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sur 1268 notes
Conteur hors pair, pudique dans l'impudeur Daniel Pennac ose dire les défaillances du corps qui sont celles aussi de la psyché. L'humour et la dérision ajoutant au plaisir jubilatoire de la lecture de ce journal qui trace tous les âges de la vie. L'enfance ses peurs et ses manquements traumatiques, l'adolescence cataclysmique, la maturité et ses certitudes à géométrie variable et la défaillante vieillesse, mais aussi les bonheurs grands et petits, les véritables jouissances sont autant de sujets qui nous rappellent l'indéfectible lien entre corps et esprit. Et surtout que « Nous sommes jusqu'au bout l'enfant de notre corps. Un enfant déconcerté. »
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"Avec le temps
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage et l'on oublie la voix
Le coeur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien.. " (Léo Ferré).

Une relecture pour moi que ce roman de Daniel Pennac dans lequel il nous livre sans aucun interdit, sans ménagement et d'une façon si juste, le journal intime du père (qu'il a pourtant peu connu) de sa vieille amie Lison.

De son écriture, comme toujours directe et ciselée, Daniel Pennac cultive l'art et la manière de mélanger les styles, la dissonance du ton et du langage, tantôt cru, tantôt soutenu, n'enlève en rien la dimension poétique qui perdure tout au long de ce roman dont le récit est somme toute très physiologique mais seulement en apparence, car les apparences sont bien souvent trompeuses et l'auteur n'hésite pas à explorer habilement les profondeurs de la psyché humaine pour notre plus grand plaisir. Car finalement n'est-il pas vrai que le sacro-saint corps et l'esprit sont irrémédiablement reliés ?

Impossible de ne pas s'attacher à notre narrateur et auteur de ce journal qui restera anonyme jusqu'à la fin, dont nous nous approprions le corps et l'esprit aussitôt les premières pages tournées. Il va sans dire que ce corps observé à la loupe avec minutie, jour après jour durant 75 ans, c'est un peu le nôtre finalement.

Des maladies infantiles à la valse des hormones qui régissent l'adolescence, des premières défaillances physiques de ce corps devenu adulte à l'écueil infrangible de la vieillesse qui s'installe, l'auteur nous dit tout sans exception et sans jamais tomber dans l'effet de style dramatique, quelle prouesse !

Mais pour moi ce roman c'est avant tout un très bel hommage à l'enfance et de cette lecture je garderai le
souvenir certain du petit garçon âgé d'a peine dix ans qui aime à se réfugier dans l'imaginaire, orphelin de père (un père dont l'image est très présente tout au long de ce roman), qui pousse tout seul à la veille de la deuxième guerre et qui reporte tout son amour sur la cuisinière de la maison, Violette, car sa mère accablée et malheureuse est incapable de lui témoigner un tant soit peu d'affection.

Difficile d'expliquer ce que j'ai pu ressentir durant ma lecture tant mes émotions ont fait le grand huit encore une fois. J'ai ri, j'ai pleuré, sur moi, sur les êtres chers à mon coeur, qui ne sont plus, qui sont encore...
Ce roman c'est tout simplement l'éloge de la vie, du temps qui passe, de notre corps qui en est le témoin et en conserve précieusement les traces sans que nous ne puissions rien y faire !

Un très beau roman, à lire et à relire sans modération et qui sait ? C'est peut-être bien ça le secret pour parvenir à être heureux quand la vie nous joue de vilains tours : tenir un journal intime ;)


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J'abordai ce Journal d'un corps avec un enthousiasme prudent, appréhendant d'avoir à y lire, rapportées au jour le jour façon traité d'anatomie, les manifestations pas forcément ragoutantes d'un corps en (dé)route vers l'inexorable décomposition.

Erreur ma fille, grossière erreur. En fait de journal, il s'agit plutôt d'une chronique. Ou même… d'un roman. Oui, un roman ! Un roman de mec, instinctif, poétique et truculent, pudique et sans tabou, espiègle et grave, cru, élégant, empreint de dérision, rythmé par la réjouissante symphonie des phrases et la saveur des (bons) mots.

