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Hermann (03/03/2021)
4.31/5   8 notes
Résumé :
Cette jeune fille de dix-sept ans pleine de charme que peint un Gauguin amoureux, c’est Madeleine Bernard. Elle n’est pas un modèle comme les autres. En cet été 1888, la jeune fille est la muse de Pont-Aven. D’autres l’ont peinte, dont Émile Bernard, son frère. Née à Lille en 1871, Madeleine est d’une grande beauté et d’une vive intelligence. Elle voit naître sous ses yeux la formidable aventure de l’art post-impressionniste. Sur les bords de Seine à Asnières, à Sa... >Voir plus
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Que lire après Madeleine Bernard - La Songeuse de l'invisibleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Madeleine Bernard La Songeuse de l'invisible, Marie-Hélène Prouteau, éditions Hermann, 2021, 19 euros, 150 pages.

Madeleine Bernard tient sa place dans l'histoire de l'art, une place congrue. On la reconnaît sur quelques oeuvres, principalement Madeleine au Bois d'amour d'Émile Bernard, un portrait au revers de « La Rivière de Blanche » de Paul Gauguin, un autre Portrait de Madeleine Bernard de Louis Anquetin. Présence connue de la jeune femme qui a fait partie du petit monde et du moment artistiques de Pont-Aven. Présence connue, signalée dans « la vie et l'oeuvre » d'autres reconnus. Tout cela est bien documenté et Marie-Hélène Prouteau a puisé à toutes les sources disponibles : les oeuvres, les images photographiques, les correspondances. Mais il n'est pas question ici d'un livre ajoutant à l'histoire de l'art, ne serait-ce qu'au prisme du modèle ou de l'inspiratrice. Au regard des références abondantes rappelées en bibliographie, la recherche exhaustive de l'auteure reste discrète ; la connaissance ici a pour vocation d'irriguer le récit et ses détails, non pas de forcer le cercle académique. Madeleine, la femme d'à côté, soeur, amie, aimée, muse, modèle. Madeleine, la femme d'entre-deux hommes, Émile Bernard et Paul Gauguin. Madeleine, dans le rayon d'Isabelle Eberhardt… Son existence semble tenir au fil des autres. La sortir l'ombre, sortir la jeune femme de l'ombre portée des autres, c'est ce qu'a entrepris Marie-Hélène Prouteau. Elle nous conte sa vie brève. Madeleine s'éteint à l'âge de 24 ans. L'autonomie, elle la conquiert lentement, constamment rappelée à la véritable mission qui l'anime à servir la vocation de son frère Émile. Même lorsqu'elle prend du champ, poussée par toutes sortes de circonstances, elle se résoud péniblement à abandonner celui dont la fortune d'artiste, d'abord stimulée, est mise à mal par la compétition qui agite le groupe de ses frères en peinture. Son émancipation sera l'affaire de ses dernières années. Mais ici l'exercice biographique apparaît rapidement prétexte à l'entreprise avant tout littéraire de Marie-Hélène Prouteau. La voie empruntée est celle de la recomposition du point de vue de Madeleine, davantage encore, sa subjectivité.

De l'enfance à l'étape ultime, les remous de la vie familiale, l'engagement auprès du frère, les rencontres, les retenues et les excitations, rien ne manque à la biographie. Vue de très près, la jeune femme a mené une existence mouvementée mais jamais le récit n'emprunte les ressorts de la dramatisation. Comme dans d'autres compositions littéraires de l'auteure, on rencontre les chocs de la vie avec une même distance. Auprès de Marie-Hélène Prouteau, on a l'impression que le monde chuchote ou s'exprime à bas bruit, en toutes circonstances. le spectacle du monde passe par une catalyse, après avoir séjourné dans l'intimité de l'auteure ; les moments de crise n'élèvent pas le ton. Par exemple, lorsqu'Émile reçoit la condamnation cinglante par son ami Vincent van Gogh de ses premières toiles d'art religieux, le regard de Madeleine filtre la violence de la scène. En dépit des sentiments exceptionnels qui la lient à son frère, Madeleine apparaît comme témoin distancié. Moment de violence plus aiguë encore et qui lui est directement adressée par sa mère, sa révolte reste silencieuse. A-t-on affaire là à l'affirmation de l'autonomie, de l'altérité de Madeleine ou au filtre de l'auteure ? C'est la question qui accompagne la lecture de l'ouvrage, semble-t-il.

