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Comme tous les diamants, l'intégrale présente de multiples facettes à ses lecteurs. On peut y voir, entre beaucoup d'autres choses, une somme sur l'amour, un ouvrage de critiques d'art, une illustration de la philosophie de Bergson et un chef d'oeuvre comique. Mais Marcel Proust a aussi dressé un fabuleux tableau de la société française de son temps. Et si les milieux populaires n'apparaissent presque que sous la forme de domestiques, les beaux quartiers, les salons et les lieux de villégiature forment le cadre du roman. On rit des snobs et des parvenus. On dîne avec des diplomates et des cocottes. Et quand on sort du faubourg Saint-Germain, c'est pour décrocher les premiers téléphones, et se rendre en train à Venise ou monter dans les premières voitures. C'est chez lui qu'on trouvera la plus subtile description des classes supérieures des débuts de la 3ème République jusqu'à la grande guerre.
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Celui qui s'engage dans la lecture d‘À la recherche du temps perdu sait qu'il devra y allouer, au minimum, quelques mois. Et il est possible que dès les premières pages, les premières phrases, le lecteur soit envoûté par ces réflexions énigmatiques, vaporeuses sur le sommeil, qui ébauchent, échafaudent d'immenses fondations pour quelque chose d'encore abstrait, motivées par une ferme promesse de grandeur et de transcendance. Les pensées disparates, teintées d'ensommeillement, du narrateur ; et puis, une riche mélancolie, née de la confusion que le sommeil, en disparaissant, crée entre les sens et la mémoire, celle d'un homme mûr qui a suffisamment vécu.

Le projet de Proust (du moins une partie) devient rapidement assez clair : traduire les abondantes impressions chaotiques et absconses qui ont composé tout son esprit et son imagination en mots intelligibles pour le lecteur. Et pour être exhaustif au maximum, il faut retourner au début, à Combray pour le narrateur, petit village dans lequel il passait ses étés d'enfance, et commencer ici à décrire ses tristesses, ses émerveillements, ses rêves, ses habitudes… le projet ici est d'être fidèle, le style ne sera pas économe, ne laissera passer aucune nuance, sera en somme transparent : la langue sera poussée dans ses derniers retranchements : la grammaire et la syntaxe étirées jusqu'aux limites de ce qu'elles tolèrent, les champs lexicaux épuisés, tout, pourvu seulement que ses phrases résonnent chez le lecteur.

Les souvenirs, le passé que content le narrateur, prennent, à mesure de la lecture, une étrange mélancolie, qui ne semble pas totalement venir du livre. le lecteur lit une fiction, il le sait. Et pourtant, bien que le passé conté ne soit qu'imaginaire, il est si transparent, si facilement transposable à ses souvenirs – À la recherche du temps perdu pousse le lecteur à une introspection réellement profonde, il réexplore, retrace son vécu avec une clarté nouvelle, en mettant des mots sur des tristesses, des joies, des craintes rarement descriptibles ou même définissables – que naît chez le lecteur une insidieuse confusion schizophrénique entre les souvenirs réels et imaginaires (un des grands axes de la Recherche, justement – le livre diagnostique les effets qu'il administre – en effet, ne font-ils pas maintenant partie du vécu du lecteur ?). Les visages et les souvenirs de la Recherche se sont mélangés avec ceux que le lecteur puise de son vécu, et maintenant, quand le narrateur repense avec nostalgie à son amour d'enfance, le lecteur, inconsciemment, repense au sien, duquel il a prêté les traits à celui du narrateur. Et ce passé composite, bâtard, en prenant racine dans la temporalité de la vie du lecteur et de celle de la Recherche – volontairement floue – gagne un caractère extratemporel : de quand ces souvenirs datent-ils ? Alors bientôt, il se retrouve nostalgique de ces souvenirs qui ne lui appartiennent pas, pas complètement, ou plus, peut-être qu'il les a oubliés, peut-être aussi qu'il les vivra : il semblerait qu'il vive la vie, les souvenirs, de quelqu'un d'autre, trop intangibles pour pouvoir complètement se fondre dans les siens, et qui restent quelque peu flottants dans sa mémoire, imparfaitement fusionnés à ses souvenirs, desquels ils forment une prodigieuse excroissance.

