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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
“ L'homme est comme une bête : il voudrait ne rien faire.” N'avez-vous jamais voulu passer la journée au bord de l'eau, à rêver à la rencontre des corps, ou déambuler dans votre moindre appareil, ivre dans les rues du village sous la jaune clarté de la lune ?

“L'essence de la poésie c'est l'image”. "Travailler Fatigue" restitue la sensualité des vies paysannes et ouvrières. le jeune Cesare écrit sur les siens mais aussi sur sa terre, ces vies sont vallonnées comme les Langhes, d'Asti à Turin. Les vignes chaudes du Piémont, une fois vendangées, donnent des vers au nez fin et à la robe singulière. 

« la terre toute entière est couverte de plantes qui souffrent
Sous la lumière, sans que même on entende un soupir »

« Il n'est chose plus amère que l'aube d'un jour où rien n'arrivera. » Il semble que les personnages de Pavese soient, pareils aux campagnes, figés dans l'éternité. L'attente, l'errance, la fatigue « d'une vie que nous ne vivons pas », la solitude, l'injustice, le travail, souvent misérable, et l'amertume se succèdent dans un déterminisme lucide et résigné, ne s'estompant brièvement que dans le son assourdissant d'une clarinette au fond d'une cave de jazz. Pavese allume “des milliers de réverbères éclatants de lumière sur des iniquités ». 

« au moins pouvoir partir
crever de faim librement, dire non
à une vie qui utilise l'amour et la pitié
la famille ou le lopin de terre pour nous lier les mains »

Pourtant parfois, ces êtres délaissés, en manque de tendresse, voudraient suivre le courant du Pô et quitter leur monotonie, “traverser une rue pour s'enfuir de chez soi”. Il y a comme un avatar de liberté qu'on retrouve lorsqu'on s'éloigne du village :

« ici sur la hauteur, la colline n'est plus cultivée.
il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.
le travail ne sert à rien ici. »

“A chaque poésie, un récit”. le poète italien croque des morceaux de quotidien et nous révèle l'insoupçonnable saveur de ces existences difficiles, de ces « mains calleuses à force de cogner au maillet, de manier le rabot, de s'esquinter la vie », de ces amours fugaces dans la chaleur de la nuit et ces ivresses désespérées et solidaires.
Mais il ne fait pas qu'écrire des poèmes, il “raconte des vers”. C'est en ce sens qu'il est novateur dans l'univers poétique d'entre deux guerre, l'incroyable inédit de sa plume, de sa narration poétique, de ses vers libérés, nous parvient même à travers la traduction française. 

« L'enfant a sa manière de quitter la maison
si bien que ceux qui restent se sentent inutiles. »

Les « Poésies variées » qui ferment le recueil sont tout aussi savoureuses, mais je ne m'étendrai pas sur « la mort viendra et elle aura tes yeux ». Je n'ai pas reconnu Pavese, son style accrocheur, l'ancrage de ses récits dans la terre. Ces quelques poèmes (trop) métaphoriques et cafardeux sont écrits quelques mois avant le suicide de leur auteur.
S'il a pu trouver une inspiration distincte de celle qui présida à « Lavorare Stanca» ainsi qu'il s'en inquiétait lui-même dans son journal quelques années auparavant, elle reste à mon goût bien moins puissante et singulière.

La figure de la femme, tantôt méprisée, prise en pitié est omniprésente chez le poète - dont la vie amoureuse resta insatisfaisante, entre désirs refoulés, passions secrètes et impuissance chronique - et parfois se glisse sous les traits d'une narratrice prostituée « qu'importe leurs caresses, je sais me caresser toute seule ».

« Turin serait si beau – si on pouvait en jouir
Si on pouvait souffler »

La “canzoniere” du poète piémontais narre la caresse de la nuit, la sueur du labeur, l'haleine d'une étreinte, la chaleur d'une amitié, l'odeur d'une poignée de terre fraîche dans la paume de la main, l'envie d'ailleurs, l'envie d'ici, le tourment du vent du rêve venu des collines…Cesare Pavese nous enseigne « le métier de vivre ». 
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Cesare Pavese fait partie des quelques écrivains qui m'ont fait entrer en poésie. C'était il y a un certain temps... Ou plutôt un temps certain. Je me souviens encore de la découverte du recueil publié chez Poésie Gallimard et des deux titres si étranges Travailler fatigue et La mort viendra et elle aura tes yeux qui m'avaient beaucoup intrigué alors, comme l'avait fait celui de son journal, le métier de vivre.

Je reviens aujourd'hui vers l'écrivain piémontais pour y redécouvrir son écriture mais aussi pour y retrouver une part des impressions que j'y avais laissé et pour en voir apparaître de nouvelles. Générosité de la poésie !

Travailler fatigue (Lavorare Stanca) a été publié en 1936 à Florence et regroupe un ensemble de poèmes que Pavese a commencé à écrire dès 1930. Divisé en six parties : Ancêtres, Après, Ville à la campagne, Maternité, Bois vert et Paternité, le recueil débute par un poème intitulé Les mers du sud. Ce texte introductif va comme fixer le décor et la tonalité du recueil.