Réduire ce roman donc à la seule description d'un corps et de ses bouleversements au fil du temps ne lui rendrait pas l'hommage qu'il mérite, car ce sont l'esprit du narrateur, ses émois, ses troubles et toutes les réminiscences de sa belle existence qui s'expriment ici avant tout. Cadeau, et pas des moindres, l'humour et la prose virtuose de Pennac, redécouverts avec bonheur, confèrent à cette lecture d'authentiques moments de délectation.

Bon sang, je l'ai tellement aimé ce livre qu'en pondre ne serait-ce que l'ombre d'un pauvre commentaire m'a intimidée pendant des jours. J'arrête donc là les frais mais pour finir, juste un conseil qui n'engage que moi… Lisez ce bouquin. Point.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Daniel Pennac confie en prologue avoir eu vent du Journal du corps d'un personnage en vue (dont il souhaite taire l'identité), "cahiers légués" à sa fille "adorée" Lison (amie de l'auteur).
Autofiction?
Ce Journal d'un corps, commencé suite à un traumatisme de scout ligoté à un arbre et chiant dans son froc (pardonnez l'expression!) de terreur d'être dévoré par des fourmis, va relater la vie de son narrateur du moment où il jure: je n'aurai "plus jamais peur" jusqu'à sa fin de vie.
Sensations d'un écorché vif en manque d'amour maternel, construit en opposition à la mère humiliante pour ne pas être le "rien" prédit, "corps objet d'intérêt" pour suivre les murmures d'un père disparu trop tôt, ce corps, thème majeur de ce journal est plus un Moi-peau, un corps physique qui parle d'émotionnel.
Invention d'un double "exercice d'incarnation convaincant",grève de la faim,jouissance,hypochondrie,somatisation, ce journal transcrit l'intime à travers un corps qui exprime ses manques, sa haine,son désir,son plaisir,son narcissisme,sa sexualité,ses amours,sa tendresse,ses peurs paniques.
C'est toute une vie qui nous est contée rien qu'en regardant son écorce palpiter.
"Les testicules siège de l'âme?"
Question intéressante!
Une ouverture intéressante aussi: un destin est-il toujours lié à l'enfance, une vie maîtrisée vers la réussite en tout ne montrant ses failles qu'en de secrètes cellules?
Daniel Pennac(auteur connu et reconnu, prix Renaudot 2007 pour Chagrin d'école) signe là un petit chef-d'oeuvre qui sonne fort, juste et vrai!
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BLAM !!!!

Rien vu venir,coeur emballé, coeur comblé,coeur explosé…LE coup de coeur 6 étoiles !!!

Tente en vain d'essayer de mettre mes idées et émotions en place pour une critique plus, enfin moins, ou plutôt, quoique.hum, ca me rappelle un pub pour un parfum qu'un homme tentait de décrire sans y arriver 

Bref, Fichetoux, toujours sous le choc…mais promis, vous donne des nouvelles

3h du matin, le déclic !!!

Et oui, il y a des livres comme ca, qui même terminés laissent le lecteur dans un état de stupeur, bouche bée, et dont le récit et ses implications trottent dans votre tête.
Des livres, où la dernière page lue et le bouquin refermé, on est dans son lit et, pendant une demi heure, on regarde le mur sans le voir, toujours l'esprit dans ce trésor de papier on se dit « waowwww !!! »

Mais allez expliquer ce « waowwww !!! »

Ce que mon « conscient » tentait de formuler au sujet du JOURNAL D'UN CORPS, mon « inconscient » l'avait déjà capté et mis par écrit dans ma précédente tentative de critique-enfin,d'avis car je n'ai pas la prétention d'être un critique, plutôt un lecteur qui essaye d'expliquer ses coups de coeurs.

BLAM !!! Juste une onomatopée mais une juste onomatopée.

BLAM !!! Détonation, projectile…PROJECTION

Avec le recul (sans mauvais jeu de mot balistique), je me suis retrouvé projeté tout au long de ce bouquin :

Retrouvé comme infirmier aux urgences, en hématologie, en endoscopie digestive (et oui, je roule ma bosse professionnellement, grosso modo 10 ans dans chaque service) confronté aux maux et parcours du combattant de tout un chacun perdu au milieu de ce monde médical, froid, asseptisé, usant de termes « savants » pour le profane perdu…projection dans mon milieu carabin si particulier.

retrouvé comme être humain face à la sénescence, la maladie, la mort de proches( famille et autres), les choses que l'on apprends par après, tout comme Lison, pas spécialement des secrets mais des non-dits, pour ne pas faire souffrir l'autre, ne pas l'accabler, l'épargner, acte d'amour parfois dévastateur, parfois protecteur mais jamais anodin pourtant partant d'un bon sentiment (des notes de feu mon père retrouvées par hasard); ou choses tues par humilité, ou parce que l'on trouve cela normal( la tête que j'ai faite quand ma tante m'a montré le « diplôme de résistant » de feu mon oncle signé par Eisenhower, véridique !...projection dans le passé avec ses bons et moins bons souvenirs.

Retrouvé toujours comme être humain face à l'avenir de mes proches restants mais s'approchants doucement de la finalité, certains déjà dans les bras de ce cher Aloïs…projection dans l'avenir et la douleur des pertes à venir

Projection, toujours projection…à croire que ce bouquin a été écrit pour moi (non, je plaisante, ce serait me donner une trop grande importance lol)

Mise en abime totale, voila le pourquoi de mon bouleversement par rapport a ce fabuleux bouquin qui, du reste, m'a beaucoup fait rire par son ton ironique un peu désabusé, m'a forcement beaucoup ému par sa trame et pas mal gamberger pour ses relations humaines…mais après tout, n'est ce pas cela aussi que l'on demande parfois à un livre ?

Bref, un livre fort, magique, tendre, drôle, lucide, sensible, cru et cruel parfois; mais un ami que l'on accompagne et qui nous accompagne vers un formidable voyage qu'est une vie, qu'est La Vie.

Fred-Fichetoux-Beg content d'avoir réconcilié son conscient et inconscient va pouvoir faire dodo en paix

Bonnes lectures à toutes et à tous, en espérant ne pas avoir été trop « pompeux » dans cette critique, euh, pardon, avis.

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Un bon moment de lecture que ce Journal d'un corps, de Daniel Pennac, qui pour l'instant ne m'a jamais déçu. Autofiction jusqu'à un point, anticipation à partir du moment où l'âge du narrateur dépasse le sien ? Je n'ai rien lu dans la presse de la part de l'auteur sur ce questionnement, qui me permettrait de trancher, mais j'imagine qu'il a puisé dans les plaisirs et les souffrances du sien pour remplir les pages de ce journal. Son récit est aussi une fresque familiale, le portrait d'un amour à la durée si rare aujourd'hui tant il devient objet de consommation à l'obsolescence programmée. L'anatomie de sa décrépitude m'a un peu dérangé dans la mesure où je me suis identifié sans doute aux râleries que peut causer les affres de la vieillerie, et que j'ai ressenti, en lisant, cette sensation de vacuité qui prend possession de moi lorsque je me projette vers ma fin : tout ça pour ça !
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Jubilation !

C'est un grand cru que ce roman tout frais paru. du Pennac dans l'essence, avec un subtil mélange de facétie, d'exultation, de dialectique, de sagesse, assaisonné juste ce qu'il faut d'un soupçon d'extravagance.

