux ?