1948 à Iola, petite ville du Colorado. Victoria — Torie comme l'appellent ses proches — a 17 ans. Son père est à la tête d'un verger de pêches renommé, les pêches Nash. Quand Victoria croise Will au détour d'une rue ce jour-là, c'est l'illumination : elle est aimantée par ce jeune homme drôle à la peau sombre. Cette rencontre va bousculer sa vie et elle va devoir lutter dorénavant pour assurer sa survie et celle de son verger.
«
Va où la rivière te porte » est le premier roman de l'américaine
Shelley Read, qui vit dans les monts Elk du Colorado. J'ai pu le lire grâce à une opération spéciale de Masse critique. Cette lecture m'a bouleversée.
L'auteure a pensé et construit un cadre à son intrigue, un cadre temporel en premier lieu. L'histoire débute en 1948 et se clôture en 1971 dans le Colorado. Cette période est marquée par des guerres (la fin de la seconde guerre mondiale, la guerre du Vietnam) et des mutations profondes : le racisme et la lutte contre les Indiens sont encore ancrés, la modernisation se profile avec la construction de barrages qui noient des villages entiers, les mouvements hippies surgissent au tournant des années 1968.
L'histoire est enracinée dans un environnement d'une beauté foisonnante et saisissante : au coeur du Colorado sauvage, entre montagnes qui se poudrent de neige l'hiver et la rivière Gunnison dont les flots rutilants sinuent dans les méandres des roches. L'auteure propose de très belles descriptions de paysages, de variétés d'arbres, de plantes ; sous sa plume, la rivière Gunnison et les monts environnants deviennent des personnages ; la faune est célébrée, sous l'apparence ici d'une biche accompagnée de ses faons, là d'un poisson qui gobe des insectes qui viennent de naître. Cette oeuvre de nature writing donne à voir une existence en harmonie avec la nature, mais une nature qui reste fragile, car menacée par les activités humaines.
A la confluence de ce temps et de cet environnement, l'auteure a bâti une intrigue autour d'une femme, Victoria, marquée par des pertes successives et dramatiques, mais pour autant forte et résiliente. Elle raconte — adoptant le point de vue narratif de Victoria, en « je » pour donner plus de poids et d'émotions aux événements vécus — l'histoire d'un amour interdit, avec un indien, amour puni de la plus terrible des manières. Un enfant naît dans le plus grand secret et la solitude la plus âpre ; un enfant qu'elle va confier au destin et dont elle va emmurer l'existence dans les tréfonds de son âme. Elle s'efforcera toujours de suivre le conseil de Will, son amant éphémère : «
Va où la rivière te porte », et elle suit la Gunnison emportant son verger et ses secrets avec elle.
Ce premier roman est bouleversant : c'est une ode aux femmes, à la persévérance, à la résilience ; c'est également une ode à la nature, tout aussi forte et puissante, capable de résilience certainement, mais jusqu'où et jusqu'à quand ? Une lecture très actuelle, qui captive de bout en bout par la force et la couleur de son humanité.
Je tiens à remercier Babelio et les éditions Robert Laffont pour ce très beau voyage dans le Colorado, au fil de la rivière Gunnison.