Le narrateur (dont on ne connaîtra jamais le nom) a remis à sa fille Lison, quelques moments avant sa mort, le journal qu'il a tenu, du 28 septembre 1936 au 29 octobre 2010. Non, ce n'est pas un journal intime, surtout pas ! SURTOUT PAS ! Ici pas de mièvreries d'une vie quotidienne et sociale que tout le monde connaît, et dont tout le monde parle. « Je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d'autre chose ». (Mercredi 18 novembre 1936). C'est un enfant de 13 ans, 1 mois et 8 jours qui commence cette biographie.
Biographie imaginaire ? Auto-biographie ? Sans doute un peu les deux. Impossible que Pennac ait inventé tout cela, sans avoir puisé ses sources en son propre corps !
À l'origine, c'est une grosse frayeur, un épouvantement devenu hystérique, qui conduit ce gamin à écrire. Un gamin chétif, malingre, dont le corps n'existe pas dans le regard de sa mère. « À quoi ressembles-tu ? Veux-tu que je te le dises ? Tu ne ressembles à rien ! Tu ne ressembles absolument à rien », vitupère-t-elle, en claquant la porte. Alors, pour exorciser ses peurs, il commence à les mettre en mots : il établit une liste de ses sensations : « la peur du vide broie mes couilles, la peur des coups me paralyse, la peur d'avoir peur m'angoisse toute la journée, l'angoisse me donne la colique, l'émotion (même délicieuse) me flanque la chair de poule, la nostalgie (penser à papa par exemple) mouille mes yeux, la surprise peut me faire sursauter […], la panique peut me faire pisser, le plus petit chagrin me fait pleurer, la fureur me suffoque, la honte me rétrécit. Mon corps réagit à tout. Mais je ne sais pas toujours comment il va réagir. » Et de poursuivre, le lendemain, « si je décris exactement tout ce que je ressens, mon journal sera un ambassadeur entre mon esprit et mon corps. Il sera le traducteur de mes sensations ».

Le lecteur va donc suivre 74 ans de la vie de l'auteur du narrateur, au gré des manifestations de son corps. Mais point d'inventaire à la Prévert, ni de misérabiliste, ni d'hypocondrie débordante ! Et il ne les chante pas non plus à la Gaston Ouvrard : « Je suis d'une santé précaire, et je me fais un mauvais sang fou... ». Non, le narrateur n'est pas « pas bien portant ». Il vit ses jours - bons et mauvais -, les heurs - bons et mauvais -, et dit les bouleversements de son corps – bons et mauvais -.

Je l'ai accompagné avec enthousiasme, cet enfant qui devient jeune homme, puis homme, puis vieillard. Et je ne l'ai pas vu vieillir, tant l'histoire de son corps qui prend de l'âge est distillée graduellement, progressivement. Les mots de Pennac, dans ce journal, c'est la quintessence de la vie qui passe. C'est du raffinement, de la finesse, de la subtilité.
Et pourtant ! L'auteur ne s'encombre pas d'oiseuses pudibonderies pour évoquer ce corps qui peu à peu se déploie, s'affirme, décroît, puis se meurt. le vocable est cru, parfois un peu gaillard, quand il s'agit d'évoquer les miasmes de l'anatomie. de toutes les anatomies, parce que, en toute sincérité, j'ai retrouvé dans les scrupuleuses descriptions de nos rituelles « habitudes » intimes, quelques unes de mes petites pratiques solitaires que, bien sûr, je ne détaillerai pas... je n'ai pas l'habileté de Daniel Pennac, moi, pour révéler ma profonde nature !
« [...]un homme ignore tout de ce que ressent une femme quant au volume et au poids de ses seins, […] les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l'encombrement de leur sexe ».
Ou bien : « Nous nous repaissons en secret des miasmes que nous retenons en public ».

Je n'omettrai surtout pas dans cette chronique d'évoquer ce qui fait la force des textes de Daniel Pennac : la faculté de penser, l'intelligence, le sens des choses dans ce qu'il sublime notre quotidien.

« L'angoisse se distingue de la tristesse, de la préoccupation, de la mélancolie, de l'inquiétude, de la peur ou de la colère en ce qu'elle est sans objet identifiable ».

« Il me plaît de penser que nos habitus laissent plus de souvenirs que notre image dans le coeur de ceux qui nous ont aimés ».

« Ces petits maux, qui nous terrorisent tant à leur apparition, deviennent plus que des compagnons de route, ils nous deviennent ».

« Enfants, nous ne voyons pas les adultes vieillir ; c'est grandir qui nous intéresse, nous autres, et les adultes ne grandissent pas, ils sont confits dans leur maturité ».

