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EAN : 9782940719198
452 pages
Balland (24/11/2022)
4.25/5   8 notes
Résumé :
Moscou, 23 octobre 1981. Echappé du goulag, poursuivi par le KGB, Nicolas Cherkassky parvient enfin à franchir les murs de l'Ambassade de France. Il est sauvé. Cela fait 37 ans qu'il attend ce moment. 37 ans qu'il est retenu en URSS contre son gré. Paris, au début des années 2000. Camille, une jeune journaliste, découvre son histoire. Les zones d'ombre ne tardent pas à apparaître autour de ce personnage énigmatique, passé à l'Ouest en pleine Guerre Froide. Cherkassk... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Ce Français qui a réussi à fuir le goulag

Aurélie Ramadier a longuement enquêté sur Nicolas, sauvé par son père du goulag et devenu un ami de la famille. Ce roman à suspense lui rend hommage en retraçant son incroyable odyssée après 37 ans de captivité.

«Nicolas est décédé au printemps 2015. Papa l'a suivi en janvier 2017, alors que j'écrivais ce livre. Ils ont emporté avec eux un morceau de l'histoire de la Guerre Froide.» Retraçant la genèse de son roman, Aurélie Ramadier lève un coin du voile sur le vrai Nicolas, l'homme qui a réussi à fuir le goulag après 37 ans de captivité et que son père a sauvé en franchissant les grilles de l'Ambassade de France à Moscou en octobre 1981 au volant de sa R5. Devenu un ami de la famille, il a expliqué son incroyable périple lors des repas auxquels il était convié. Si la petite fille qu'elle était alors n'a pas tout compris, la romancière qu'elle est aujourd'hui a trouvé là un terreau on ne peut plus fécond.
Restait à «mettre en scène» le destin de celui qui sera nommé Cherkassky.
Pour cela, nous nous retrouvons à Paris en 2004. Camille, étudiante mais très envieuse de se lancer dans le journalisme, a rendez-vous avec le responsable du Tribun, un magazine susceptible de l'embaucher. Ce dernier lui suggère d'écrire pour un supplément à paraître et consacré à la Russie, un article en proposant une image positive. «Trouvez-moi un thème sympathique, original si possible. Et apolitique. Si je vous donne mon feu vert, on pourra passer à l'étape suivante.»
Camille va alors se souvenir de l'incroyable aventure de Nicolas et se dire qu'elle tient peut-être un sujet. D'autant que cette histoire n'est pas sans rappeler l'Affaire Farewell, l'histoire de cet agent du KGB qui s'est mis au service des services de renseignements français en lui fournissant des milliers de documents. Les dates sont du reste concordantes, les deux affaires se déroulant en 1981. Alors Camille commence par rassembler la documentation sur cette affaire et tombe sur une page arrachée d'un livre, Une vie volée de Danielle Hébert. Un ouvrage qu'elle va avoir beaucoup de peine à trouver, mais qui va lui permettre de donner toute sa crédibilité à son sujet, car il raconte le destin de Nicolas Cherkassky et va lui livrer les premiers indices susceptibles de l'aider à remonter la filière d'une enquête aussi difficile que passionnante.
Ancien étudiant en journalisme, je me permets ici d'ouvrir une parenthèse à l'attention de tous ceux qui veulent travailler dans l'information. Je leur conseille la lecture de ce livre avec de quoi prendre des notes à portée de main, car la manière dont Camille va mener son enquête est une vraie leçon de journalisme d'investigation. On enregistre les interviews, on recoupe les informations, on croise les sources et on remet en question les affirmations. On oublie aussi une thèse pour y revenir par la suite quand un autre éclairage aura permis d'appréhender l'affaire par un autre bout. Voici donc Camille essayant de tirer les vers du nez à Dominique qui a travaillé de longues années au quai d'Orsay, retrouvant Danielle Hébert et tentant de lui soutirer les noms d'autres témoins, cherchant tous ceux qui ont pu côtoyer Nicolas Cherkassky dans ces années 1980-1990, lorsqu'il avait retrouvé la France et avait ouvert un restaurant russe dans le XVe baptisé le Traktir.
Au fur et à mesure que se dévoile le parcours de Nicolas ce sont aussi de nouvelles questions qui émergent sur le rôle des services secrets français, sur l'attitude des services secrets russes, sur l'envie de croire au scénario le plus héroïque. Une histoire à la Monte-Cristo qui voit un prisonnier s'évader du goulag et réussir à parcourir des milliers de kilomètres pour retrouver sa terre natale en bénéficiant d'aides improbables. À moins qu'il ne s'agisse d'un scénario arrangé de toutes pièces pour retourner un agent.
Aurélie Ramadier se garde bien de répondre à cette question, laissant au lecteur le soin de se faire une opinion à l'aune des témoignages recueillis et des documents consultés. Jusqu'aux dernières pages dans lesquelles les rebondissements sont encore plus nombreux qu'au fil des chapitres, on suit Camille avec délectation, on partage ses doutes, on se réjouit avec elle de chaque nouvelle avancée. Et on n'a pas vu passer les 450 pages de ce vrai-faux roman d'espionnage.