Ce point de vue de Madeleine, Marie-Hélène Prouteau offre de le saisir, dès l'enfance. En promenade, sur les bords de la Deûle, les jeux de l'air et de l'eau, les bateliers croisés, font autant d'événements ou plutôt se fondent dans les yeux de l'enfant en objets de contemplation. Madeleine est toute promesse de la songeuse de l'invisible, comme l'a nommée Marie-Hélène Prouteau. Petite contient déjà, celle qui traversera les péripéties du groupe de Pont-Aven est curieuse, aventureuse par petites gorgées, observatrice. L'affaire avec Gauguin semble reçue comme un hommage, ses sentiments soumis aux silences qui conviennent et à sa place de modèle. le peintre, pour sa part, lui applique les couleurs vives du désir ; le portrait de séductrice qu'il a produit d'elle n'efface pas l'insaisissable chez Madeleine. Ce petit geste partout représenté de la pensive : la main où s'appuie la tête de la jeune femme signe sa personnalité. Même Émile doit faire une place à l'irréductibilité de ce geste lorsqu'il la peint en gisante, bloc bleu barrant le premier plan de Madeleine au Bois d'amour, bois figuré à la façon d'un papier peint. L'étrangeté de ce visage qui se détourne, appuyé sur sa main ajoute à l'étrangeté de cette réalisation hybride du médiéval et du japonisant. C'est la marque de Madeleine.

Ce qui s'affirme surtout, dans cette biographie littéraire, c'est l'approche singulière de la subjectivité de la jeune femme. À la lecture, l'on reconnaît la langue, les images, l'univers sensible de l'auteure ; elle se livre à une sorte de fusion avec la sensibilité du sujet Madeleine qu'elle restitue. Non seulement parce que c'est l'auteure qui détient les mots pour le dire mais parce que l'on reconnaît son regard dans celui de Madeleine. L'imagination créatrice confine ici à la délégation ; Marie-Héléne Prouteau et Madeleine apparaissent souvent soeurs en contemplation. Ainsi, parmi d'autres moments :

« Elle veut garder en elle ces belles sensations. La lumière qui flotte sur la baie tramée de vent. Les mares chaudes brillant comme des cristaux. ».

Madeleine a en commun avec Marie-Hélène Prouteau d'avoir les sens en éveil, de capter les événements minuscules qui font vibrer les paysages et appellent la contemplation ; chez elle, les résonances s'orientent vers le mysticisme. Peut-être les expressions de Madeleine que Marie-Hélène Prouteau a reconnues dans sa correspondance ont-elles éveillé le sentiment d'une proximité ? Ainsi, dans une lettre à ses parents :

« Les champs entourés d'arbres longs et feuillus jusqu'en haut et les petits pommiers bien échevelés qui sont çà et là dans les blés et les grands horizons de la mer et de la campagne, les belles étendues de blé noir en fleurs qui sont toutes blanches. »

Madeleine est-elle un sujet ou un motif ? L'une des formes données à la subjectivité de Madeleine prend un tour qui s'apparente à un travail sur le motif, au sens de la peinture. Une littérature peinture qui emprunte des circulations en ricochets : la sensibilité de Madeleine est décrite, dessinée pourrait-on dire, avec une palette colorée, aux façons d'aquarelle ; parfois également, Madeleine contemple à la manière d'un peintre :

« Il y a l'eau du fleuve dans son étreinte végétale, quelques bâtisses et toits de briques, des bouquets d'arbres, un champ d'herbes hautes. (…), Plongée dans sa rêverie, elle pressent qu'Émile le peindra un jour ce paysage de la fenêtre de Courbevoie. »

Peintre par procuration, car le peintre, c'est son frère. Il y aurait une circulation des perceptions, des représentations entre Madeleine, son frère et Marie-Hélène Prouteau. Emblématique de l'empathie extrême de l'auteure pour son sujet est cette célébration picturale de Madeleine :

« Longue et mince silhouette. Telle une aile de lumière, elle flotte sur le ciel bleu. »