Ce livre, c'est un roman de vie, c'est un roman d'amour, c'est un roman d'aventure.
Non, ce n'est pas un roman ; c'est une leçon de choses, comme on appelait ces cours, dans mon enfance, qui traitaient de ce qui ce nomme désormais « SVT ».
Une leçon de choses, où je suis, tu es, il(elle) est, nous sommes, vous êtes, ils(elles) sont, du point de vue du corps, les protagonistes parfois ardents, parfois languissants, mais toujours présents de la ligne de vie.

« Nous sommes jusqu'au bout l'enfant de notre corps. Un enfant déconcerté ».
Lien : http://livresouverts.canalbl..
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Quelle bonne idée que ce journal! Il faut dire que les romans d'aujourd'hui investissent surtout dans l'analyse psychologique. le corps, eh bien on lui laisse les miettes, vulgaire véhicule du dieu Pensée.
Pennac, lui, décide de redorer le blason du charnel, du viscéral. le corps et ses humeurs, visqueuses celles-ci, encombrantes et odorantes parfois. le corps et ses rouages, mais aussi ses caprices. Jamais ennuyeux, le corps! Car il change, il passe par des métamorphoses, il force l'étonnement, contraint à l'adaptation. On s'en fait un ami (ou un ennemi) de plus en plus longue date, à la fois intransigeant et bienveillant à l'égard de ses petits défauts et de ses défaillances.
C'est une histoire parfaite au fond : des rebondissements en veux-tu en voilà, de l'amour, des amitiés, de la souffrance, du suspense aussi (même si on en connaît déjà la fin, l'important n'étant pas le quoi mais le comment, n'est-ce pas ?).
Et puis vous la connaissez cette sensation si agréable de se reconnaître dans un personnage! Que celui qui n'a pas songé : « Mais oui, c'est vrai, moi aussi j'ai connu ça! » lève le doigt! Car il les accumule les impressions, les sensations, les petites manies intimes communes à tout un chacun, bien placées, égrenées au fil du journal.
Femmes, on savourera certains passages où le corps masculin s'exprime dans toute sa virilité, avec le sourire de celle qui aimerait y être, juste une fois, pour voir. Mais au final il s'agit du journal d'UN corps; pas MON corps, bien un corps qui s'indifférencie au fil des pages, trouve un écho en chacun de nous.
Comme la notion du temps y est bien rendue! Un temps subjectif, ralenti par de multiples découvertes dans l'enfance, entrecoupé de silences qui précipitent les mois les uns derrière les autres à l'âge adulte. Et comme ça se lit! A vous mettre dans l'angoisse du temps qui passe si vite, lui aussi! Quelle étrange prise de conscience, lorsque vous refermez le livre ouvert il y a quelques jours seulement, qu'une vie s'est écoulée!
J'ai lu ce bouquin avec le sentiment d'avoir porté plus d'attention à mon corps tout à coup, de lui avoir laissé le moyen de s'exprimer, d'être là, pleinement. Expérience plutôt sympathique, qui nous réconcilie avec nous-mêmes.
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Chapeau, vraiment, à Daniel Pennac qui a su retranscrire avec humour et humanité l'histoire d'une vie à travers l'histoire de ses manifestations corporelles. de toute façon, comme on sait que le corps est intimement lié au psychisme, tout est mêlé : les sentiments, les émotions, les maladies – du rhume au saignement de nez, de l'entorse au doigt au blocage de la vessie, des pets et autres bruits au soupir final.

Le corps s'exprime, de 13 ans à 87 ans. Les balbutiements de l'adolescence, l'exultation de l'âge adulte, les premiers signes de la vieillesse, l'effondrement physique du grand âge : c'est marrant, c'est émouvant, c'est époustouflant de justesse. Nous nous retrouvons tous dans les maux et les mots de ce narrateur, et je me suis vraiment rendu compte que nous sommes tous des « frères humains ».

