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Critique de keisha


Non, cette lecture n'entre pas dans le cadre d'un quelconque Challenge Madeleine ou Challenge Longues phrases, il s'agissait juste d'accompagner A Girl(lien vers son billet) dans sa découverte de Proust (elle a démarré avec du côté de chez Swann). Ce billet n'est pas destiné à servir de résumé ou d'étude (élèves, passez votre chemin), plus égoïstement d'aperçu de mes réactions, pour remémoration personnelle. Parce que - mise en abyme hyper tordue?- mes lectures de Proust sont toutes associées à des moments ou lieux particuliers remémorés ainsi ...

Ce blog possédant déjà une rubrique Proust colonne de droite, mon objectivité peut totalement être mise en doute. Disons que je suis en relecture (une fois par décennie, pas un rythme effréné non plus)

Ce roman a obtenu le prix Goncourt en 1919 et je ne résiste pas au plaisir de reproduire un texte trouvé ici (site de la Pléiade) , texte que les non Proustolâtres peuvent sauter.
1919
Qui sont les jurés Goncourt? Jean Ajalbert, le futur auteur des Mystères de l'académie Goncourt; Émile Bergerat, élu cette année-là, quoique presque aveugle; Élémir Bourges, que Jules Renard traitait de «pauvre vieillerie» et qui lui survécut quinze ans; Henry Céard, qui vient de publier ses Sonnets de guerre; Léon Daudet, qui a succédé à son père (rien d'étonnant pour un monarchiste); Lucien Descaves, qui boudera tant que l'on n'aura pas élu Courteline; Gustave Geffroy, critique d'art, président du jury; Léon Hennique, exécuteur testamentaire des Goncourt, auteur de L'Argent d'autrui; Rosny aîné, à qui l'on doit La Guerre du feu; et Rosny jeune, à qui l'on doit surtout d'avoir voté, ce 10 décembre, pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs.
Une trentaine de livres, parmi lesquels de nombreux récits de guerre, sont «candidats» au Goncourt 1919. Depuis 1915, tous les romans primés avaient la Grande Guerre pour sujet. Les Jeunes Filles, ouvrage peu martial, a paru à la NRF en juin. Proust est soutenu par Léon Daudet, polémiste d'Action française qui ne rechigne pas à faire campagne pour ce dreyfusard ami de son frère Lucien. Et cela se passe bien, trois tours de scrutin suffisent. Les Jeunes Filles l'emporte par six voix contre quatre aux Croix de bois de Roland Dorgelès. Il manque un s à fleurs dans le communiqué – ce n'est pas grave. Proust, fatigué, refuse de répondre aux journalistes – cela ne fait rien. Dans les quinze jours qui suivront, il recevra quelque neuf cents lettres de félicitations.
Mais les choses s'enveniment vite. La presse parle d'injustice : c'est le roman de Dorgelès – un ancien engagé volontaire – qu'il fallait couronner! Les dames du jury Vie heureuse offrent d'ailleurs leur prix à ce héros, qui le refuse par «décence», un livre de guerre ne devant pas être primé par des femmes… On rappelle aussi qu'aux termes du testament d'Edmond de Goncourt le prix doit aller non seulement à «l'originalité du talent», mais «à la jeunesse». Or Proust n'a-t-il pas quarante-sept ans (les journaux disent «cinquante», «quarante et onze» ou même «soixante ans d'âge»), contre trente-quatre pour Dorgelès? «Place aux vieux!» titre L'Humanité. «M. Proust a le prix, M. Dorgelès l'originalité du talent et la jeunesse. On ne peut pas tout avoir», raille Lucien Descaves, qui a voté pour Les Croix de bois. de plus, comme Proust est riche (croit-on), il a dû corrompre le jury : «Il y a dans le monde des lettres, à Paris, six hommes dont la reconnaissance est fonction de leur digestion à l'ombre des havanes en fleurs», note le Populaire du 12 décembre.
L'éditeur de Dorgelès, Albin Michel, réagit vite. Les Croix de bois est bientôt orné d'une bande où figure en gros caractères la mention prix goncourt, tandis que la deuxième ligne, 4 voix sur 10, est microscopique. Il faudra attendre le 31 mai 1920 pour que Gallimard obtienne du tribunal de commerce de la Seine le retrait de cette bande.
Marcel Proust parle de «muflerie» mais, au total, il se montre plutôt philosophe. Il s'inquiète avant tout de la disponibilité de son livre en librairie. Son désir le plus cher, combien justifié, est d'être lu. Et son exquise politesse ne se dément pas. «À propos du prix Goncourt», écrit-il à la fin de l'année à Gaston Gallimard, «le seul plaisir qu'il me donne est de penser qu'il est un peu agréable à la NRF, à vous avant tout, dont il ratifie le choix (en appel), à qui il peut laisser espérer d'avoir pris un pas trop mauvais ouvrage et qui durera assez…»


Cette fois c'est un peu sous l'angle du lecteur de 1919 que j'ai abordé la lecture. On peut penser qu'il a été bousculé, le lecteur! J'ai été frappée par le côté deuxième tome d'un tout, avec toutes les frustrations collatérales. Norpois, Cottard, Swann, Odette sont censés être connus du lecteur, ainsi que leurs aventures du premier volume. Péché fort véniel, en fait. Mais comme jamais auparavant j'ai senti le mélange entre présent, passé et futur, avec une fluidité extraordinaire.

