Citations sur Brouillard (13)
Le vieil homme ne renonce pas à se chercher, et se trouve peut-être.
Ecrire pour moi, pour l’unique plaisir de voir se former les mots sous ma main, de découvrir des vocables que je croyais ignorer, des tours de phrase inédits, des surprises. Il va de soi que consciemment ou non je puisais dans mes lectures à l’improviste, inspiré par une mémoire confuse, et le dictionnaire devait m’apprendre le sens réel du mot dont je m’étais servi. C’était un bonheur de se procurer son propre étonnement.
C’est que j’avais encore envie de vivre, et de voir passer les nuages, et d’écrire ceci, ou autre chose. Il arrive que la douleur soit en voie d’excéder mes forces. Mais je m’obstine, je tiens la fenêtre ouverte, au moins je respire et un chien aboie.
- Je suis psychologue. Chargée d'évaluer votre état ( elle n'ose pas prononcer " mental " ).
- Je vais très bien.
- On ne dirait pas ( mezza voce ).
- Lautréamont, Verlaine, Cros, Corbière...
- Des amis à vous ?
- En effet.
- Et votre famille. Vos parents.
- André Dhôtel, Henri Thomas.
- Épelez les noms, s'il vous plaît.
- Ouvrez un dictionnaire.
- Vous moqueriez-vous de moi ?
- Je suis très sérieux, au contraire.
- Recommençons, alors.
J'ai découvert le monde comme on se satisfait d'un leurre. Mon esprit critique ne pouvait guère se développer au-delà de la littérature et de ses à-côtés. J'ai découvert ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas, quasiment sans guide sinon mon grand-père, qui partageait mes goûts ou m'incitait à partager les siens. Est-ce là une éducation ?
Seule la nuit m’apparaissait comme immuable et je passais mes jours à l’attendre. Bien moins pour dormir que pour m’y creuser une tanière, avec un livre et une chandelle, à l’heure où tout se taisait dans la maison. J’avais appris tout seul à lire et à écrire, alors que se terminait la guerre. Au moins dois-je rendre à mes parents cette justice : la maison regorgeait de livres. Ce sont eux qui ont protégé mon enfance.
L'enfant coupable n'a tenté que rarement de me laisser en paix. L'adolescent " monstrueux " est toujours là, réduit à l'inactivité, au silence, mais planté en moi comme une statue du Commandeur. Nous n'évacuons pas nos déchets, ils seraient plutôt de nature à fermenter en nous comme du grain pourri.
Mais ce que j'écris là, avec quoi j'ai vécu jusqu'ici tant bien que mal, je n'aurais pu l'écrire plus tôt pour m'en délivrer. C'est le cancer moral qui doit avoir initié dans les parties sensibles de mon corps les métastases réelles que les médecins ont découvertes il y a peu de jours. Ce ne fut pas une surprise. Et en cherchant à me débarrasser avec la plume et du papier de ce chancre originel, je n'effectue que des prélèvements, je me livre à ma propre endoscopie mentale.
J'ai connu le bonheur, je l'ai fui. J'ignorais quel visage il montrait. Insatisfait, coupable, me voici déclinant vers la neige du temps, lourd de repentir et chargé du poids d'une existence que je croyais affranchie, et qui ne fut que ressassement.
C'est le seul moment du jour où je m'éprouve en vie avec une sorte de ravissement enfantin. La cigarette, le café fumant, le dessin gris bleuté des branches nues dans les jardinets. Le silence aérien. Il fait frisquet dans la cuisine et cela ne me gêne pas, moi qui ai toujours froid.
Une fumée blanche s'échappe d'un coin de la maison et s'évade entre deux sapins à la tête blanchie pour se mêler au ciel pâle. un chien noir traverse une pelouse.
J'ai cherché dans l'absence un remède à mes maux
[...] J'ai trouvé le silence et jamais le repos.
Evariste de Parny, Elégies
Cité par Jean ClaudePirotte