S'il avait eu le choix, Daniel aurait dessiné des méchants tout le temps.
On ne pouvait pas éternellement renouveler les héros. Trop prisonniers des archétypes : mâchoire carrée, mollets exagérément musclés, dents parfaites. Et, bien sûr, une taille supérieure à la moyenne d'au moins vingt centimètres. Des merveilles anatomiques, des prodiges de la musculation. Toujours chaussés de ridicules cuissardes qu'aucun humain digne de ce nom, s'il n'était doté de superpouvoirs, n'accepterait de porter, mort ou vif.
D'un autre côté, le mauvais gars type pouvait avoir une figure en forme d'oignon, d'enclume, de pancake. Ses yeux pouvaient être globuleux ou s'enfoncer profondément dans les replis de sa chair. Sa stature massive ou famélique était couverte de fourrure, de plastique ou d'écailles de lézard. Il pouvait parler en crachant de la foudre ou du feu, avaler des montagnes. Avec un méchant, la créativité ne chômait pas.
Le problème était qu'on ne pouvait avoir l'un sans l'autre. Comme pour toute bipolarité, le bon et le méchant étaient des éléments complémentaires ne pouvant exister que l'un par rapport à l'autre : la lumière et l'obscurité, le vide et le plein, le riche et le pauvre. On ne pouvait s'intéresser à un mauvais personnage s'il n'y en avait pas un bon pour servir de référence. Il n'était pas aussi savoureux d'admirer les vertus du héros si le méchant ne se pointait pas pour nous montrer jusqu'où il pouvait dépasser les limites.
Parfois, il fallait être très près de perdre quelque chose pour mesurer enfin sa valeur.
L'espoir était partie intégrante de la puberté, comme l'acné ou le bouillonnement hormonal. On pouvait afficher des airs cyniques mais c'était juste par bravade, une espèce de maquillage pour tromper son monde. Il aurait été bien trop embarrassant d'avouer que, malgré les gamelles que l'on se ramassait, on ne se résignait pas à cesser d'y croire.
Trixie regarda les M&M's dans le creux de sa main. Les couleurs des pastilles commençaient à teinter sa peau.
- Pourquoi est-ce que la pub nous répète qu'elles ne fondent pas dans la main alors que c'est faux ?
- Parce que tout le monde ment, répondit Zéphir.
Tous les ados savaient cela. Le fait de grandir n'était rien d'autre que d'essayer de se faufiler par des portes qu'on ne leur avait pas encore refermées en pleine figure. Pendant des années, les parents de Trixie avaient répété à leur fille qu'elle pouvait être ce qu'elle voulait, avoir ce qu'elle voulait, faire ce qu'elle voulait. C'était pour cela qu'elle avait tellement hâte de grandir - jusqu'à ce qu'elle atteigne l'adolescence et s'écrase contre le gros et grand mur de la réalité.
C’était le genre d’endroit où l’on pouvait entendre ses pensées s’entrechoquer dans son cerveau.
Ce n’est pas parce que l’on ne parle pas des faits qu’ils cessent pour autant d’exister. Garder le silence était simplement une façon de vivre plus paisiblement.
On n’est pas toujours celui qu’on croit. On n’est que ce que l’on prétend être et qu’on ne deviendra jamais.
Expliquer l’enfer prenait une toute autre dimension lorsqu’on se retrouvait soi-même en plein chaos.
Lorsque les choses semblent négatives ou incertaines, certaines règles doivent être respectées pour recommencer à y voir clair.
S’en souvenir, c’était reconnaître qu’il était déjà venu ici autrefois, malgré tous ses efforts pour se convaincre du contraire.