La passion du dictionnaire – cet ordre raisonné de la langue, de la pensée et, par conséquent, du monde – explose, depuis quelques temps, dans le monde de l'édition. Bien entendu, il y a l'excellente collection des « Dictionnaires amoureux » chez Plon, permettant à des experts de laisser libre cours à leur érudition sur cinq cents pages (voire plus). Les thématiques sont de plus en plus pointues et font le catalogue de tous les intérêts, toutes les marottes, toutes les obsessions, toutes les étrangetés. Aussi s'il existait un «
Dictionnaire amoureux du Rock » par
Antoine de Caunes, ce «
Dico du Disco » vient combler un vide sur l'histoire de la musique populaire de ces quarante dernières années.
Le disco. Voilà, le gros mot est dit. Mais à peine l'avez-vous lu que, pêle-mêle, des images surgissent (pour d'autres, ce sont carrément des souvenirs) : Divine sur la scène du Garage à Bruxelles, les boules à facettes, John Travolta, le play-back d'
Amanda Lear, les pantalons à pattes d'éléphant, les rouflaquettes, Saturday Night Fever, les cols de chemise en pelle à tarte… sans parler des ploucs de ma campagne imitant les chorégraphies de Claude François, le samedi soir. Oui, tout cela, et bien plus encore, se trouve dans les notices de cette anthologie, préfacée par Patrick Juvet (qui n'a toujours pas trouvé les femmes, le pauvre !). Evidemment, les artistes se taillent la part belle, si bien que j'ai retrouvé les chansons de mon adolescence, mais découvert également des « trucs » assez inattendus dans une discothèque. Un CD de 18 titres permet de se remettre quelques mélodies dans l'oreille. Sinon, faites comme moi, jetez-vous à corps perdu sur un site de vidéos, le livre ouvert à côté de votre écran.
Pour les néophytes, le disco est né au début des seventies. Et il finit plus ou moins au moment de l'émergence du mouvement punk. Une musique pour danser et, pour cette raison, elle met en avant un rythme binaire de tempo assez rapide. Une musique pour la fête, joyeuse, sensuelle, voire lascive. En fait, vous retrouvez cela, actuellement, dans la musique de Daft Punk (avec comme invité
Nile Rodgers du groupe Chic). Les adolescents d'aujourd'hui écoutent les vinyles de leurs parents et redécouvrent « Heart of Glass » de Blondie. Donc, se suivent au hasard de ma lecture, Grace Jones, Donna Summer, Diana Ross, Labelle, Pointer Sisters, Sisters Sledge, Rose Royce … pour le meilleur, mais également l'insupportable Alicia Bridges, Village People, The Ritchie Family, Santa Esmaralda, pour le pire. Dans la foulée, les deux auteurs,
Alain Pozzuoli et
Jean-Marie Potiez, ressortent des limbes des gloires bien belges : Trinity (dont j'avais oublié l'existence), Two Men Sound (champions des reprises de chansons brésiliennes), Les Chocolat's ou
Plastic Bertrand (le faux punk !) Un autre intérêt de ce dictionnaire est de présenter différents chapitres « spécialisés » : le disco et le cinéma (super bien fichu ! hyper documenté), le disco et le jazz (bien plus de liens qu'on ne l'imagine… tiens, c'est Eartha Kitt), les discothèques et leur mode de vie, le disco en Italie. Mais le plus drôle, le plus kitsch musicalement parlant, reste le chapitre consacré aux artistes ayant enregistré quelques morceaux disco, sacrifiant ainsi à la mode et s'éloignant de leur univers habituel. La palme du fou rire à Adamo avec « Je danse » : dans la vidéo, c'est évident, il n'y croit même pas ! La palme de la réussite aux Rolling Stones avec l'increvable « Miss You » et sa ligne de basse implacable.
Un constat : un grand nombre des personnalités citées ne sont plus de monde. le temps, hémophile, coule. Trop vite. le disco est intimement lié au monde de la nuit, aux années sans SIDA, aux excès en tous genres. Et aujourd'hui, avec le recul, je trouve toujours beaucoup de ces morceaux très ringards (d'autres diront cultes) mais je dois reconnaître cette musique était moins innocente qu'elle n'y paraissait à l'époque. Elle était l'occasion pour beaucoup de gens s'amuser sans aucun ostracisme. A l'entrée du Palace, une salle de spectacle parisienne, Farida laissait entrer les personnes les mieux « lookées » sans se soucier de leur race, de leur rang social, de leur sexualité. le disco a permis à beaucoup de minorités de s'exprimer. Les gays : Silvester, Paul Jabara, Patrick Cowley, Allain. Les blacks : Chic, Boney M, Eruption, Gloria Gaynor, The Jacksons. Les femmes : Melba Moore, Karen Young, Madleen Kane et
Amanda Lear (quoique !). Elle évoluera d'ailleurs vers une sorte de métissage entre les musiques blanche et noire pendant les eighties : Prince, Bronski Beat, les Pet Shop Boys, la période Compass Point de Grace Jones. Une sorte de syncrétisme entre le rythme du disco et les guitares du rock : en un mot, la Dance. Pour revenir sous d'autres formes : la house, la techno… sans parler du revival de ces dernières années.
Les textes ? Là, c'est une autre paire de manches. Entendre Jennifer (l'épouse de Gérard Lanvin) susurrer « Do it for me » vous donne l'illusion d'être anglophone sur le bout des doigts. Et que dire de « IIIIIIIIIIIIII Love to Love You Baby » répété inlassablement par Donna Summer, pendant 17 minutes, le tout entrecoupé de gémissements, de râles rauques et de petits cris. Cette chanson, en fin de compte, est un hymne disco annonçant la mode des versions longues, très (trop) longues, destinées aux boîtes de nuit. Donna Summer s'est vue coller une étiquette de « bombe sexuelle » (Imaginez : 22 orgasmes en 17 minutes) alors qu'elle était bien éloignée de cela, la Diva des gays. Bref, ce n'est jamais très intelligent (sauf les textes d'
Amanda Lear) et même Chic pèche en ce domaine.
Restent les looks. Oui, oui, je veux parler des costumes de scènes, dont certains étaient très improbables, et pourtant ils furent réalisés. Les trois chanteuses de Labelle, tout en lycra et en plumes. le dos vertigineusement dénudé de Raffaella Carra. Les membres de Boney M, soit en gangsters de la prohibition, soit en esclaves enchaînés. Sheila (qui chantait avec beaucoup de Dévotion) en combinaison argentée. Les Village People, avatars inattendus des personnages de Tom of Finland (le côté hyper sexué en moins), du motard au marin. Patrick Hernandez, la canne à la main. Patrick Juvet, se prenant pour Bowie, jouant de l'ambiguïté de son physique, à grands renforts de maquillage et de diamants. Tout est fashion. Tout est propre. Tout est clinquant. Tout est cheap, également.
En conclusion, je salue sincèrement le travail de documentaliste nécessaire à la rédaction d'un tel ouvrage. Il a dû être long, très long. Puis les notices sont ni trop importantes, ni trop succinctes. Enfin, l'abondante iconographie est un véritable régal. Tout amateur de musique, de culture populaire et, quelque part, de sociologie devrait posséder ce dictionnaire dans sa bibliothèque.