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Avec ce roman, Aurélie Ramadier nous plonge dans une ambiance d fin de Guerre Froide. Nous marchons au fil de ses pages, sur les traces de Camille, jeune étudiante en Lettres. Voulant faire ses premières armes dans le journalisme, elle obtient une commande d'article du rédacteur en chef du Tribun pour un hors sujet sur la Russie.

D'une réflexion sur le caractère romanesque de la figure de l'espion, voilà notre journaliste en herbe emportée malgré elle sur les pas du mystérieux Nicolas Cherkassky. Ce français retenu 37 ans en URSS passera par le goulag et 1001 péripéties avant de recouvrer la France et la liberté… Mais cette réalité en cache-t-elle une autre et ce transfuge est-il bien celui qu'il prétend être ?

Ce livre est à la croisée des chemins entre le roman d'espionnage et la biographie d'une vie extraordinaire. C'est en tout cas l'occasion de dresser une vision du monde entre deux eaux du renseignement. Mensonges, manipulations, faux-semblant, coups tordus, paranoïas… Camille va peu à peu comprendre qu'on ne fréquente pas impunément cet univers si particulier où rien n'est gratuit.

Côté positif : c'est plutôt bien écrit même si la mise en page électronique ne facilite pas la lecture – du moins sur ma liseuse. L'histoire est intéressante et les personnages plutôt bien croqués même s'ils sont parfois un peu caricaturaux. L'ensemble est donc plaisant à lire et donne une vision plutôt vraisemblable de cette URSS agonisante.

Côté négatif : l'oscillation entre roman et récit est parfois gênante. Une notice en fin de bouquin pourrait avoir son intérêt pour démêler le vrai de l'imaginaire. A titre personnel, j'ai parfois eu du mal à accrocher à certains dialogues ou situations qui m'ont paru soient naïfs, soient inutiles à l'intrigue.

En conclusion, ce roman est une bonne découverte qui saura intéresser un public de 16 ans et plus.
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Paris, septembre 2004. Camille, étudiante à La Sorbonne, aimerait devenir journaliste. Grâce à une relation de ses parents, elle est reçue par « le directeur du Tribun, un des magazines les plus respectés du monde de la presse. » (p. 14) Ce dernier accepte de la mettre à l'épreuve. D'ici quelques mois, sa rédaction va sortir un numéro spécial sur la Russie ; il lui impose un article « qui présenterait la culture russe sous un angle positif ». (p. 21) Il veut qu'elle choisisse un thème sympathique, original et apolitique.


Au départ, Camille envisage d'analyser Farewell (une affaire extraordinaire d'espionnage), sous un angle littéraire. Pendant ses recherches, elle découvre une page arrachée d'un livre. Elle est intriguée. Ses investigations la mènent sur les traces de Nicolas Cherkassky : son histoire est si incroyable et si trouble qu'elle décide qu'elle sera le sujet de son article.


En 1945, âgé de seize ans, Nicolas Cherkassky part, en Russie, rencontrer sa famille paternelle. Malgré les avertissements américains pendant le voyage, il n'appréhende pas le danger. Or, dès son arrivée, il tombe sous la loi soviétique et n'est plus Français. Quelques mois plus tard, il est condamné pour entrée illégale en URSS et envoyé au Goulag. Pendant trente-sept ans, il est retenu contre son gré en terre soviétique. Jusqu'à ce jour d'octobre 1981 : surveillé par le KGB, blessé et échappé du goulag, il parvient à contacter l'ambassade française et à rentrer en France, à bord d'une R5.


