Citations sur Une mort qui en vaut la peine (63)
Une heure plus tôt il lui avait arraché le nez à l'aide d'un décapsuleur, et il s'assit à présent sur la couche pour lui annoncer que ce ne serait plus très long, qu'il l'achèverait cette nuit à la hache. Il continua de parler, même s'il n'était pas sûr que sa victime soit encore capable de l'écouter.
"Tu es le numéro sept, dit [...], pour beaucoup de gens, c'est un chiffre porte-bonheur, mais je parie qu'ils changeraient d'avis s'ils te voyaient en ce moment, tu crois pas ?"
- T'es l'éternel optimiste, toi, hein? Plaisanta-t-il.
- C'est quoi? Un des mots de ton dictionnaire?
- Ça veut dire quelqu'un qui ne voit que le bon côté des choses.
- Ma foi, il vaut mieux, je crois. Si tu pars battu, autant abandonner. Et pis on aura bien le temps de voir tout en noir quand on sera morts.
Voilà qui restait pour lui source d'étonnement: vous pouviez vous traîner misérablement, plongé dans la plus profonde des dépressions, et alors se produisait un petit incident merveilleux qui avait la faculté de changer votre vision des choses, d'arracher votre univers aux ténèbres pour l'exposer à la lumière, de vous rendre heureux de marcher encore sur cette terre.
Alors que, allongé sur son lit, il contemplait le plafond dans le noir, il se souvint qu’Esther avait grignoté un trognon de pomme pendant la totalité des soixante secondes où il s’était échiné sur elle. Il roula sur le côté avec un gémissement de détresse et tira le drap au-dessus de sa tête.
Bon sang, mais que croyait-il ? Tout un foutu boisseau d’œufs n’y aurait rien changé.
Merde, certaines nuits il avait toutes les peines du monde à atteindre le pot de chambre sans avoir un accident.
Il s’était mis en tête de défoncer Esther toute la nuit. Il la suivit dans l’une des tentes en se pavanant un peu, le torse bombé.
La suite se noyait dans le brouillard. Seigneur Jésus, il n’avait jamais rien connu de tel ! Son râtelier avait jailli hors de sa bouche quand il avait balancé la purée.
La grosse fille était semblable à ces trayeuses ultramodernes avec lesquelles Carl Mendenhall remplaçait tous ses commis et il aurait été incapable de se retenir, même si sa vie en avait dépendu.
Ses doigts tremblaient à la simple pensée de la réaction de Francis Gilbert si les voleurs réussissaient à s’enfuir : il l’avait vu une fois harceler un employé nommé Henry Loomis jusqu’à le pousser au suicide pour une erreur de seize cents dans les comptes.
Il était convaincu que les parents qui ne flanquaient pas au moins une fois par semaine une rouste mémorable à leur progéniture rendaient un bien mauvais service au monde et il était aujourd’hui reconnaissant à son père d’avoir suivi ce précepte. Certes, cela avait peut-être été douloureux sur le coup mais, sans le ceinturon paternel, Zimmerman se dit qu’il aurait pu finir comme cet insupportable pleurnicheur de Crank ou – Dieu l’en préserve ! – comme ce débile de Ballard, avec sa grande gueule.
— Monsieur, intervint Crank, s’il suffisait d’être stupide pour ne pas être pris dans l’armée, il ne resterait plus assez d’hommes à Camp Pritchard pour faire la vaisselle à la cantine.
Non, il avait pensé à ses retrouvailles avec Junior, au plaisir de lui parler pendant qu’il travaillait. Bagshaw, le gardien de la décharge, était peut-être cinglé, avec sa copine la poupée et ses légumes pourris, mais il avait raison. Jasper se délectait à l’avance de ce moment, celui de revoir son ami. Son ami. Il le dit à voix haute. « Il est mon ami ». A l’exception d’Itchy, il n’avait jamais connu quelqu’un qu’il aurait pu décrire ainsi, sauf si vous incluiez son oncle le fabricant de balais, et il n’était pas sûr du tout qu’un parent compte. D’accord, on peut s’offrir des waters vachement chouettes avec cinq mille cinq cents dollars – Christ tout puissant, il pourrait en installer dans chacune des pièces de la maison qu’il lui resterait encore de l’argent -, mais combien valait un ami ? Impossible de mettre un prix sur l’amitié, même avec la meilleure volonté du monde.
De temps à autre, il prenait le bocal contenant la collection de dents qu'il avait réunie au fil des années et le secouait. C'était un son qui l'apaisait invariablement, car il lui rappelait celui du hochet que sa mère lui avait fabriqué à partir d'une coloquinte quand il était petit.