Robinette Broadhead est un drôle de bonhomme.
Déjà qu'il a gagné le gros lot à la loterie qui lui permet de s'extirper des mines. Il peut désormais se rendre à
La Grande porte, cet astéroïde géant dans lequel une civilisation inconnue et disparue, que les humains ont baptisé Heechees, a laissé un millier de vaisseaux spatiaux prêt à s'envoler pour l'espace profond...
Et là, il peut choisir un vaisseau dont les découvertes lui rapporteront peut-être une richesse infinie. S'il a de la chance... Ou arriver au beau milieu d'une supernova, ne pas revenir, ou alors en trop de morceaux sur les parois du vaisseau...
Bien plus tard, il semble que Robbie soit devenu immensément riche. Mais alors pourquoi a-t-il donc besoin de se précipiter chez Sigfrid von Schrink, son robot psychanalyste, en proie à des crises de larmes et à un désespoir qui ne semble pas vouloir le quitter alors que le monde est à ses pieds...?
La Grande porte est déjà un vieux roman de SF, certains ne passent plus la rampe des années. le style, l'imaginaire, les références en font des textes souvent datés, qui ont perdus de leur pouvoir d'évocation.
La Grande porte aurait pu être de ceux-là. Mais il s'agit avant tout d'un bon roman de SF.
Frederick Pohl articule son récit sur un savant va-et-vient entre le présent de narration qui permet de suivre Rob et de planter l'histoire les personnages et le décor, et un temps futur, où les tête-à-tête avec Sigfrid lui permettent de revenir sur les épisodes de son aventure.
Par un dispositif narratif proprement psychanalytique, que
Iain Banks reprit dans
L'usage des armes,
La Grande porte le roman, comme le lieu, apparaissent ainsi comme une métaphore de la vie, un lieu de passage. La vie comme une série de choix à faire plus moins à l'aveuglette (quel vaisseau choisir ? avec qui partir ?) en tentant de débrouiller quel est le moins pire des choix possibles à défaut d'être le meilleur. Rob tentera le non-choix croyant reculer l'inéluctable.
Les motifs qui habillent nos vies rêvées ne nous protègent ni ne nous préviennent du surgissement des moments clés qui font l'existence.
La Grande porte montre que ces moments ne sont que des déjeuners de soleil. le hapax existentiel advient sans crier gare, sans prévenir et fuit comme le sable à travers les doigts. On les rêve, on les attend, on les espère et ils sont déjà partis comme un train raté, ou plutôt comme celui que l'on ne pensait pas prendre. Après, les regrets sont éternels. Pour Robinnette, alors que l'argent coule à flots et que le succès est au rendez-vous, la nostalgie du temps passé, de cet entre-deux où tout est encore possible, de ce temps des possibles, et ce qui est advenu depuis, l'emporte et le submerge.
Il ne lui reste plus qu'à faire en sorte que le moins mauvais des choix possibles devienne le meilleur, jusqu'à élever un robot psychanalyste à l'envie de la condition humaine.
Tel Lord Jim ou Jacopo Belbo, il est des moments décisifs qui durent plus que le temps d'une vie.
La Grande porte est tout simplement un grand roman d'apprentissage et, pour moi, la matrice des "romans à entonnoirs", des oeuvres aux fils narratifs et aux temporalités entrecroisés, signe des grands romans.
Lien :
http://leslecturesdecyril.bl..