On envisage aussi que l'auteure trouve en la personne de Madeleine le truchement pour traverser un passé de cette Bretagne qui ne cesse de l'inspirer. Creuset d'un moment de l'histoire artistique et culturelle où fermente une mixture de liberté subversive et de christianisme traditionnel. Émile Bernard en incarne la figure extrême : d'abord exalté par l'explosion des couleurs, puis par les représentations christiques, antisémite enthousiasmé par les thèses d'Edouard Drumont. Bretonnes au champ, en costume, figurations d'un bon peuple au labeur, fût-il représenté sous des formes inédites. Madeleine, pétrie de cet enracinement, est gagnée par des aspirations mystiques, trouve la force de la rupture et de l'exil, s'extraie finalement de l'emprise familiale et locale. Ancrages et échappées, une dualité qui anime la prose poétique de Marie-Hélène Prouteau, prêtée cette fois à Madeleine Bernard.

©Corinne Welger- Barboza


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De Madeleine Bernard, soeur du peintre Emile Bernard, et de sa courte vie, il ne reste que peu de traces : un portrait réalisé par son frère, un autre par Gauguin, au revers d'un tableau plus célèbre et de ce fait longtemps resté invisible, et quelques autres par des artistes moins connus. Dans ces tableaux, sa présence au port altier est distante, insaisissable, énigmatique. Son regard pensif qui porte loin, comme irrépressiblement attiré par de nouveaux horizons, intrigue. Jusqu'à cet ouvrage, les historiens de l'art ont pu croiser furtivement le nom de Madeleine Bernard dans les biographies des artistes fréquentés par son frère. Marie-Hélène Prouteau retouche le portrait et parvient à percer le mystère qui l'entoure. Avec empathie et talent, elle restitue sa personnalité secrète et originale. Pour cette remarquable et passionnante biographie, qu'on pourrait qualifier d'essai poétique par la qualité de l'écriture, l'auteure a réalisé un travail de documentation et de recherches rigoureux et impressionnant, puisant à toutes les sources disponibles, dans les fonds photographiques des musées et des bibliothèques et dans les archives familiales, et surtout dans les diverses correspondances dont un extrait introduit chacun de ses chapitres. Marie-Hélène Prouteau découvre ainsi que Madeleine, « jeune, belle, d'une vive intelligence », a « enflammé le coeur de Gauguin dans la vigueur de ses quarante ans» pendant deux années. C'est par l'abondante correspondance de Madeleine que l'auteure perçoit sa personnalité attachante et affirmée. Soutien sans faille pour son frère rebelle, grande lectrice intéressée par la poésie et la spiritualité, cultivée et curieuse de tous les arts, elle a participé aux débats qui agitaient le milieu artistique de son époque, celle de la fin du 19ème. Dans le récit captivant de Marie-Hélène Prouteau, Madeleine, modèle occasionnel et témoin des bouleversements artistiques de son temps, se révèle une femme indépendante qui choisit de travailler, quitte le carcan familial et coupe irrémédiablement tous les ponts avant de s'exiler à Genève. A travers la destinée de Madeleine, emportée à 24 ans par la tuberculose au Caire auprès de son frère, l'auteure met en évidence le cruel sort des femmes, « muses et inspiratrices qui n'existent qu'à côté de l'artiste», vouées à demeurer invisibles et à s'effacer.
Marie-Josée Christien, chronique "Nuits d'encre" du n°28 de la revue annuelle "Spered Gouez / l'esprit sauvage" (2022)
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“Se souvenir des belles choses” : en découvrant la vie de Madeleine Bernard, le titre de ce film (Zabou Breitman - 2002) s'est imposé. Probablement parce que le livre de MH Prouteau attire puissamment le regard vers le beau, cette quête infinie.
Théâtre où se joue l'essentiel de la vie de Madeleine, la peinture est dans lequel il est difficile de séjourner. Franchis les tableaux archi connus des grands maîtres, il n'est pas évident d'accéder à l'émotion à laquelle devrait ouvrir l'art, en général. Quand on n'a pas les codes, on passe vite son chemin. Si le livre n'avait pas été proposé par quelqu'un dont j'ai déjà apprécié la patte littéraire (ou la pâte, c'est selon…), il n'aurait jamais croisé ma route.
