La femme qui marche au long de la rive
n'a pas d'ombre.
Ses pas
laissent leurs souvenirs sur le sable.
Ou
ils empruntent ceux des autres,
venus et repartis avant elle,
avant l'aube,
depuis la nuit des temps.
(...)
Ici,
après le génocide,
personne ne meurt.
Elle n'a pas d'ombre.
Elle n'est pas vivante.
Elle est survivante.
Les survivants d'un génocide n'ont pas d'ombre.
Ils sont ombres.
Ombres errantes de leurs morts.
Il faut nommer l'horreur,
sinon
elle reviendra,
Elle reviendra sous le nom qu'elle voudra,
sous le masque qui l'enchantera.
Toujours la même histoire!
Vous venez nous dépouiller de notre Souffle
puis nous empailler de votre Chair.
Nos corps deviennent
des mots dans vos histoires;
notre horreur,
des performance dans vos arènes;
nos visages,
des masques sur vos murs;
nos esprits,
des ombres dans vos images...
(...)
Et pourquoi ne pas partager nos peines comme vous le faites avec nos terres et notre pain?
De son ivresse, je bois une gorgée.
Du vent, doux comme le souffle d’un enfant. Trop doux pour emporter au-delà du lac le chant des pêcheurs, la mémoire et les secrets des défunts.
« Igisekeramwanzi » : l’enfant qui sourit même à l’ennemi, pour désigner l’innocence.
Il s'arrête,
mais pas sa pensée
ni le souvenir des mots
oubliés par les autres.
Ici
ou
ailleurs,
nous sommes tous des ombres porteuses.
Nous portons tous le corps de nos disparus,
enterrés en nous, dans le cimetière de notre mémoire.