«
Les médias contre la gauche » est le fruit d'une collaboration entre l'éditeur engagé Agone et l'association Acrimed (Action Critique Médias). Ils ne sont pas forcément très connus, pour la simple raison qu'ils font parties des petits ilots de résistance, comme on en trouve ici et là sur internet ou dans la presse écrite mais jamais dans l'audiovisuel, qui a pourtant le plus d'impact sur l'opinion, et notamment chez les plus âgés.
Un autre titre possible de cet ouvrage aurait pu être « Comment les médias ont tué la gauche ? »
Dans une société démocratique, la pluralité des opinions est naturelle et on a tous tendance à trouver neutres des propos qui rejoignent nos propres idées et partisans, les propos qui vont dans le sens inverse. Une personne foncièrement de droite (entendez par là : néolibérale) ne peut donc pas comprendre et approuver ce qui est dénoncé dans cet ouvrage. A savoir, que les médias dominants ne sont pas neutres et sont clairement de droite. Qu'on se le dise donc, cet ouvrage s'adresse clairement à des gens de gauche. Pour être plus précis et pour reprendre une expression de l'auteur, des gens de la gauche de gauche (Exit donc les sociaux-démocrates présentés comme la gauche alors qu'ils acceptent le capitalisme, la société de consommation et le libéralisme. Exit donc les Valls, Borne et Hollandiens en tout genre…).
Nous attendons souvent des journalistes qu'ils soient neutres mais je suis convaincu que la neutralité est impossible, elle n'est tout simplement pas humaine. le simple fait de poser une question ou de ne pas la poser oriente forcément un débat et n'est pas neutre. Je n'attends donc pas des journalistes qu'ils le soient.
Pourtant, on pourrait espérer dans une démocratie, que les équilibres soient respectés et, qu'il s'agisse des journalistes ou des différentes personnalités invitées, qu'il y ait un traitement à peu près équitable de tous les points de vue.
Pour les gens de gauche qui en douteraient encore, cet ouvrage recense quelques données chiffrées et surtout beaucoup de « citations » entendues sur les plateaux TV, permettant de constater de manière flagrante, que non seulement les journalistes ne sont pas neutres mais sont (presque) exclusivement de droite à la télévision et à la radio.
Après une excellente introduction, le livre développe ses idées autour de 5 axes :
- « Un journalisme de cour » : On comprend comment E.Macron a été mis en place grâce à ses relations avec la presse et les milieux capitalistiques dominants, l'appartenance des grands médias à des grands groupes capitalistes étant une explication directe à cette situation. L'ouvrage relève plusieurs situations parlantes : entre les soutiens affichés de X.Niel, C. Perdriel, B.Arnault…propriétaires de grands médias, et la présence d'un membre de « En marche ! » parmi les dirigeants de BFM-TV.
Les stratégies pour faire élire Macron : jouer sur l'attrait de la nouveauté (en 2017), la jeunesse, l'homme « providentiel », la stratégie de crédibilisation (formulation des titres dans les journaux, orientation des questions autour d'idées macronistes lorsque les concurrents sont interrogés, etc.), créer l'attente (là encore, les titres des journaux relevés sont équivoques), différence de traitements (nombre d'heures qui lui sont consacrées, retransmission complète de ses discours contrairement aux adversaires, etc.)…
L'entretien des relations Macron-Médias est également décrypté pendant l'exercice du pouvoir (culte de la personnalité, entretiens présidentiels s'apparentant à de la mise en scène autocratique)…
L'ouvrage n'aborde pas vraiment l'absence de campagne en 2022 et le fait que mes médias orientent tout sur la guerre en Ukraine. Les études montrent qu'en situation de guerre, les peuples ont tendance à s'unir derrière leur chef et à le réélire… J'aurais aimé que ce livre en parle. le passage concernant la covid-19 n'est pas vraiment abordé non plus.
- « Un journalisme de dédiabolisation » : On comprend comment les médias ont organisé la montée de Marine le Pen et de ses idées en les rendant acceptables. L'idée étant de créer un duel Macron-Le Pen pour lequel (c'est le pari des médias) Macron sortirait toujours gagnant…
Les stratégies sont de marteler l'affiche du « 2e tour » comme la seule possible déjà 2 ans avant l'élection, alors même que les sondages ne sont pas si clairs. Les sondages ne testent jamais l'hypothèse
Mélenchon au second tour (statistiquement probable) alors qu'elle teste d'autres situations (par exemple X.Bertrand, statistiquement moins probable selon les sondages !). Les invités politiques de gauche sont sommés sur les plateaux de se prononcer sur ce second tour fictif Macron-Le Pen. Autre stratégie pour faire monter M le Pen, stratégie utilisée pour Macron quand c'est nécessaire, comme
Sarkozy à une autre époque : rendre sympathique grâce à la peoplisation (on parle de cuisine, de chats, de vie de famille avec
Marine le Pen). le cas Zemmour est abordé, un moyen de faire passer les idées le Peniste comme modérées.