A travers ce personnage, Aurélie Ramadier s'est interrogée sur l'extraordinaire destin d'un ami de ses parents,… échappé du goulag, poursuivi par le KGB et rentré en France, trente-sept ans après son exil. Par la voix de Camille, elle explore les parts d'ombre de ce dernier. La jeune journaliste est la narratrice. Intriguée par l'épopée terrible de Nicolas Cherkassky, elle se jette corps et âme dans une enquête. Elle recherche des personnes, qui ont connu celui qui l'intrigue, qui détiennent des éléments pouvant éclairer sa personnalité ; elle espère remplir les vides de son existence afin de répondre à cette question : était-il une victime ou un espion ? Elle s'interroge sur les ramifications russes et françaises. Ses doutes et ses convictions, ainsi que les nôtres, oscillent au fil de ses rencontres.


L'affaire Cherkassky relate le destin effroyable et miraculeux d'un homme mystérieux, à qui la Guerre froide a volé trente-sept ans d'existence. Pourtant, de nombreux secrets entourent les faits et de nombreux pans de son histoire sont inconnus. Camille tente de reconstituer le tableau complet et de comprendre qui était vraiment l'objet de sa quête. Elle rencontre d'anciens espions, des reporters, d'anciens amis, etc. de Nicolas et s'aperçoit que les versions diffèrent, selon les personnes. A elle, de confronter ses sources et de lire entre les lignes. Plus les pistes s'accumulent, plus l'ensemble devient opaque. Ce récit d'espionnage est passionnant.


Ce livre est aussi une photographie de l'URSS. Il raconte le climat de peur, de surveillance, de méfiance et de menace, qui s'étend au-delà des frontières. Il décrit, également, les terribles conditions des goulags et est, souvent, glaçant. L'atmosphère est une part importante du récit, elle est décryptée sous différents angles, en fonction des connaissances géopolitiques et des fonctions des personnages (reporter, espion, cadre de l'administration centrale, danseur, etc.). Les confessions ou stratagèmes sont explorés, sous l'oeil de Camille, une Occidentale, dans les années 2000. Je me suis sentie proche d'elle, mes questionnements et mes doutes se calquaient sur ses perceptions. J'ai aimé son approche nuancée et objective et ses remises en perspectives perpétuelles des évènements. Cependant, son étude n'est pas seulement factuelle, elle y mêle ses sentiments et son empathie. Son coeur est, parfois, meurtri. J'ai été sensible à son envie de vérité et son apprentissage au sujet de ses formes différentes, quand on tient compte de l'humain.


Ce roman m'a tant captivée que je l'ai plus vite que je ne l'escomptais. J'ai eu un immense coup de coeur pour cette fresque passionnante, qui mêle l'espionnage, les faits historiques de la Guerre froide, la douleur, les secrets, les mensonges, la quête de vérité, le totalitarisme, les émotions, la torture et l'héroïsme.


Lien : https://valmyvoyoulit.com/20..
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Avant toute chose, je souhaite remercier Média Livres de m'avoir proposé "L'affaire Cherkassky" d'Aurélie Ramadier, un roman à suspens à connotation historique. C'est un roman donnant l'illusion que l'histoire racontée est réelle. Une histoire similaire a-t-elle déjà existé par le passé ? A nous, lecteurs, de faire nos petites recherches, ahah ! d'ailleurs, pourquoi pas une adaptation cinématographique ou télévisée ? J'avais l'impression d'être en train de regarder un film à travers ma lecture du roman.

Plus sérieusement, "L'affaire Cherkassky" nous relate l'histoire de Camille, une jeune femme journaliste en devenir, qui doit rédiger un article sur la Russie, qu'on suivra au quotidien. Elle choisira un sujet complexe : une affaire qui s'est déroulée durant l'existence de l'URSS, une période au passé compromettant, et qui va devenir plus que complexe avec ses nombreuses zones d'ombre. L'affaire Cherkassky sera une enquête journalistique aux risques importants tant pour Camille elle-même que pour les personnes qu'elle va côtoyer pour les besoins de son futur article.

Dans ce roman relatif au passé soviétique, on retrouve tous les ingrédients d'une Russie qui savait (et sait ?) toujours faire taire ceux qui la dérange : assassinats, empoisonnements, espionnage, mise sur écoute, torture et emprisonnement au Goulag ou ailleurs.
A la recherche de la vérité tant convoitée et difficile à obtenir et d'informations supplémentaires pour la rédaction de son futur article, Camilla prendra des risques qu'elle pensait inexistants étant donné que l'URSS n'existe plus. Au fil des pages, on va observer une jeune femme de plus en plus sûre d'elle avec un courage hors du commun. Camille sera même prise à la fois d'attachement et de méfiance vis-à-vis de Nicolas Cherkassky, des ressentis qui vont se renforcer mais également s'estomper. En d'autres termes, Camille va prêcher le vrai du faux parmi les témoignages recueillis, un mic-mac compliqué à résoudre.

