La Veille
La pluie épaisse dans la nuit
Partout piétine à petit bruit.
Chaque rafale qui se penche
Entoure un cou
De son bras mou,
Se relève et froisse une branche
On ne sait où.
L'ombre en bas filtre et s'écoule
Et murmure un long secret ;
L'ombre en haut résonne et roule
Il pleut sur une forêt.
L'eau du ciel s'abat sur la terre
De tout son poids,
Du même sombre élan qu'elle avait autrefois.
Quand les premiers humains s'étonnaient dans les bois
De son triste mystère.
Et le vent, c'est le même vent
Dans les feuilles obscures.
Nous avions vu pleuvoir et venter bien souvent.
Mais savions-nous auparavant
Combien les averses sont dures?
Les hommes n ont-ils plus comme les animaux
Qu'un couvert de pauvres rameaux ?
Quel destin les condamne à ployer sous l'automne,
Et, rêvant jour et nuit des anciennes maisons,
A contempler sans fin la face monotone
Des marâtres saisons?
Le petit jour, jaunâtre et mou
Comme une eau lourde entre les sables,
Les trouve assis, méconnaissables,
Une quinzaine dans un trou.
Leur uniforme a pris la teinte
Des sacs de terre et des remblais ;
Leur voix qu’on pouvait croire éteinte
Est sourde au fond de leur palais.
Leur langue avec peine articule
De rares mots, rauques et lents :
Le nom d’un mort parfois circule
Entre les casques ruisselants.
François Porché, lu par Yvon Jean