[...] j'essayais de trouver la beauté là où je ne m'étais jamais figuré qu'elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des "natures mortes".
Ce n'était pas la première fois que je sentais que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes.
Alors je connus cet appartement d'où dépassait jusque dans l'escalier le parfum dont se servait Mme Swann, mais qu'embaumait bien plus encore le charme particulier et douloureux de la vie de Gilberte.
Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes. Il les consulte d'instinct en s'éveillant et y lit en une seconde le point de la terre qu'il occupe, le temps qui s'est écoulé jusqu'à son réveil ; mais leurs rangs peuvent se mêler, se rompre.
J'ai dit qu'Albertine ne m'était apparue, ce jour-là, la même que les précédents, et que chaque fois elle devait me sembler différente. [...] Ce soir-là la croyance, puis l'évanouissement de la croyance, que j'allais connaître Albertine, l'avait à quelques secondes d'intervalle rendue presque insignifiante puis infiniment précieuse à mes yeux.
A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleur.
Cet art était devenu mince et minable. Aucune âme profonde ne l'habitait plus.
Moi je dis que la loi cruelle de l'art est que les êtres meurent et que nous-mêmes mourions en épuisant toutes les souffrances, pour que pousse l'herbe non de l'oubli mais de la vie éternelle, l'herbe drue des oeuvres fécondes, sur laquelle les générations viendront faire gaiement, sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur "déjeuner sur l'herbe".
Oh, merveilleux arts , qui nous font tant de bien, comme de tourner les pages d'un très bon livre !! fermons pendant un petit moment , les portes du monde réel!!!!
"(...) Je vais être obligée de me servir de tout le courage que tu n'as pas".
(Madame de Sévigné).
[À l'ombre des jeunes filles en fleurs]
Dans leurs robes longues, sous leurs grands chapeaux, elles avaient l'air d'appartenir à une autre humanité qu'Albertine.