Au travers du portrait d'un cousin revenu dans le Piémont natal après un long voyage de part le monde, Pavese livre ce que fut son enfance. le contact de ce parent, la solitude et l'innocence seront les ferments de son initiation au monde et et de ce que sera plus tard sa maturité d'homme.

Cesare Pavese ne croit pas en une poésie qui ne soit pas née de l'expérience, du vécu. Ainsi, tous les poèmes de Travailler fatigue sont inscrits dans un mode narratif qui sont ceux d'une poésie-récit dans laquelle Pavese s'inspire et livre une grande part autobiographique. Ce mode du récit n'exclue pas pour autant un style très particulier, celui d'une intuition de plus en plus précise, d'une sobriété lyrique qui me touchent beaucoup.
Son écriture semble aller au rythme de son imagination, aller jusqu'au bout de son intention, dans une constance et une maîtrise qui font naître des germes d'impressions et d'images, comme ce très beau poème intitulé Été :

« Il est un jardin clair, herbe sèche et lumière,
entouré de murets, qui réchauffe sa terre
doucement. Lumière qui évoque la mer.
Tu respires cette herbe. Tu touches tes cheveux
et tu en fais jaillir le souvenir.

J'ai vu

bien des fruits doux tomber sourdement sur une herbe
familière. Ainsi tressailles-tu toi aussi
quand ton sang se convulse. Ta tête se meut
comme si tout autour un prodige impalpable avait lieu
et c'est toi le prodige. Dans tes yeux,
dans l'ardent souvenir, la saveur est la même.

Tu écoutes.
Les mots que tu écoutes t'effleurent à peine.
Il y a sur ton calme visage une pensée limpide
qui suggère à tes épaules la lumière de la mer.
Il y a sur ton visage un silence qui oppresse
le coeur, sourdement, et distille une douleur antique
comme le suc des fruits tombés en ce temps-là. »


La lecture terminée de Travailler fatigue (je reviendrai plus tard sur La mort viendra et elle aura tes yeux) m'a confirmé la place toute particulière que tient pour moi la poésie de Cesare Pavese faite d'impressions passées qui rejoignent celles du présent. J'aime l'idée d'une poésie qui n'a pas tout livré de ses secrets, qui n'a pas dit son dernier mot.

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« Ici sur la hauteur, la colline n'est plus cultivée.
Il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.
Le travail ne sert à rien ici... »

Si la colline n'est plus cultivée, peut-on dire qu'elle retourne par défaut à l'état naturel si le paysage s'avère désert, aride ? Si le travail ne sert à rien dans ces collines, pourquoi y travailler si ce n'est pour se fatiguer, pour s'éreinter jusqu'à la mort ? le poète, pendant que d'autres s'affairent aux champs desséchés, se trouve quant à lui, une place au soleil, à l'ombre. Ou plutôt que de s'atteler aux mêmes tâches que ses ancêtres, part à la conquête d'autres terres où il pourra travailler sans se fatiguer ou ne pourra pas travailler du tout …

ANCETRES

« J'ai trouvé une terre en trouvant des compagnons,
une terre mauvaise où c'est un privilège
de ne pas travailler en pensant à l'avenir.
Car rien que le travail ne suffit ni à moi ni aux miens ;
nous savons nous tuer à la tâche, mais le rêve de mes pères,
le plus beau, fut toujours de vivre sans rien faire.
Nous sommes nés pour errer au hasard des collines,
sans femmes, et garder nos mains derrière le dos. »

En même temps, le poète n'est pas tout à fait l'ermite ou le vieillard esseulé qui reviennent comme personnages dans ses poésies-récits, personnages oisifs qui n'ont qu'à se laisser vivre sans se fatiguer à travailler , car le poète, lui, est condamné au travail, au métier de poète …
Et le poète cherche à rendre une terre stérile plus fertile, mais elle reste aride … le poète rend-il la stérilité du sol qu'il décrit plus fertile en la décrivant  ? Ou s'épuise-t-il en vain ? Lui qui ne fait qu'écrire dans son oisiveté créatrice est-il plus efficace que ceux qui se fatiguent physiquement à travailler la terre ? Ne se fatigue-t-il pas moralement et physiquement à écrire dans des pages qui restent blanches malgré les mots qui s'inscrivent vainement par-dessus ?

Plus tard, la mort viendra et elle aura tes yeux … Les yeux sont-ils le prix à payer pour celui qui passe son temps à écrire et à lire, et qui utilise ses yeux comme un outil qui s'épuise, à force de labeur ? Faut-il devenir aveugle, à la fin, lorsque la mort vient ? Peut-être que la mort s'approprie nos yeux parce qu'elle n'en a pas elle, d'yeux, mais qu'elle en acquière malgré ou grâce à nous ? Et à la fin, ces yeux qui ont été les nôtres mais qui ne le sont plus nous effraient.



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