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Citations sur Les Lointains de l'air : A la recherche d'Ana María Mar.. (12)

PAR LE FLEUVE ARRIVAIT

Ton corps brun arrivait,
dans l'eau rosée du fleuve.
Un vent, muet de chagrin,
tordait les oliviers gris.
Ton corps brun arrivait,
immobile et froid.
L'eau, en chantant, passait
entre tes doigts rigides.
Tu arrivais, si pâle,
soldat, dans le fleuve!
La bouche fermée, les mains glacées,
La peau pareille au lys;
et une plaie rouge, sur le front blanc,
et une lumière d'aurore, dans les yeux purs...
Quelle mort que la tienne, soldat du peuple,
courageux milicien, coeur ami;
quelle mort si douce, cent bras d'eau
noués autour de ton visage livide!
Tu n'arrivais pas mort sur l'eau claire;
sur l'eau claire, tu arrivais endormi:
un oeillet grenat, sur la tempe de neige,
et dans les yeux tranquilles, deux astres vifs.
Qu'il est pâle et froid,
ton corps brun qui arrivait
sur l'eau rosée du fleuve!

(Inédit. Ecrit pendant la Guerre civile.)
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Ces sbires maudits savaient que Durruti était beaucoup plus qu'un homme et beaucoup plus qu'un mythe: il avait le désir intransigeant de liberté, cette nostalgie de rébellion qui nous rend immortels et purs. Tout ce qu'il laissa à sa mort, ce fut une mallette en cuir de Cordoue crasseux avec quelques vêtements sales et un nécessaire de rasage: un morceau de savon à barbe, un rasoir Gillette édenté qui venait difficilement à bout de sa barbe drue et un blaireau qui perdait ses poils. Existe-t-il un plus grand exemple de pauvreté? Mais son héritage s'adressait à l'esprit, et il demeure dans le mien.
Je me rendis à Barcelone pour écrire la chronique de son enterrement. Le drapeau rouge et noir couvrait son cercueil qui défila dans les rues de ma ville, bondées de centaines de milliers de personnes indifférentes à l'inclément ciel pluvieux, psalmodie liquide qui nous trempait jusqu'aux os, mais ne parvenait pas à ramollir notre ardeur.
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Le désir d'en apprendre davantage sur le compte d'Ana María Martínez Sagi n'était plus maintenant une simple affaire d'archéologie littéraire, mais, me semblait-il, une mission qui valait qu'on lui consacrât toute une vie, ou du moins à laquelle je pouvais vouer la mienne, trop mortifiée par le manque de perspectives et la stérilité qui me guettait. Je m'étais lancé dans ma recherche mû par une logique égoïste retorse, où le sauvetage d'une poétesse oubliée était supposé, en manière de récompense ou de compensation, pouvoir conjurer le danger d'être à jamais ignoré qui pesait sur moi. Depuis qu'Ana María Martínez Sagi était sortie du pays nébuleux que hantent les fantômes, grâce à la découverte fortuite de ses contributions à la revue Crónica cet intérêt égoïste s'était mué en une responsabilité exaltante.; Ana María Martínez Sagi avait acquis une dimension spécifiquement humaine; son image incluait, au-delà des traits anecdotiques ou pittoresques, les inquiétudes et les désirs d'une femme en avance sur son temps, soucieuse d'affranchir les autres femmes de l'opprobre séculaire et quotidien qui pesait sur elles. Ses campagnes en faveur du suffrage féminin, son rejet des privilèges de classe, sa défense exaltée du sport en tant que moyen d'émancipation féminine, son adhésion aux idéaux républicains (qui n'allaient cependant pas jusqu'au prosélytisme obtus), sa sympathie envers les défavorisés (d'autant plus méritoire que tout semblait indiquer qu'elle était issue d'un milieu aisé) et la sincérité ingénue et sans ambages, parfois d'une franche véhémence, avec laquelle elle affichait ses convictions, faisaient d'elle le symbole et le fer de lance d'une génération de femmes attachées à la modernité qui rejetaient les vieilles hiérarchies sur lesquelles reposait la suprématie du mâle.
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Un tailleur de pierre charitable, habitant d'une cabane nichée entre les montagnes, me fit une petite place dans le coin de l'étable où il mettait sa mule, une bête criblée de puces qui partagea avec moi se hôtes, mais aussi un peu de sa chaleur presque humaine. La fatigue fut plus forte que les démangeaisons des piqures, et je m'endormis. A Cerbère, les douaniers français, sous prétexte de réprimer la contrebande, dépouillaient les exilés espagnols des quelques objets de valeur qui leur restaient. Personne ne me dépouilla car je ne portais rien, hormis mon manteau infesté de puces.
Je baisai la terre de France, au goût âcre et glacial, d'une humidité très antique qui semblait monter de je ne sais quelles catacombes. Les jambes engourdies, titubante et au bord de l'inanition, j'arrivai aux abords de Perpignan, où une famille de quakers avait arrêté sa charrette et attendait les réfugiés pour leur distribuer quelques paroles de consolation et un sandwich destiné à tromper les ventres creux. Je pris celui que me tendaient des mains gantées de lividité et d'engelures, c'était un simple quignon de pain étouffant une sardine à l'escabèche au goût rance et vinaigré, mais qui fut pour moi pure ambroisie. Je tournai une dernière fois mon visage du côté de l'Espagne, ce désert à peine visible entre les falaises de neige au sein desquelles mes illusions étaient demeurées captives, et je pleurai sa perte, et je pleurai de rage et de dépit, brusquement consciente de n'avoir plus de patrie. Trente ans allaient passer avent que je puisse à nouveau fouler le sol qui m'avait vue naitre.
