Le Maître

Qui vole un boisseau de graines finit à la potence, et qui vole un royaume finit sur le trône. La vertu qu'on nous chante, elle nous avilit. Regarde ces cohortes qui se précipitent dès qu'on leur signale l'arrivée d'un sage dans leur bourgade. Ils délaissent leur famille, leurs amis, leurs biens, pour se réfugier à l'ombre d'un diseur de bonne aventure ! Tous nos maux viennent de ce que les hommes cherchent à connaître ce qu'ils ne pourront jamais connaître, au lieu de se pencher sur ce qu'ils connaissent déjà. Ces pensées que les sages inventent, elles ont mis le monde à feu et à sang. Et puis que sont-ils donc, ces sages pétris d'orgueil, sinon les serviteurs dociles des tyrans ?

Tu dis vrai. Ce qui nous a été prêté peut nous être repris. Quand on a compris le provisoire des choses, que peut-on craindre?

La vie, tu sais, c'est une tumeur, la mort n'est qu'un abcès qui crève.

C'est la tradition qui nourrit les guerres, la tradition qui force les hommes à des travaux épuisants, la tradition qui creuse le fossé entre riches et pauvres, la tradition encore qui invente des cultes pour séparer les hommes. N'est-ce pas de la barbarie?

La durée de nos existences n'est rien comparée au temps où nous n'existons pas.

Qui vole un boisseau de graines finit à la potence, et qui vole un royaume finit sur le trône.

Chacun aime la compagnie de qui lui ressemble. Les gens détestent ceux qui sont différents.

Les valeurs morales sont factices, continuait le prince Shang. Mieux vaut conditionner les réflexes du peuple! La vertu n'est qu'un déguisement de l'intérêt! Abétissons l'humanité! L'intelligence du peuple est si courte que ceux qui oeuvrent pour son bien, il les rejette. Crois-moi, ils n'obeissent qu'au dompteur, ces brutes!

C'était ainsi, par la modulation des mots, par le ton résolu de la voix, que le peuple se laissait bercer par les tyrans.

Que sont les rites, disait-il, sinon la manifestation du respect? Rien de plus. Lorsque les pères sont respectés, les fils s'en réjouissent. Quand un homme intelligent ne dispose ni de maître ni de normes, il devient toujours un voleur. S'il est courageux il devient à tout coup un brigand, et s'il possède des compétences, il ne manque pas de susciter des troubles...