De manière générale, les sondages sont dénoncés en raison de raccourcis dangereux et d'analyses faussées pour faire croire à la popularité d'une personne ou d'une idée. Il s'agit des sondages sur les élections mais également les sondages sur les « préoccupations des français » ou sur telle ou telle situation (la formulation de la question posée jouant beaucoup sur la réponse). J'aurais aimé que l'ouvrage traite du conformisme social et de manière générale de tous les biais psychologiques exploités par les médias pour manipuler l'opinion.
- « Un journalisme de classe » : On comprend que, par leur origine sociale, leur milieu professionnel, les journalistes les plus entendus sont ceux qui politiquement sont proches des idées néolibérales macronistes. Les conditions d'exercice du métier sont abordées : le suivisme qui facilite le travail dans des conditions de pénuries de budget (les formats longs et les enquêtes couteuses de terrain sont remplacées par des formats courts ou des talk-shows avec des « chroniqueurs » ou des soi-disant « experts »), la routine, la dépendance face aux puissances politiques et financières, l'aveuglement (lié à l'entre-soi qui amène les journalistes à penser « tous de la même façon » et à ne plus prendre de recul), conduisant à l'activisme politique parfois (Certains propos de journalistes ou de chroniqueurs « en roue libre » sont relevés, jusqu'à des propos orduriers sur J-L Mélenchon). Beaucoup de journalistes ne parviennent plus à cacher leurs propres opinions.
- « Un journalisme de préfecture » : On comprend que les journalistes sont pris au piège de leurs relation avec les forces de sécurité (police, préfecture) pour obtenir des informations, comme ils le sont de leur bonne relation avec certains politiques ou avec les patrons, pour avoir des moyens et des invités sur les plateaux. Au point que les préfectures fournissent les textes alors que les policiers fournissent les images. La formation des écoles de journalisme est remise en cause.
- Les médias face au « péril rouge » : Il s'agit de faire passer tous les opposants du pouvoir en place pour des extrémistes : qu'il s'agisse de la NUPES (présentée comme anti-républicaine, islamo-gauchiste…), « des gilets jaunes », des « zadistes », des « écologistes »... Les grèves sont systématiquement et exclusivement présentées sous l'angle des victimes (usagers « pris en otage »). Les idées alternatives n'ont pas voix au chapitre et cela permet ensuite d'affirmer qu'il n'y a « pas d'alternative » à la politique menée (exemple pris sur la réforme des retraites). Des personnalités néo-libérales sont présentées comme « de gauche » pour faire croire que celle-ci est prise en compte. Les invités-référents en ce qui concerne l'actualité économique sont exclusivement des économistes libéraux. Les économistes de gauche ne sont (quasiment) jamais invités sur les plateaux. Face aux rares invités de gauche, les arguments classiques des représentants du pouvoir sont repris par les journalistes qui en font le centre de gravité des débats.
Tous ces arguments sont abordés dans ce livre, de manière plus ou moins agile et judicieuse. Peut-être trop souvent de manière désordonnée, pas assez rigoureuse et, pour être honnête, l'ensemble m'a paru ennuyeux et déprimant. Il n'a fait qu'ajouter des données plus précises à ce que j'avais déjà constaté par moi-même.
J'aurais conseillé à l'auteur de donner moins d'éléments pour illustrer les arguments mais de mieux les choisir car certains sont discutables (notamment certaines citations de journalistes). Certains propos sont hors-contextes, certaines sources ne sont pas précisées (mais d'autres le sont). Il y a des interprétations et des analyses « à charge » de propos journalistiques. Certains propos neutres sont, par exemple, présentés comme partisans. Des contre-arguments sont parfois faciles à donner et tous ces éléments décrédibilisent la démonstration de l'ensemble et c'est dommage !
L'écriture est assez incisive, des jeux de mots, des tacles bien sentis et des expressions judicieuses (gauche de gauche, éditocrates…) appartenant à l'univers de Acrimed. Il s'agit d'une attaque contre les journalistes politiques qui nuisent, chez nous, à la démocratie, alors même qu'ils sont présentés comme leurs défenseurs.
Quelques pistes sont évoquées en conclusion de l'ouvrage pour améliorer la situation, mais, il faut le dire, bien insuffisantes pour compenser le poids de tout ce qui a été dit avant (et on ne voit malheureusement pas comment les choses pourraient changer sans violence, qu'on ne peut que regretter !).
Au final, je pense que le seul intérêt de ce livre est d'être mis dans les mains de gens (réellement) de gauche mais qui n'osent pas voter pour des représentants de la NUPES parce qu'on leur a expliqué à la TV que ce sont « des extrêmes » (faites juste, comme moi, l'expérience, un jour, d'écouter un discours en entier d'une personne comme
Mélenchon, puis de comparer avec ce que les médias en disent à partir d'extraits courts).
Bien sûr, nous ne sommes pas en dictature comme en Russie ou en Corée du nord, mais il y a différents degrés dans les démocraties comme dans les dictatures… Cet ouvrage montre que, depuis de nombreuses années, les médias principaux ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir et mettent réellement en danger la démocratie. Les sources d'information les plus fiables sont cantonnées à quelques journaux de presse écrite et quelques sites internet.
Inquiétant tout ça !