Éblouissement amoureux, naissance des enfants et petits-enfants, deuils, fêtes, promenades dans la nature, en ville, conversations nombreuses, éducation, et j'en passe : quelle leçon de vie qui nous permet d'être un peu plus à l'écoute de ce corps que nous habitons, envers et contre tout !
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Tel le Bernard l'Hermite qui investit une coquille, un esprit s'installe dans un corps. le choix n'est pas facile, la maturation est longue. Cela prend neuf mois. S'il s'y sent à l'aise, cela peut durer quelques décennies, au mieux. Après il retourne d'où il est venu. Certains disent qu'il change de coquille. Ils appellent ça la réincarnation. Ils y croient dur comme fer.

D'autres ont tellement peur de l'inconnu qu'ils adoptent une religion. Laquelle leur fait croire à la vie éternelle. Un ailleurs qu'elle appelle royaume des cieux, où quelque chose comme ça, auprès du grand ordonnateur des choses de ce monde. Plénitude, amour infini, la religion a tout prévu pour séduire et rassurer.

Le Je du Journal d'un corps ne se laisse pas leurrer par tout ça. Il est athée. Il ne s'encombre pas des diktats d'un grand Livre. Il occupe le corps que son esprit a choisi sans se poser la question du pourquoi du comment. Il observe ce corps dans son évolution. Tout simplement. En sachant qu'un jour il devra le quitter ce corps, comme d'autres qu'il a aimés l'ont fait avant lui : son père dont le propre corps avait été malmené par la méchanceté de ses semblables, ou encore Violette qui l'a comblé de la tendresse dont sa mère avait été avare. D'autres encore qui ne sont pas partis dans l'ordre convenu, avant leurs géniteurs. C'est plus difficile à admettre.

Une fois, par inadvertance, il a vu d'où lui est venu ce corps dans lequel il s'est installé. Il a vu sa mère nue. Il a refermé la porte aussitôt et s'est réfugié dans sa chambre. Sa mère est venue le voir. Elle lui a caressé la tête et lui a dit une parole gentille. Pour une fois. Peut-être voulait-elle se faire pardonner de l'avoir mis au monde. Car mettre au monde, c'est aussi condamner à mort. C'est condamner à voir sa coquille grandir, s'user, dépérir au fil des jours, des mois, des années. Pour au final rendre l'esprit au vagabondage, lui intimer de quitter cette enveloppe charnelle, au début souple et confortable, devenue très vite ankylosée et incommodante.

Le corps n'est qu'une émanation visible. La bien-nommée incarnation. C'est par son truchement qu'un esprit se manifeste à ses semblables. C'est comme ça qu'il finit par s'attacher aux autres et à le manifester. Ce confort de l'esprit dans sa coquille au milieu de ses proches qu'on appelle amour. Avec la lourde contre partie de ressentir de la peine lorsque l'un d'eux reprend sa liberté.

Le Journal d'un corps n'est pas un journal intime. C'est un compte rendu d'observation. Document que le Je adresse à sa fille lorsqu'il se rend compte qu'il n'aura plus la force de tenir son crayon et poursuivre la retranscription de cet hébergement temporaire d'un esprit dans un corps.

A dresser le Journal d'un corps, il faut s'attendre à endurer son lot d'excrétions, de maux et d'avilissement dont on sait à quel point cette enveloppe périssable est sujette. Mais ce bail à durée déterminée qu'on appelle la vie, étant ce qu'il est, le Je ne s'en offusque ni ne le déplore. Il se félicite de le vivre en bonne compagnie : Mona sa femme qu'il l'a comblé de bonheur, sa descendance qui entretiendra son souvenir.

Bel exercice conduit par Daniel Pennac qui nous réjouit d'une narration dans laquelle chacun pourra se reconnaître à tous les stades de la vie. C'est bien sûr de plus en plus inconfortable lorsqu'on avance dans les chapitres, mais c'est la vie. Ce n'est pas triste. Plus souvent attendrissant. Reconnaissons-lui ce supplément d'âme qui lui a donné l'inspiration d'abandonner quelques fameux écrits comme celui-là à la postérité. A d'autres locataires d'un corps qui s'en réjouiront à leur tour.
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