La grosse lapine tachetée a mis bas plus tôt que Théodore ne l'espérait. L'un de ses petits est mort.
Théo contemple le petit cadavre allongé sur sa paume : corps glabre, bleuâtre, tête aux oreilles molles, au museau aplati, aux yeux fermés. Il semble résumer les espoirs avortés de toute vie.
Le vieil homme dépose la chose inerte à terre, et il entreprend de consoler la mère qui se tasse contre le mur, apeurée, cachant sous son ventre sa progéniture enfouie dans la paille. Théo fouille dans la cage, plonge sa main, dans la litière salie souillée de glaires et de sang. Sous ses doigts, il sent le grouillement tiède des petites bêtes à la peau trop fine. Il se met à caresser le flanc de la lapine.
La terrasse étroite et longue, éclairée par la lune, a des teintes douces ; elle ressemble une grande tombe jonchée de fleurs.
Parée de pied en cap, sanglée dans le satin à reflets presque mordorés, Mme Bernardini ressemble à un énorme scarabée ventru.
Elle avait quinze ans, seize; on l'élevait, dans tous les sens du mot. Elle se laissait faire.
Rien n'arrive, n'arrivera, et le temps passe, uni, car tout est advenu : devant elles il n'y a plus qu'une aventure qui est leur mort. Elles sont très âgées. Arrêtées et comme ensablées, elles existent petitement. Elles tirent leur subsistance de leur inépuisable - et parfois trompeuse - mémoire.
C'est par amour qu'on tue les biches et les palombes, pour les posséder durant l'instant unique où le cœur du chasseur et le cœur de la proie battent à l'unisson, où le sang de la bête et la sueur de l'homme scellent une passion douloureuse et désespérée.
Toute une journée d'été s'échappe de la théière. On dirait que reculent les murs et les tentures du salon suranné, que disparaissent les sofas, les sièges contournés, les lourds tableaux aux cadres riches. L'automne triste a fui, et les années qui pèsent; on croirait que des rires de jeunes filles vont fuser, que la vie commence, que la vieillesse n'existe pas.
Les vieilles dames ne parlent plus ; elle rêvent, laissant fondre le sucre au fond des tasses à thé.
Laure se déshabillait et se couchait en soupirant. Abandonnée sur un fauteuil, la belle robe luisait sous la lumière de la lune, pareille à une grande fleur coupée.
Elle a repris son journal. Puis, elle raturait les phrases qu'elle jugeait trop audacieuses; mais elle les savait là, cachées sous une épaisseur d'encre, et elle les caressait du doigt.
Il portait une de ses robes de chambre de cachemire à ramages compliqués, lâchement retenue à la taille par une cordelière de soie. Le poil sombre, lustré, il ressemblait à un pirate amolli par le luxe. Sans hésiter, Laure est devenue amoureuse de lui.