Le sentier des reinesAnthony Pastor
BD
Casterman, 120p +quelques précisions pour finir, 2015
La couverture montre un chemin enneigé. Il semble y avoir du vent. La route est difficile. Une femme, à l'avant, tient un bâton pour faciliter la marche, et porte dans le dos une balle. A l'arrière, se tient une autre femme avec un bagage à l'épaule. Au centre, un mulet lourdement chargé est conduit par un jeune garçon. C'est cet enfant-là qui fait office de narrateur à la première personne. Il accompagne les deux femmes, ses reines, qu'il admire , la plus âgée, Blanca, pour sa détermination, l'autre, la belle-fille de la précédente, Pauline, pour sa beauté, qu'il aime en secret. Il se sent très bien avec elles deux.
L'action se passe en Savoie, dans la Tarentaise, en 1920. Les deux femmes sont veuves, non pour avoir perdu leurs maris et leur fils à la guerre, mais les hommes, des colporteurs, changés par les horreurs des combats, sont morts emportés dans une avalanche, ainsi que les deux parents du garçon, Florentin.
Blanca décide de faire du colportage, pour gagner un peu d'argent. Les hommes de la famille pensent que c'est un travail d'homme. Et pendant la guerre, n'ont-elles pas remplacé les hommes, n'ont-elles pas fait leur travail ? Les femmes s'exposent à de grands dangers, la neige, la fatigue, la faim, les mauvaises rencontres dont un poilu ivrogne précisément, qui dit avoir été l'ami du fils de Blanca ; à eux deux, ils allaient vendre une montre volée. Il est à la recherche de ladite montre. Blanca n'hésite pas à tirer sur lui. Mais la violence lui répugne.
le père de Blanca fut un contrebandier. Il a cherché fortune en Argentine, les choses ont mal tourné, il est revenu au pays, il est mort tué par un gendarme. Blanca trouve la montre, et décide de rendre son honneur à la famille. Elle la restituera à sa propriétaire.Ce qui mènera le trio jusqu'à Rouen. Pour arriver là, il prendra l'auto pilotée par une infirmière féministe avec qui Blanca se sent en communauté d'esprit, et le train, lequel déraille, comme il était fréquent à l'époque. Alors Blanca, poursuivie par le poilu qui l'a retrouvée dans le train, saute dans une barge, celle de deux marchands de bois du Morvan. Ils font glisser leur bois dans les eaux de l'Yonne, puis de la Seine. Eux aussi ont la gâchette facile et tirent sur le poilu. de là, le trio poursuit sa route jusqu'au Havre, où ils s'embarquera pour l'Angleterre puis la Nouvelle-Zélande, où les femmes ont le droit de voter depuis 1893.
Après l'exil de son père, Blanca initiera une autre vie, guidée par des idées qu'elle n'a pu connaître à l'école, faute d'y être allée. L'ignorance empêche la liberté. Florentin découvre l'auto, le train, la grande ville. Il va vers son âge d'homme. Blanca emmène le poilu avec elle. Elle est heureuse qu'il soit vivant et il facilitera le voyage des femmes.
le bédéiste s'appuie sur des photographies anciennes pour représenter les personnages féminins avec les coiffes traditionnelles, les villes telles qu'elles étaient en 1920. Les dessins sont expressifs avec la dureté des traits des femmes, le visage râpeux de l'enfant. Pastor montre le courage de deux femmes qui veulent sortir de la société patriarcale qu'elles ont toujours connue. le frère de Blanca apparaît comme obéissant à sa femme, une directrice d'école intolérante et obtuse. Aucun des deux n'imagine un changement de société. Pastor fait voir la force de ses héroïnes, leur persévérance, leur intelligence. Depuis 1920, la situation a évolué, mais le combat vers l'égalité hommes/femmes n'est pas encore gagné, et le sexe dit faible a encore à lutter.