En bref, même si le passé est le passé, certains se préoccupent et se préoccuperont toujours de ce dernier. Est-ce que la vérité dérange ? Quoiqu'il en soit, il faut toujours regarder partout autour de soi, car on n'est jamais à l'abri de rien. le danger rôde toujours à nos portes.
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😊 A la découverte de 😊
L'affaire Cherkassky de Aurélie Ramadier
Éditions Balland

Une jeune fille décroche un entretien pour un poste de journaliste. Pour la tester, le rédacteur en chef lui demande de rédiger un article sur la Russie, pays où elle a vécu brièvement pendant son enfance.
Mais ses souvenirs sont vagues sur ce pays, et elle ne voit pas vraiment sous quel angle aborder ce sujet. C'est en fouillant dans la bibliothèque parentale qu'elle tombe sur une feuille volante arrachée d'un livre. Ce livre, elle finit par le retrouver et découvre l'histoire de Nicolas Cherkassky.

L'histoire d'une jeune français qui à la fin de la guerre part en Union Soviétique, terres de sa famille, avec ses compagnons qui ont combattu à ses côtés. Mais les jeunes hommes déchantent rapidement en découvrant l'envers du décors une fois passée la frontière du monde occidental. Nicolas est serein, il est Français, il pourra rentrer facilement y chez lui. C'est ce qu'il croyait. Mais ses illusions tomberont bien vite et il finira au goulag accusé d'espionnage. Il croupira 37 ans en Union Soviétique avant de réussir à regagner la France.
La jeune journaliste en herbe va se plonger dans cette histoire rocambolesque. Véritable épopée de cet homme ou affabulations, c'est ce qu'il lui faudra découvrir.

Une plongée dans la guerre froide et le monde de l'espionnage. Pas facile pour cette jeune femme inexpérimentée de démêler le vrai du faux face à des hommes dont le mensonge et la dissimulation est le métier.
Tout comme cette étudiante, nous découvrons l'envers du décors de la diplomatie et des relations internationales. Car si les faits sont lointains, les tensions et les enjeux sont toujours d'actualité.

Un roman passionnant, qui nous plonge dans son ambiguïté de faux semblants et de dissimulation.

📖 Retrouvez le livre par ici https://www.amazon.fr/Laffaire-Cherkassky-Aurélie-Ramadier/dp/2940719195
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Moscou, 27 octobre 1981.
L’avenue Kalinine est recouverte d’une pellicule de neige sale. Une cohue de Lada s’y presse, sur deux fois trois voies. Des barres d’immeubles sectionnent l’horizon. Au-dessus, le ciel s’étire, uniformément gris.
Des enfants jouent sur le parvis. Il pousse la lourde porte en bois, se glisse à l’intérieur. La porte se referme et son claquement résonne dans toute l’église. Puis les échos de l’extérieur s’évanouissent. Il se sent enveloppé d’une odeur de pierre humide, d’encens et de bois ciré. La lumière de la rue, filtrée par les vitraux, s’allonge sur les dalles de Ia nef. Par souci de discrétion, il emprunte le bas-côté. Seuls résonnent sous les arches le bruit traînant de ses pas.
Le froid est glaçant. Les centaines de bougies allumées, dressées sur les lustres ou sur les présentoirs, donnent l’illusion de réchauffer l’atmosphère. Les flammèches oscillent en silence dans la pénombre. En haut des piliers interminables, l'or des fresques flamboie, éclairant les visages dessinés d’un trait limpide à même la pierre. Une Vierge à l’Enfant fixe sur lui son regard immobile. Je suis venu t’implorer. Je t’ai toujours honorée. J’ai toujours honoré ton Fils. C’est ma dernière chance. Sauve-moi.
Un chant emplit l’église et s’épanche avec la fluidité d’un souffle. Des voix graves, puissantes, qui chantent à l’unisson. Des moines. Il n’est donc pas seul. Le chant devient bourdonnement. Il tente de contenir le flot de panique qui monte en lui. Il a besoin de tout son discernement, de tout son courage, de tout son sang-froid. Il presse sa main droite contre son ventre, regarde sa paume. Elle est couverte de sang. Il n’a plus le temps. Il faut partir, tout de suite. Il est peut-être déjà perdu. Et cette fois, pour de bon.

