On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses.
On refuse dédaigneusement, à cause de ce qu'on aime aujourd'hui, de voir ce qu'on aimera demain
Un changement de temps suffit à recréer le monde et nous mêmes.
On n'est plus personne. Comment, alors, cherchant sa pensée, sa personnalité comme on cherche un objet perdu, finit-on par retrouver son propre moi plutôt que tout autre ? Pourquoi, quand on se remet à penser, n'est-ce pas alors une autre personnalité que l'antérieure qui s'incarne en nous ?
Longtemps je me suis couché de bonne heure.
Alors, je connus mon bonheur.
Car à l'être que nous avons le plus aimé nous ne sommes pas si fidèle qu'à nous-mêmes, et que nous l'oublions tôt ou tard pour pouvoir - puisque c'est un des traits de nous-même - recommencer d'aimer. Tout au plus à cet amour celle que nous avons tant aimée a-t-elle ajouté une forme particulière, qui nous fera lui être fidèle même dans l'infidélité. Nous aurons besoin avec la femme suivante des mêmes promenades du matin ou de la reconduire de même le soir, ou de lui donner cent fois trop d'argent. (Une chose curieuse que cette circulation de l'argent que nous donnons à des femmes, qui à cause de cela nous rendent malheureux, c'est-à-dire nous permettent d'écrire des livres - on peut presque dire que les œuvres, comme dans les puits artésiens, montent d'autant plus haut que la souffrance a plus profondément creusé le cœur.)
Swann, lui, ne cherchait pas à trouver jolies les femmes avec qui il passait son temps, mais à passer son temps avec les femmes qu'il avait d'abord trouvé jolies
P. 160 (édition Quarto Gallimard)
Les niais s’imaginent que les grosses dimensions des phénomènes sociaux sont une excellente occasion de pénétrer plus avant dans l’âme humaine ; ils devraient au contraire comprendre que c’est en descendant en profondeur dans une individualité qu’ils auraient la chance de comprendre ces phénomènes.
Mais la caractéristique de l'âge ridicule que je traversais -- âge nullement ingrat, très fécond -- est qu'on n'y consulte pas l'intelligence et que les moindres attributs des êtres semblent partie indivisible de leur individualité. Tout entouré de monstres et de dieux, on ne connaît guère le calme. Il n'y a presque pas un des gestes qu'on a faits alors, qu'on ne voudrait plus tard pouvoir abolir. Mais ce qu'on devrait regretter au contraire, c'est ne ne plus posséder la spontanéité qui nous les faisait accomplir. Plus tard on voit les choses d'une façon plus pratique, en conformité avec le reste de la société, mais l'adolescence est le seul temps où l'on ait appris quelque chose.