Madeleine Bernard est la soeur d'Émile Bernard, peintre et poète, compagnon de route de van Gogh et de Gauguin, dans la flamboyance du post-impressionnisme. le peintre en a fait quelques portraits, comme Gauguin également ; à Pont-Aven, elle les inspire à travers sa présence songeuse. À l'époque, on écrit beaucoup. Madeleine se raconte donc à son frère, à son amie Charlotte. À travers ses lettres, MH Prouteau reconstruit le parcours intérieur de la jeune fille, digne d'une héroïne romantique. L'enfermement familial où elle grandit, corsetée sous la coupe d'une mère dépressive, ne parvient pas à dissuader Emile de se donner tout entier à la peinture. de même, Madeleine va s'échapper, par le travail d'abord puis en fuyant à l'étranger (l'Angleterre, puis la Suisse, avant l'Egypte), sans cesser de soutenir son frère dont elle sait qu'il est dans le vrai à chercher sans cesse sa voie dans la beauté de la peinture.
“La songeuse de l'invisible” est une biographie savante, fruit d'un impressionnant travail de documentation qui sous-entend du temps de collecte d'abord, d'interprétation ensuite, puis de construction de l'oeuvre. Mais pas seulement. Encore faut-il réussir à rendre l'intériorité d'une personne, le climat d'une époque et l'effervescence d'un milieu (celui de la peinture des années 1880-1890) en train d'affirmer son identité. Eh bien, le pari est réussi. Il faut dire que la personnalité de Madeleine, son attention fiévreuse aux belles choses invisibles, s'exprime de manière vibrante, à travers les mots de MH Prouteau, dont la voix se glisse subtilement dans les mots de Madeleine.
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a Songeuse de l'invisible.
En refermant ce très bel ouvrage sur une si triste fin, cette restitution des circonstances, ces tissus familiaux malmenés, leurs ombres troublantes, les rives quittées  pour d'autres  incertitudes,  les heures de fièvres  , les dernières respirations, le dernier soupir, le lecteur sera entré de maisons en maisons , de portes en portes, d'Ateliers  en Galeries d'Art  et cimaises des Musées. Il en aura appris beaucoup sur ce moment de l'Art nouveau.
J'aime penser que Marie Hélène Prouteau a voulu sortir Madeleine de son cadre ! 
Son frère , Emile Bernard, l'y avait figée , en 1888 , devenue à jamais jeune fille en robe mordorée  étendue sous les hêtres du Bois d'Amour , écoutant le chant tranquille de l'Aven en été. 
Recherches  patientes , sur plusieurs années, le défi est relevé ! Dans  ce livre où il me semble que se soit établi une sorte d'amitié entre Marie Hélène, chercheuse et Madeleine l'enfant sage puis l'adolescente tourmentée dont la vie s'est révélée au fil des relations nouées entre l'écrivaine et les descendants , des lettres, photos  et documents d'un passé composé, tourmenté et si bref.
 De plus, ces éclairages, sur la jeune fille  allongée sur les feuilles et fleurs des chemins de mon enfance pontavéniste,  réveillent pour moi des souvenirs , mes regards posés sur ce tableau , alors exposé à L'Hôtel de Ville, et la mémoire de mon père, Emile, me racontant Emile Bernard, les querelles et inimitiés entre artistes, l'atelier de Lézaven, qui m'était familier ...
Alors me vient en guise de compliments à l'écrivaine de dire merci Marie Hélène Prouteau , La Songeuse de l'invisible peut dormir, tranquille sous les feuillages , quand on n'a pas les réponses on a au moins les questions.
Marie Renée Bisquay-Le Mestric.
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Marie-Hélène Prouteau nous propose cette fois une passionnante biographie de Madeleine Bernard, la soeur du peintre Émile Bernard.

Tout au long de l'histoire de Madeleine nous sommes plongés dans cet univers sensible et innovant de la peinture de cette fin du XIXème siècle. Nous rencontrons ainsi, grâce à Madeleine et l'affection si profonde, quasi gémellaire qu'elle porte à son frère, des peintres célèbres maintenant tels que Gauguin, Pissaro, Seurat, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Signac, Cézanne …, qu'Émile aura fréquenté ou admiré.

Madeleine est cultivée, grande lectrice, musicienne aussi, elle joue du piano avec virtuosité. Elle voue à son frère si sensible une admiration immense, consciente très tôt de son talent, lui qui dessine tout le temps et n'en fait qu'à sa tête. Elle sera son premier modèle et l'accompagnera dans sa quête d'une manière de peindre qui lui corresponde, lui qui rêve de bousculer les codes pour se réaliser vraiment.