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Cette classe moyenne à laquelle Ana Maria Martinez Sagi se flattait d’appartenir était celle qui appelait de ses vœux le renouveau promu par la République, dont l’un des objectifs était de dépouiller - sans doute trop précipitamment - les classes les plus privilégiées et les plus fières de l’être.
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"« Voulez-vous que je vous accompagne jusqu’à votre chambre ? demanda la patronne avec une servilité famélique.
- Ne vous dérangez pas, dit Tabares, je connais le chemin. »
Il fallait traverser un corridor obscur au plafond très haut, où l’on aurait pu installer une balançoire ou une potence. Nous dépassâmes les toilettes communes, où un client se gargarisait comme s’il cherchait à expulser des flegmes malins ou un cancer du larynx. Embusquée au fond du couloir, la suite nuptiale choisie par Tabares n’avait qu’une lucarne donnant sur une cour intérieure qui escamotait la lumière, aussi étroite qu’une gouttière le long de laquelle glisseraient les suicidés. Un lavabo, dont les robinets étaient si déglingués qu’il fallait pour les faire fonctionner un don de sourcier, était adossé au mur, ainsi qu’un miroir qui perdait son tain pour ne pas être témoin des baises désespérées ou abominables qui se commettaient dans la chambre."
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À la vie oisive et futile des classes les plus favorisées, sans autre perspective que la répétition abrutissante des conventions snobs, Ana Maria opposait un autre mode de vie, qui donnerait à la femme un rôle intellectuel, et l’érigerait en moteur de son époque, vie nouvelle qui la libérerait de la camisole de comparse que la distribution des rôles sociaux lui avait attribuée, et lui garantirait l’accès à de nouvelles formes de féminité que le tourbillon de l’Histoire rendait accessibles, du moment qu’elles ne conduisaient pas à l’esclavage et à la dissipation frivole. Portée par ce désir d’éveiller en ses sœurs des intérêts plus élevés que la simple apathie conjugale et la jacasserie autour du feu, Ana Maria...
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Ana Maria Martinez Sagi avait acquis une dimension spécifiquement humaine ; son image incluait, au-delà des traits anecdotiques ou pittoresques, les inquiétudes et les désirs d’une femme en avance sur son temps, soucieuse d’affranchir les autres femmes de l’opprobre séculaire et quotidien qui pesait sur elles. Ses campagnes en faveur du suffrage féminin, son rejet des privilèges de classe, sa défense exaltée du sport en tant que moyen d’émancipation féminine, son adhésion aux idéaux républicains (qui n’allait cependant pas jusqu’au prosélytisme obtus), sa sympathie envers les défavorisés (d’autant plus méritoire que tout semblait indiquer qu’elle était issue d’un milieu aisé) et la sincérité ingénue et sans ambages, parfois d’une franche véhémence, avec laquelle elle affichait ses convictions faisaient d’elle le symbole et le fer de lance d’une génération de femmes attachées à la modernité qui rejetaient les vieilles hiérarchies sur lesquelles reposait la suprématie du mâle. Une génération immolée par la Guerre civile, condamnée à finir dans la fosse où croupissent les utopies. Cet échec prévisible rendait son sacrifice plus héroïque et généreux.
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Restituer l’exemple de ces femmes qui, comme Ana Maria Martinez Sagi, avaient voulu assainir une Espagne trop enkystée dans ses atavismes me parut être une tâche magnifique. Jamais je n’avais songé que la littérature pouvait être autre chose qu’une vocation aussi intime qu’exigeante : un engagement dans ou contre la réalité, et aussi l’émissaire d’une réalité différente, à peine pressentie et peut-être inaccessible. Il en était allé ainsi pour Ana Maria Martinez Sagi, du moins dans son travail de journaliste, et il allait en être de même pour moi, dès lors que je brisais la conspiration du silence qui l’entourait, que j’essayais d’exhumer une aventure peut-être insensée, et d’emblée condamnée à l’échec pour avoir cherché à corriger l’Histoire. De plus, j’avais connu Jimena, ce qui démontrait aussi que la littérature peut servir la (« vraie ») vie.
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Être la proie de la lassitude et de l’aboulie (une sorte d’apathie), c’est endurer une torture morale inouïe. Ne pas trouver à la vie un sens aimable et intéressant, un enchantement et une séduction puissants, ce doit être très douloureux et très triste. Ne pas vivre pour atteindre non pas n’importe quel idéal mais le sien, pour caresser quelque beau mensonge, pour diriger ses désirs et ses efforts vers l’un ou l’autre de ces leurres enchanteurs grâce auxquels la vie nous trompe si pieusement, doit être très accablant. C’est un mal terrible que cette lassitude, alors que les sentiers s’empourprent de roses et que la torche de la jeunesse flambe dans les mains levées. Châtiment cruel, que celui de se sentir prématurément vieux, sceptique et indifférent, de se savoir sombre et stérile alors que du vaste ciel nous arrivent la clarté et les chimères, et que la vérité se trouve dans les yeux émerveillés des enfants.
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