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QUID ?
J’ai su à cet instant-là que je devais choisir entre l’homme qui m’avait élevé et le sac d’ossements et de terre que j’avais à la main, et que ce choix je devais le faire de ce côté-ci de la rivière.
C’était loin d’être aussi simple, évidemment. Il ne s’agissait pas de ce qu’il convenait ou non de faire, ou de ce que je devais aux hommes qui me revendiquaient comme leur fils.
Tout ce qui comptait, c’était ce avec quoi je pourrais vivre.
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Mais rien n’est solide, ni permanent. Nos existences sont élevées sur les fondations les plus précaires. Inutile de lire des manuels d’histoire pour le savoir. Il suffit de connaître l’histoire de sa propre existence.
Pour être cultivateur, un homme devait se comporter comme une mule – garder ses yeux et ses pensées rivés sur le sol juste devant lui. Autrement, il ne pouvait pas revenir dans ses champs jour après jour.
Un pied encore au paradis,je me tiens
Et mon regard traverse l’autre terre.
Le Grand Jour du monde arrive en retard
Pourtant qu’ils semblent étranges
Ces champs que nous avons ensemencés
D’amour et de haine.
Edwin Muir
T'as fait ce que tu devais faire, je me disais. Détends-toi, maintenant, profite du paysage et laisse filer tes pensées.
J'avais grandi en sachant qu'il n'y avait pas d'avenir ici, que Jocasse serait tôt ou tard recouverte par les eaux, je ne m'étais donc jamais permis de m'y attacher comme l'étaient maman et papa. J'avais toujours su qu'un jour ou l'autre je devrais partir.
J’apprenais que quitter un lieu n’était pas aussi simple que de faire ses valises et partir. On en emportait une partie avec soi, qu'on le veuille ou non.
Ça va jamais aussi mal qu'il y paraît, avait toujours dit maman dans les pires situations.
Mais rien n'est solide, ni permanent. Nos existences sont élevées sur les fondations les plus précaires. Inutile de lire des manuels d'histoire pour le savoir. Il suffit de connaître l'histoire de sa propre existence.
C'est peut-être le plus grand bienfait que nous accorde l'enfance, ai-je songé tandis que papa posait mon assiette devant moi, de croire que jamais rien ne change.