1. Paris, septembre 2004
Hangar? Terminal d’aérogare? Cathédrale futuriste? Je n’aurais pas trop su dire ce que m’inspirait l’endroit. J’avais pourtant eu le temps de me poser la question, depuis trois quarts d'heure que je patientais, le nez en l’air, dans ce hall à l’esthétique indéfinissable. Le lieu bruissait d’un va-et-vient continu, un flux de femmes en tailleur, de quadras bobos et de stagiaires affairés. Quelques seniors élégants, beaucoup de barbes de trois jours; de temps en temps, une folle de mode en tenue improbable. Au milieu de tous ces gens, je reconnus quelques stars de la profession. Célèbre ou anonyme, je les enviais tous.
Le soleil de fin d’été s’y déversait par une grande baie vitrée donnant sur le rez-de-jardin. Les dimensions du hall amplifiaient les bruits - murmures, sonneries de téléphone, claquement des talons sur les dalles de carrelage brut éclaboussé de lumière -, mais l’ambiance restait étonnamment feutrée dans ce temple de l’info. Après avoir vérifié mon rendez-vous dans l’agenda du chef, une secrétaire-cerbère m’avait invitée à patienter dans le lobby. C’est donc ce que je faisais, campée sur une banquette rouge vif dont l’assise et le dossier dessinaient une bouche de couleur pop outrancièrement pulpeuse. De là, j'observais l’atmosphère de ce sanctuaire médiatique, une ruche vibrant H24 où l’info était recueillie et traitée en continu, avant d’être délivrée au monde, décantée, analysée. C'était un peu comme je l’avais imaginé, en fait. En plus solennel.
J'étais assez impressionnée. Dans ce hall, assise sur canapé design, je me trouvais au seuil de mon rêve. J'allais rencontrer le directeur du Tribun, un des magazines les plus respectés du monde de la presse. Il allait me proposer d'écrire et même, pourquoi pas, de m’embaucher.
Dans mon esprit, c'était évident: ma vie n’était pas à la Sorbonne, où je faisais mes études. Le journalisme y était perçu comme une pratique inélégante, un peu vulgaire. On étudiait pour la beauté du geste. Moins les thèmes étaient utilitaires, plus ils étaient vénérés. On s’y trouvait comme dans un tableau de Poussin, où maîtres et disciples se tenaient allongés sur de vertes pelouses, dégustant des grappes de raisin lascivement suspendues au-dessus de leurs lèvres. Une bulle idyllique de savoir, flottant au milieu d’une nature enveloppante, infinie; loin, bien loin du fracas du monde.
Je regardai mon portable. On essaierait de se retrouver ce soir, avec les autres.
«Entendu». La secrétaire murmura quelques mots au téléphone. Elle raccrocha, se leva.
– «Mademoiselle?»
Elle m’accompagna dans l’ascenseur. Au fur et à mesure que la cage transparente glissait vers les étages supérieurs, mon estomac se serrait. Nous nous retrouvâmes bientôt devant la porte du bureau de celui que je devais rencontrer. Antoine Le Guellec.
Elle m’introduit dans la pièce, un vaste capharnaüm bourré de livres ou de magazines où flottait une odeur de tabac froid. Le Guellec était assis à son bureau. II leva la tête, sourit me fit asseoir. La secrétaire s’éclipsa.
Je dévidai mon bref CV, avide de lui plaire et de créer du lien. Prépa, histoire puis lettres à la Sorbonne, pratique de l'écriture, petits boulots sympas, grosse motivation. Il m’écoutait d’une oreille, feuilletant des dossiers, consultant son agenda. Quelques paquets de cigarettes, pleins ou vides, formaient sur son bureau des piles à l’équilibre incertain ; entre chacune d’elles gisaient pêle-mêle crayons, bics et stylos et toutes sortes d'accessoires de bureau. Je terminai mon exposé en formulant ma requête.
– …C’est pourquoi je souhaite m’orienter vers le journalisme. J'aime l’information, j’ai l'habitude d’écrire et je pense pouvoir apporter une contribution intéressante à votre magazine.
Bras de chemise, simplicité amène: ce n’était pas l’apparence de Le Guellec qui imposait le respect. Plutôt l'assurance qui émanait de lui, en dépit de sa décontraction toute juvénile. Et ce message qu’il émettait, en mode subliminal: vous êtes assise là, en face de moi. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez.
