[Je traite ici de la trilogie dans son intégralité, en essayant au maximum de ne rien dévoiler de l'intrigue]
C'est quoi le meilleur roman Jeunesse que vous ayez lu ?
Non, ne répondez pas, ma question est purement rhétorique et sert juste à introduire mon sujet.
Parce que bon, quand on me pose cette question, je suis ennuyé pour répondre : à part Bilbo le Hobbit et Harry Potter, ma culture "Littérature Jeunesse" est clairement limitée. Mon truc à moi, c'était les BD (ben ouais, c'est plus facile quand il y a des images).
Mais parce qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire, j'ai décidé, certes tardivement, de refaire un peu ma culture.
Restait à savoir par quoi commencer... Narnia ? Eragon ? Ewilan ? Autre-Monde ? Relire Bilbo pour la 128e fois (nan, j'ai pas compté, et oui, j'y ai pensé) ? Trop de choix, impossible de se décider. le marketing décida donc pour moi, affichant fièrement en tête de gondole toutes les librairies par lesquelles je passai LA nouvelle série événement à ne pas rater. Forcément, si on me dit qu'il ne faut pas la rater, victime de la société de consommation que je suis, j'y vais ! Et c'est ainsi que je me retrouve avec sous les bras les trois tomes de la trilogie A la Croisée des Mondes, de
Philip Pullman, sans même avoir le bout d'une idée de quoi ça cause... Foutu marketing ! (et ouais, l'achat a du coup plus d'un an, mais on fait ce qu'on peut, hein !)
A la Croisée des Mondes nous narre en trois tomes les (més)aventures de la jeune orpheline de 11 ans Lyra, dont le statut de jeune fille élevée parmi les Erudits du Jordan College d'Oxford, dans le royaume de Britannia, l'autorise à être une demi-peste (j'exagère un peu, la demoiselle se révélant rapidement très sympathique). Accompagnée de son daemon Pantalaimon, incarnation animale de l'âme des humains dans ce monde, Lyra n'en fait qu'à sa tête, rendant dingue la moitié de la ville, de ses professeurs traumatisés aux voisins gitans martyrisés par la gamine.
Le premier tome nous présente ainsi l'impétueuse orpheline, sa vie, et la manière dont celle-ci va changer suite à la découverte de deux événements a priori sans lien (chuuuuut) : la découverte d'une substance inconnue, la Poussière, et la disparition de son meilleur ami Roger, vraisemblablement enlevé par les "Enfourneurs", sinistres voleurs d'enfants. Armée de sa volonté inébranlable, de son courage et de son aléthiomètre, instrument lui permettant de trouver réponse à n'importe quelle question, la jeune fille va se lancer à la recherche de son ami perdu, et tenter de percer le terrible secret de la Poussière.
Le deuxième tome ouvre à un nouveau monde, le nôtre, en nous présentant Will, jeune garçon solitaire de 12 ans qui essaie de protéger sa mère et d'échapper à de mystérieux hommes à la recherche de documents cachés par son père disparu. Dans sa fuite, il découvre une fenêtre vers un nouveau monde, et fait la connaissance de Lyra, qu'il décide d'accompagner dans la suite de ses aventures de monde en monde. Les forces en présence se dévoilent, les masques tombent, et tous les pions se mettent en place pour la bataille finale, qui se déroulera dans le troisième et dernier tome de la saga...
Au départ un peu déstabilisé par le ton du livre, un peu entre deux âges - trop sombre pour un enfant, parfois un peu enfantin pour un adulte -, j'ai progressivement laissé tomber mes barrières à mesure que je comprenais que l'auteur, bien qu'écrivant un roman estampillé "Jeunesse", avait bien décidé de ne pas prendre son lecteur pour un cerveau en développement à qui il faut encore épargner des choses. "Faux !", nous dit Pullman. Ben ouais, la vie, c'est moche, c'est dur et, à tout âge, les enfants sont confrontés à la perte, au sacrifice, à la trahison, à la violence, aux changements brutaux et à des mondes qu'ils ne comprennent pas. C'est ça que
Philip Pullman leur raconte. Et c'est exactement ce que j'aurais voulu lire quand j'étais môme !
Construit dès le départ comme une trilogie, l'univers est d'une remarquable cohérence, faisant progressivement monter la tension au fil des tomes, dévoilant peu à peu des enjeux de plus en plus grands jusqu'à un dénouement d'une tension et d'une dramaturgie extrême. L'univers riche ouvre également quelques concepts réjouissants : les "multivers uchroniques" où chaque fenêtre traversée amène à un monde différent en fonction de telle ou telle bifurcation dans l'Evolution ; les daemons, incarnations de l'âme des êtres humains ; la Poussière, entité impalpable et source de toutes les convoitises ; des civilisations alternatives, telles les panserbjornes ou les mulefas ; ou encore le royaume des morts.
Si la trilogie est aussi populaire, c'est bien qu'elle est capable de s'adresser aussi bien à l'enfant (pas trop petit, quand même) en mal de sensations fortes qu'à l'adulte cherchant plusieurs niveaux de lecture. On a bien évidemment de l'aventure et des héros attachants, quoique pas dénués de défauts, mais
Philip Pullman sait proposer un roman dénué de manichéisme, avec des personnages tout en nuances, et aborder de manière intelligente quelques thématiques un peu plus profondes dans lesquelles chaque lecteur pourra se retrouver.
Ainsi, les plus jeunes liront une histoire sur le passage à l'âge adulte, sur l'émancipation, sur l'amour naissant ou la mort (non pas que les deux sujets soient liés), les moins jeunes y verront une critique du pouvoir - en général, et de l'Eglise en particulier - et des dérives des dogmatismes, et une oeuvre parlant de rédemption, de féminisme, voire d'écologie dans le dernier tome (peace, love & mulefas).
En bref...
A la Croisée des Mondes est fait pour toi si… les univers Jeunesse intelligents, bien construits, et qui prennent leur lecteur au sérieux.
J'ai aimé :
- L'univers créé par l'auteur
- Les personnages ambigus
- Vraiment plaisant à lire
J'ai moins aimé :
- Ton déroutant au départ, entre littérature jeunesse et adulte
- Quelques baisses de régime dans le 3e tome