Bref, le lecteur (de 1919) est laissé à la fin, non sur des cliffhangers de folie (c'est Proust, quand même, on sait se tenir), mais avec des personnages venant d'apparaître (Saint Loup et Charlus par exemple) et des potentialités ne demandant qu'à être développées. On sent vraiment que Marcel P. a la vision d'une oeuvre totale (même posthume)!

Page 91 apparaît Albertine."C'est l'oncle d'une petite qui venait à mon cours, dans une classe bien au-dessous de moi, la 'fameuse Albertine'. Elle sera sûrement très 'fast', mais en attendant elle a une drôle de touche." (c'est Gilberte, la fille de Swann et d'Odette, qui parle). Albertine sera plus tard l'une des jeunes filles en fleurs et le proustien averti saura trouver les indices semés par l'auteur "la mort qui, comme le montrera plus loin dans ce livre une cruelle contre-épreuve, ne diminue en rien les souffrances de la jalousie". Ce livre = carrément A la recherche du temps perdu.

Le fil conducteur de la maturation d'un écrivain désireux d'écrire une oeuvre est franchement déjà là (jusqu'ici je ne l'avais remarqué que plus tard) même si notre narrateur n'est pas encore à l'oeuvre et préfère rêvasser devant Gilberte ou Albertine et ses amies.
"Les émotions q'une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-mêmes, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne le ferait le plaisir que nous donne la conversation d'un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses oeuvres." Irai-je jusqu'à dire que ces rêvasseries fourniront le matériau de l'oeuvre future?

J'ai réalisé aussi que le déplacement de Combray d'Eure et Loir à l'est de paris (pour justifier la destruction de l'église dans le dernier volume) était déjà présent dans ce deuxième volume, remanié par Proust.

Je vais passer sous silence les extraits 'classiques', la description des tableaux d'Elstir ou l'image de l'aquarium.(page 265), l'inquiétude ou l'appréhension à l'idée de résider dans un nouvel endroit ou de connaître de nouvelles personnes, et après un certain temps l'indifférence due à l'habitude.
Inutile de rappeler l'habitude fréquente d'utiliser trois adjectifs, dans un doux balancement pour le lecteur, par exemple 'la peau rose, dorée ou fondante' ou la figure bienveillante, camuse et douce". Ni les métaphores.

Juste des passages qui m'ont frappées cette fois-là:
"Ceux qui produisent des oeuvres géniales ne sont pas ceux qui vivent dans le milieu le plus délicat, qui ont la conversation la plus brillante, la culture la plus étendue, mais ceux qui ont eu le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie si médiocre d'ailleurs qu'elle pouvait être mondainement et même, dans un certain sens, intellectuellement parlant, s'y reflète, le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété." A propos de Bergotte, mais je ne peux m'empêcher de l'appliquer à Proust. C'est pour ces passages inaperçus à première lecture qu'on relit Proust.

Alors, longues phrases? Oui, il y a bien un poil d'incises, de subordonnées, de digressions, mais franchement c'est parfaitement lisible.

Il y a même des passages plus drôles (pardonnez moi si ça ne vous fait pas rire, moi si)
"Cet acteur du Palais-Royal à qui on demandait où il pouvait trouver ses surprenants chapeaux et qui répondait : 'je ne trouve pas mes chapeaux. Je les garde'."(page 13)
Et page 183, Madame Verdurin rend sa visite annuelle à Odette (elles sont plus qu'en froid) :"Cela ne vous fait pas peur, Odette, d'habiter ce quartier perdu? [note : les Champs Elysées] Il me semble que je ne serais qu'à moitié tranquille le soir pour rentrer. Et puis c'est si humide. Ça ne doit rien valoir pour l'eczéma de votre mari. Vous n'avez pas de rats au moins?" Si vous trouvez un passage ailleurs avec plus de vacheries à la ligne, faites moi signe!

Parfois c'est tellement concis que je dois relire : "Une cousine assez éloignée qui avait comme raison de passer d'abord [dans un circuit de visites familiales] que sa demeure ne le fût pas de la nôtre." (p 63)

"La pratique de la solitude lui en avait donné l'amour comme il arrive pour toute grande chose que nous avons crainte d'abord, parce que nous la savions incompatible avec de plus petites auxquelles nous tenions et dont elle nous prive moins qu'elle ne nous détache. Avant de la connaître, toute notre préoccupation est de savoir dans quelle mesure nous pourrons la concilier avec certains plaisirs qui cessent d'en être dès que nous l'avons connue."

"Mais ma volonté ne laissa pas passer l'heure où il fallait partir, et ce fut l'adresse d'Elstir qu'elle donna au cocher. Mon intelligence et ma sensibilité eurent le loisir, puisque le sort en était jeté, de trouver que c'était dommage. Si ma volonté avait donné une autre adresse, elles eussent été bien attrapées."(page 458)

Lien : http://enlisantenvoyageant.b..
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