Ce petit ouvrage est très percutant ! L'histoire d'un fonctionnaire odieux, peintre raté qui devient directeur d'un centre pour handicapé. Écrit à la 1ere personne il nous renvoie à notre propre méchanceté et nous met parfois mal à l'aise. Pas de prénom pour les personnages, mais des qualificatifs, par exemple la femme du héros est "Punition", cela pose l'ambiance. Récit acide et amer mais fort bien construit, seul titre connu de cet auteur, dommage...
Commenter  J’apprécie         10
Pour bien comprendre ce qui est arrivé, il faut que je remonte à plus loin. J'étais un petit fonctionnaire modèle, un véritable matricule sur pattes. J'alignais des petits chiffres, engoncé dans mon petit costume, enfermé dans un petit bureau. J'étais le matricule le plus poli, je faisais la fierté de tout le service. Je mettais un point d'honneur à rendre mes comptes précis au centime. Je travaillais à la comptabilité d'une administration. J'appartenais au service qui vérifiait des comptes que d'autres, avant, avaient déjà vérifiés et que d'autres, après, vérifieraient encore. Comme personne ne s'était posé la question de notre utilité, nous attendions là, depuis des années et pour des années, sans fin.
Il m'a fallu cinq ans pour ouvrir les yeux, sortir de léthargie. Pendant cinq ans je côtoyais toujours les même personnes, avec les mêmes sourires, les mêmes habitudes. On eût dit des automates dans une petite boîte, avec un numéro bien réglé.
À la maison non plus je n’étais pas gâté. Je vivais avec Punition. Punition, l’outil de torture le plus élaboré que je connaisse. D’aspect extérieur on
eut dit un sac rempli de saindoux, surmonté d’une serpillière. Ce camouflage cachait en réalité une mécanique de précision, une horloge, un missile. Elle parvenait à retrouver ma trace dans n’importe quel point de l’appartement. Elle me sentait, me respirait, me traquait. En plus du reste elle était irréprochable. Il n’y a rien de pire, à vivre au quotidien, que les gens parfaits.
Comme tous les asiles, le mien s'appelait Sainte-Marie. Tout y sentait propre. Le sol, les murs défraîchis, tout respirait l'aseptisé. Des petits groupes de pensionnaires passaient en silence tels des moines. Le crissement de leurs pantoufles sur le sol trahissait cependant l'obédience de leur ordre. Cet établissement avait quand même un défaut de taille. Les bureaux n'étaient pas suffisamment à l'écart et je n'avais pas l'intimité nécessaire pour une complète tranquillité. Heures après heures, je devais supporter le regard de ces gens. Je ne demandais pas une vue sur la mer mais tout de même. Une distance s'imposait entre leur monde et le mien.