Perdu dans des immensités encore indistinctes, agité, torturé, par l'analyse chirurgicale de son être, le lecteur semble complètement démuni. Mais, errant dans ce brumeux désordre, il sait que sa première impression était vraie, il se rappelle les fondations qu'il a aperçues il y a quelques semaines, ou quelques mois (tous les lecteurs ne lisent pas au même rythme), et continue, euphorique, déterminé. Son instinct ne l'a pas trahi : les fondations s'édifient en piliers, le brouillard se dissipe et la cathédrale se dévoile. Proust a architecturé quelque chose de formidable. Deux piliers convergent, se rejoignent en une voûte inattendue et, passé la surprise de l'union de deux éléments pourtant assez hétérogènes, parfaite. Certes, le flou paraît toujours omniprésent, il reste encore des milliers de pages, mais tout retombera toujours parfaitement dans la totalité de la Recherche. Et c'est empli d'allégresse que le lecteur s'élance à continuer son exploration, sa découverte : un élégant contrefort, finalement essentiel à la stabilité de la structure, un nouvel accès menant à la nef centrale, une antichambre exotique dont il n'avait pas vraiment saisi la fonction lors de son premier passage ; extatique, blasé, amusé, tourmenté, épuisé, le lecteur ne s'arrête pas, ne peut pas s'arrêter, pas avant d'avoir vu la cathédrale aboutir, pas avant d'avoir retrouvé le Temps perdu.

Et quand le lecteur ressort, referme la cathédrale, la repose sur sa table de chevet, il sait que c'est pour en profiter et se l'approprier différemment. L'oeuvre a durablement impacté sa réalité. Elle possède une quantité énorme et dense de matière objective, mais pour le lecteur un petit peu investi, elle ouvre un infini. La spontanéité et la facilité apparentes avec lesquelles Proust extrait de la beauté de choses banales et communes est une invitation à la créativité. La Recherche expose tacitement au lecteur une méthodologie pour construire ses propres métaphores, hyperboles, personnifications à partir de n'importe quoi et exacerber au maximum chaque impression un peu originale. Une heure morne de la journée du lecteur se retrouve éclairée par les quelques petits mots qu'il ébauche mentalement pour embellir l'impression d'une rocade bruyamment encombrée ou dépasser la beauté d'une charmante inconnue. L'important n'est pas d'ailleurs que ces rêveries volatiles dépassent les heures dans lesquelles elles ont été assemblées, mais plutôt de leur donner une identité, une singularité. En s'accumulant, elles finiront par émailler la mémoire du lecteur d'images suffisamment éclectiques pour la mystifier et la colorer, pour consoler certains regrets par la poésie qu'elles rendent possible.

Ce lecteur, c'est n'importe qui de suffisamment intéressé par La Recherche pour y allouer le temps et les efforts particuliers qu'elle requiert. Les thèmes sont universels. Il n'y pas d'engagement : ne lire que le premier tome apporterait déjà infiniment. Se laisser porter par sa beauté et ses réflexions ou essayer de déchiffrer et cartographier ses énigmes semblent deux façons également légitimes de l'aborder, à condition de rester suffisamment investi pour ne pas se perdre.

Tout ce qu'il faut retenir finalement, c'est que chaque effort vous sera rendu au centuple.
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Impressions d'enfance
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Entre l'incipit, « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », et les derniers mots, « dans le Temps », il s'écoule quelque 3 000 pages.
C'est pendant la lecture de « Sodome et Gomorrhe », quatrième volume de « La Recherche », que j'ai constaté qu'il serait vain de commenter les sept tomes indépendamment les uns des autres.
Le chef-d'oeuvre de Marcel Proust forme en effet un tout.
Inutile aussi de résumer cette somme peuplée de centaines de personnages et de lieux.
Je vais donc me contenter de livrer quelques impressions ressenties tout au long de cette lecture qui est avant tout une expérience extraordinaire, une plongée dans le Temps et la mémoire.
J'ai beaucoup aimé le procédé qui décrit le narrateur en train de devenir un écrivain et, pour se faire, le transforme en un voyeur armé d'un kaléidoscope pour traduire la complexité du monde. Avec Proust, on a l'impression que seule la fiction permet de saisir le réel dans son intégralité.
En lisant « La Recherche », on se sent hypnotisé par la beauté et le rythme des phrases.
Proust a décrit comme personne le sentiment amoureux et la jalousie.
Bien que son oeuvre soit injustement considérée comme ardue et réservée aux érudits, elle est avant tout le creuset des impressions et des sensations versus les idées et l'intellectualisation.
Ses descriptions des salons mondains, du processus de remplacement de l'aristocratie par la bourgeoisie et du vieillissement inexorable sont un régal d'humour et de cruauté.
En conclusion, parce que personne n'a jamais écrit de cette manière avant lui, Proust a, sans conteste, révolutionné la littérature pour, à mon sens, deux raisons essentielles :
il a sublimé l'utilisation de la mémoire involontaire, celle qui permet au narrateur de revivre le passé, comme technique romanesque.
Il a inventé le roman sans fin, le roman cyclique qui autorise des lectures multiples