Nous allons suivre alors la vie si brève de Madeleine, au sein de cette famille chavirée par les disputes parentales, la dépression chronique de la mère, les déménagements fréquents qui bouleverseront les repères. Chaque chapitre de ce récit très documenté est introduit par un extrait de correspondance, notamment celle abondante de la jeune fille, révélant une langue d'une réelle beauté, traduisant ses inquiétudes pour son frère, ses interrogations, son désir profond de s'affranchir de la tutelle familiale. Non seulement elle aspire à la liberté, mais elle est très sensible à une vie spirituelle intense, s'intéressant à la théosophie, se préoccupant de l'invisible.

Cette biographie passionnante, au style lumineux et alerte, emporte le lecteur dans le tourbillon de ce XIXème siècle finissant, où la création peut se trouver engluée de contraintes sociales, empêchée de soucis financiers tout en foisonnant d'innovation, d'échanges passionnés sur la peinture auxquels la jeune Madeleine prend une part vivante, jusqu'à ce qu'un événement déterminant l'amène à s'enfuir loin des siens.

Du Nord de la France jusqu'à Genève, en passant par la Bretagne puis l'Angleterre, en si peu d'années, Madeleine a connu bien des milieux et ambiances qu'elle évoque dans ses lettres et que Marie-Hélène Prouteau rend ô combien vivantes, grâce à une écriture romanesque et élégante.
Lien : https://camusdiffusion.wordp..
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critiques presse (1)
NonFiction
20 avril 2021
La biographie littéraire de Madeleine Bernard, où l'écriture se fait épitaphe, offre une déambulation littéraire et picturale dans le temps retrouvé de l’Ecole de Pont Aven .
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
UNIDIVERS, Jean-Louis COATRIEUX
Il y a des livres qui nous font voyager. Ici et ailleurs, des lieux à deux pas ou après l’horizon, des lieux où nous nous aventurons sans trop savoir pour qui et pourquoi. Ceux que chacun peut partager sans forcément le dire, où tout compte, les images, les promenades, les rencontres. Où tout stimule l’écriture, sans effets, trait pour trait, pour de vrai. Où le siècle importe peu, le dernier, le prochain, qui sait. Là où l’histoire se fait géographie et les cartes, mémoire peut-être aussi. Comment ne pas me dire cela en lisant Madeleine Bernard, la songeuse de l’invisible ?
Marie-Hélène Prouteau joue des touches de peinture comme celles en couleur d’un piano où les doigts sont légers, les notes à portée de mains. Toujours plus libres. Madeleine Bernard et à côté, Émile, son frère, l’ainé. Ils sont deux, ils sont un, ils le seront toujours. Leurs vies s’ajoutent. Il dessine, ils se parlent, il peint, ils ne cesseront jamais de se parler, de s’écrire. De se protéger, de s’aimer. Lui impétueux et tourmenté, de cette impatience qui ne lâche ni le corps ni l’esprit. Elle, mélancolique, admirative, complice.
La famille ? Plutôt petite bourgeoisie. Genre haut-de-forme, redingote, montre de gousset. Nous sommes dans le pays flamand. Émile a trois ans en 1871 quand il regarde pour la première fois sa sœur. Lille puis Paris et Courbevoie. Ces péniches sur la Seine, Marie- Hélène les voit avec les yeux de Madeleine. Le chemin des vignes a disparu depuis longtemps certes mais il se devine sous les pierres au loin. Ces portraits, ces photographies de famille, elle est là, toute jeune, la table mise au jardin. Des rires, des éclats de voix. Tout au fond l’atelier d’Émile. Il la dessine sur son carnet, elle rêve.
Nous vivons avec Madeleine Bernard le passage des saisons, les regards à la fenêtre, les attentes. Les ciels bleus, les ciels blancs, caressants. Les jeux ensemble. Nous avons tous en tête des chansons, de ces ritournelles de l’enfance. Ils grandissent. Il veut peindre, elle veut son indépendance. Elle lit, tourne les pages, silencieuse, présente et tellement absente. Le temps est là, il n’est plus, a-t-il jamais été ?
Les voyages à Saint Briac de son frère se multiplient. Leurs lettres ? de simples nouvelles sur la maison, les études, les lectures. Viennent ses séjours à Pont-Aven. La pension Gloanec. Les tablées du midi et du soir. Provocations, chahuts, discussions emportées, fâcheries. Madeleine le rejoint. La lumière sous les arbres, les berges de l’Aven miroitant tout au fond, c’est elle allongée au Bois d’amour. Émile peint encore et encore. Des marchés, des fermes, la moisson, des pardons. Les couleurs en aplats, vives, contrastées, des formes contourées, un style, son style.
Le temps passe et les ombres de Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec, Louis Anquetin, Charles Laval, cette nouvelle peinture par les peintres du petit boulevard, l’amitié. L’occasion de redécouvrir le père Tanguy, ce fameux marchand de couleurs né en Bretagne qui tient boutique rue Clauzel à Paris. Divisionnisme, cloisonnisme, symbolisme que de mots pour s’affirmer et s’afficher. Puis le drame entre Van Gogh et Gauguin. La déchirure entre eux. L’amitié, l’amour, une double rupture du frère et de la sœur avec Paul. À l’hôtel Drouot, elle l’accuse de trahir son frère, de lui avoir volé l’art qu’il a créé. Ce sera ensuite la fuite vers Genève…
Pour peindre Madeleine, il fallait la délicatesse de Marie-Hélène Prouteau. Ses mots, ses phrases sont une petite musique que nous trouvons aussi dans ses autres ouvrages. Il fallait ici en plus une détermination sans faille pour explorer correspondances, articles d’époque, archives familiales et en extraire une réalité, celle d’une Madeleine enfant, jeune fille et femme. Il fallait enfin cette tendresse, cette complicité qu’elle tisse entre elles deux, au point de faire de sa vie un paysage d’aquarelles et de pastels. Magie de l’écriture et de la mémoire, mystère de la peinture et de la lumière. Comment fermer ce livre et abandonner Madeleine Bernard à son destin sans qu’elle nous laisse à rêver à notre tour ? C’est toute la force de ce livre de Marie-Hélène Prouteau.
Jean-Louis COATRIEUX
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VOIR PONT-AVEN



