La flèche du comte Macron était empoisonnée et il sentit ses os se refroidir.
Il y eut un temps où les gazettes étaient dirigées par des gens de ce métier qui avaient pour fonction de traquer, vérifier et publier de informations lisibles et claires, sans subir la moindre pression sur les sujets traités. Et puis les industriels se mirent à régenter les gazettes auxquelles ils ne connaissaient rien, sinon qu'elles devaient servir leurs produits et donc leurs intérêts financiers. Elles devaient être rentables. Autrefois, le vin et le tabac circulaient dans les salles de rédaction bruyantes, quand trépidaient les Underwood noir et or et résonnaient les forts éclats de voix; on ne comptait pas les heures, on vivait, on discutait, on s'engueulait, on se contredisait, on riait; des papiers de qualité surgissaient de ce sacré foutoir. Désormais, les salles de rédaction étaient silencieuses comme des cliniques; pas un mot, pas un bruit, plus de tabac en nuages dans l'air filtré, quelque chose d'aseptisé et de morne; chacun avait les yeux collés à ses écrans avec des mines coupables . Les consignes s'étaient substituées aux envies. (p. 97)
Les attentats des barbaresques avaient revigoré François-le-Mollasson. Dans pareille circonstance il avait poussé devant sa détermination, laquelle redonna à son portrait des couleurs plus franches et moins lavasses. On vit le mercure dans son baromètre politique monter en une seule fois de vingt et un points. Son peuple le jugeait soudain capable de prendre des décisions, ce qui était parfaitement neuf. (p. 28)
Nicolas-le-Mauvais ne s'était jamais résolu à la perte du Trône. Dans sa tête et dans ses mœurs, il régnait toujours et entendait maintenir un protocole à son usage personnel. La réalité le contrariait mais il voulait maintenir son rang. Chef de parti, voilà ce qu'il était devenu aux yeux des malveillants, et lorsque son homologue du Parti social voulut l'inviter à participer à la marche des chefs d'Etat, près du métro Voltaire, il ne daigna pas lui répondre; il fallut que le duc d'Evry lui-même s'en chargeât. Il boudait. (p. 55)
L'épiscopat semblait favoriser Marionnette et lui apporter de pieux électeurs comme les santons de la crèche. (p. 82)
Sous le règne de François-le-Souple, les mouvements de protestations, les grèves s'enchaînaient et se chevauchaient avec une jolie régularité. les unes après les autres, les corporations se fâchaient contre des mesures jamais expliquées. Les réformes de l'éducation indisposaient par principe et il y avait des raisons à cela; à force d'égaliser les chances dans des classes bondées et disparates qui reflétaient le quartier où s'ouvrait l'école, les responsables des académies nivelaient pour atteindre un niveau proche du sol. (p. 109)
La vérité était ce qu'on en faisait. Même pas la peine de faire semblant, il suffisait de dire avec force, que ce fût vrai ou faux n'importait plus. Les réseaux électroniques qui pénétraient les sociétés étaient un merveilleux vecteur de bêtises honteuses et Donald en abusait. [...] À quoi servait donc un programme quand on possédait l'art d'embobiner autrui ? (p. 185)
Le prince était responsable de cette dégringolade. Ses sujets, ne voyant aucune différence entre sa politique et celle détestée des précédents monarques, lui tenaient rigueur de cette continuité. En effet, il baissait les charges des entreprises, qu'il choyait, sans se soucier des travailleurs qui les faisaient tourner, taillait dans les dépenses publiques, menait au loin des guerres dispendieuses, vendait des canons et s'en félicitait, serrait les mains des aristocrates. Il avait tourné en ritournelle son slogan, mais "le changement c'est maintenant" restait sans effet, comme ses promesses de réduire le chômage. Sa Majesté n'avait aucun projet, peut-être une méthode mais pour aboutir à quoi ? Il n'avait pas d'idées.
Le Prince était vide.