Lien : http://papivore.net/litterat..
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Lors d'une deuxième lecture, j'ai noté plus spécialement comment Marcel Proust appréhendait la notion de temps qui passe et certains passages ont attiré mon attention, particulièrement ceux indiquant comment les éléments du passé, présent et futur apparaissent à l'auteur comme mêlés ensemble.
J'ai pu faire certains rapprochements intéressants et troublants avec les théories sur le temps de Philippe Guillemant, et d'Etienne Klein, tous deux physiciens et spécialiste de la "Théorie de la double causalité" pour le premier et physique quantique pour le deuxième.

Noté dans "Le temps retrouvé" :

"Or cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que j'éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné le bruit de la cuiller sur l'assiette, l'inégalité des dalles, le goût de la madeleine, jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais…"

Aussi dans "Le temps retrouvé" :

"Aussi il ne faut pas ne redouter dans l'amour, comme dans la vie habituelle, que l'avenir, mais même le passé qui ne se réalise pour nous souvent qu'après l'avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis longtemps en nous et que tout d'un coup nous apprenons à lire."

Une notion du temps pour Philippe Guillemant :

"Dans notre vie quotidienne, nous évoluons ainsi au sein d'un courant continu, filant un flot d'événements dans les limites de cet univers-bloc, statique et déterministe, où le passé, le présent et le futur seraient déjà figés, fixés pour l'éternité, dans l'enchaînement des causalités.

Et pour Etienne Klein :

"Le temps ne passe pas c'est nous qui passons dans le temps".



















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«Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté... Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur goutelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.»
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Une oeuvre monumentale dans tous les sens du terme. Tout d'abord par sa longueur, le livre est long, très long, et les phrases le sont aussi ce qui le rend souvent difficile à lire, surtout dans ses nombreux atermoiements qui s'étalent sur des dizaines de pages sans généralement faire avancer l'histoire.
Alors pourquoi suis-je allé au bout de ce pavé ?
Parce qu'au milieu de tout cela, bien cachées, se trouvent quelques pépites, des phrases ou des paragraphes qui montrent le génie de son auteur et qui font que l'on supporte les passages indigestes en attendant le prochain grand moment.
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J'ai essayé à plusieurs reprises. Mon record: lire jusqu'à la page 50! J'abandonne. Qui, ici, la main sur le coeur, peut jurer de l'avoir lu en entier et, question subsidiaire, de l'avoir aimé?
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Un livre qui a fait couler beaucoup d'encre. Certains adorent, d'autres détestent, d'autres y sont indifférents, avec tous les intermédiaires. le côté de chez Swann est réputé le plus accessible car il n'est pas nécessaire d'avoir lu ce qui précède, et permet de voir si on apprécie ou non le style.
Ce livre m'a suivie pendant plus de 10 ans, jusqu'à ce que j'arrive au dernier livre, avec une longue pause au milieu. le côté de Guermantes est celui qui m'a le moins intéressée, parce qu'il décrit les conventions sociales dans les salons de l'ancien temps, sinon j'ai aimé à peu près chaque livre, jusqu'au point final qui donne tout son sens à cette oeuvre.
J'en aime la respiration longue des phrases, la recherche du sentiment, de l'émotion comme seul fil directeur de la vie narrée, la qualité des descriptions, la plongée dans un monde sensible, les détours de la pensée comme les méandres d'une rivière.
J'ai mis longtemps à lire un autre livre après celui-ci, tant pour moi il représentait le meilleur de ce que j'avais lu.
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J'ai dévoré les deux premiers tomes et ai rapidement dégainé mon stylo en y soulignant frénétiquement certains passages. Une pause après lecture des ouvrages offerts à Noël mais je n'ai qu'une hâte, y revenir. Fresque magistrale d'une fin de siècle à l'agonie. Tendre, drôle, à pleurer aussi. Marcel : eres maestro !
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