chapitre X

Extrait 1

      Gauguin s’arrête de peindre. On fait la pause. Elle est autorisée à regarder. C’est pour elle, tout ça ? semble dire la bouche entrouverte de Madeleine. Ce visage, ce corps sur la toile, tout ce qui vient de surgir là, quelle émotion ! Incrédulité, doute, éblouissement ? Ce visage fin et grave peint par cela a bien l’air d’être le sien. Mais avec la chevelure qu’il lui a fait relever, ces yeux fendus en amande, paupière mi-close, cette peau si blanche, elle se trouve l’air d’une dame de haute lignée. Elle a la sensation d’une caresse. Sûrement, l’arrondi des formes, celles du visage et du vêtement et quelques lignes droites seulement, la chaise, la plinthe, le cadre.
...
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VOIR PONT-AVEN



chapitre X

Extrait 2

       […]

      Elle ne sait pas qu’elle a touché en lui une fibre ancienne. Cet œil, souligné de khôl, l’autre étant à peine suggéré, le peintre est allé le chercher au plus profond de lui-même. N’est-ce pas, celui, énigmatique, de la mère de Gauguin qui, à Lima, portait la traditionnelle mantille noire couvrant tout le visage et ne laissant voir qu’un seul œil ? Cet œil caressant, impérieux à la fois ne l’emporte-t-il pas quelque part dans l’étrangeté exotique de son enfance péruvienne ? Au paradis délicieux d’un Paul Gauguin de six ans.

      Après la pause, Gauguin lui fait reprendre la même position, la tête posée sur la main qui lui donne une attitude songeuse. Celle qui lui est naturelle et familière.
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Ce visage fin et grave peint par Monsieur Gauguin, cela a bien l’air d’être le sien. Mais avec la chevelure qu’il lui a fait relever, ces yeux fendus en amande, paupière mi-close, cette peau si blanche, elle se trouve l’air d’une dame de haute lignée.
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Video de Marie-Hélène Prouteau (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marie-Hélène Prouteau
Librairie Dialogues-Brest. Cinq questions à Marie-Hélène Prouteau autour de son livre "les Blessures fossiles". 2009.
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