– Un petit article, oui... Pourquoi pas. À faire valider avant publication, bien sûr.
D'un clic, il lança une impression. L’appareil se réveilla et se mit à cracher des feuilles dans un bourdonnement monotone. Le Guellec semblait réfléchir, promenant son regard sur un exemplaire d’un magazine concurrent qui traînait, ouvert, à côté d’un assortiment de mugs aux bords intérieurs maculés de café froid. Un homme politique s’y justifiait de sa condamnation pour fraude fiscale. L'article était accompagné de photos sur lesquelles on le voyait en famille, au milieu de petits-enfants endimanchés comme des Windsor; assis sur la pelouse, entouré de sa femme et de son chien; courant sur la plage avec son chien, mais sans sa femme, affrontant les embruns, tous pectoraux dehors. À la fin, Le Guellec ramassa en une liasse les feuilles imprimées qu’il fit disparaître dans un classeur. Puis il se gratta le nez.
– Vous n’avez pas de formation, c’est ça?
– Journalistique, vous voulez dire?
– Oui.
– En effet, je n’ai pas suivi de spécialisation. Mais j’ai une licence d'histoire, une licence de lettres, et je me suis inscrite aux concours de l’enseignement, pour la préparation. Et je compte bien apprendre sur le terrain. Il soupira.
– On ne va pas se mentir, reprit-il. Le journalisme, c’est un métier; et un métier, ça s’apprend. Enfin, je dois bien ça à Dominique. Vous aviez un sujet en tête ?
– Je pensais écrire sur l’actualité littéraire. C’est mon terrain naturel. Vous avez sans doute besoin de renfort en cette période de rentrée, il y a tellement de parutions en septembre... Il esquissa une moue dissuasive. - Sinon, j’ai des amis qui se sont lancés dans le commerce équitable et je me disais que... - - Dites-moi, m’interrompit-il, je me trompe ou vous avez vécu à l’étranger ?
– Eh bien... oui, répondis-je, surprise.
– Dominique m’a dit que vous avez vécu en URSS.
– Un peu, bredouillai-je. À Moscou. Mon père y travaillait comme ingénieur pour un groupe automobile. Mais j'étais très jeune et.
- Vous avez bien quelques souvenirs ? Enfin, je veux dire par là que ça vous parle, la Russie? J'étais totalement prise de cours. Bien sûr que j’en avais, des souvenirs. Les rues enneigées, ma nounou russe et ses berceuses en cyrillique, l’école française, la cafétéria de l’institut; les promenades dans les forêts de bouleaux, les bulbes de la cathédrale Saint-Basile. Ça ferait de jolies photos, c’est sûr, mais je ne voyais pas bien quel genre d’article ça pourrait donner.
– J'ai quelques souvenirs en effet, mais...
– Écrivez là-dessus. Sur la Russie. Attention, dit-il en pointant l'index en l'air. Pas la Russie de Poutine, le sommet russo-américain, l’élargissement de l'OTAN, les attentats tchétchènes, tout ça, non, vous le laissez aux spécialistes. Nous avons ce qu’il faut et depuis les attentats du World Trade Center, les consciences sont en alerte. Aujourd’hui, la Russie n’a pas les faveurs de l’opinion publique française. Présentez-en une image positive. Trouvez-moi un thème sympathique, original si possible. Et apolitique. Si je vous donne mon feu vert, on pourra passer à l’étape suivante.
Je restai perplexe.
– Mais... pourquoi la Russie ?
– On prévoit de sortir un numéro spécial d’ici quelques mois. C’est pas mal, comme timing. Vous avez le temps de travailler, j'aurai le temps de vous faire corriger. L’autre avantage, ajouta-t-il en rassemblant une pile d’enveloppes, c’est que Dominique pourra superviser ce que vous faites. La Russie, ça le connaît.
– J'avoue qu’à chaud, je n’ai pas trop d’idée sur ce que...
– Je ne suis pas inquiet.
Il soupira, posa les mains sur la pile de courrier.
– Pardonnez-moi d’être franc, Camille, mais personne ne vous attend. J’ai promis à Dominique que je jetterai un coup d’œil à ce que vous aurez écrit, et je le ferai. De votre côté, respectez la contrainte, et soyez inventive. Jouez le jeu! Et recontactez-moi lorsque vous aurez trouvé votre sujet, qu’on se mette d'accord. Ça marche ?
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