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Un excellent roman. Mais avant d'en parler, il me semble important, au vue des étiquettes qui lui sont attribuées, de préciser ce qu'il n'est pas :
Bien qu'il y ait beaucoup de policiers et d'actions policières, ce n'est pas un roman policier (pas d'enquête, pas de crime, tout au plus une grosse infraction suivie d'une fuite et d'une traque)
Les scènes en pleine nature sauvage sont très nombreuses, dans des paysages proches de ceux de Dersou Ouzala, mais si vous êtes contre la chasse, mieux vaut passer votre chemin…
Ce n'est pas non plus un roman noir, mais с'est désespérant au possible, anti feel good. Il s'agit d'un roman sociétal. L'histoire se déroule en extrême-orient russe, près de la mer d'Okhostk. le village de Rybatchi est au bord de la mer mais les habitants vivent plutôt de la chasse et de la pêche en rivière. Mais pour pêcher et chasser, il faut des permis, accordés selon le bon vouloir (et surtout contre monnaie sonnante et trébuchante) par les autorités locales. Sans compter qu'il est bien difficile de trouver un débouché légal aux produits de la pêche et de la chasse, pour cause d'infrastructures défaillantes. Cette année-là, interdiction de pêcher, seuls les oeufs de saumon intéressent les autorités. C'est totalement illégal, donc ça va rapporter très gros. Tout le monde y gagne, un équilibre instable règne. Mais voilà qu'un incident de rien du tout éclate : Stepane Kobiakov rentre dans une voiture de police mal garée, un adjoint ambitieux, pas très au fait des pratiques locales, veut fouiller son véhicule, et tout part en sucette. Kobiakov prend la fuite, les flics se sentent ridiculisés, une chasse à l'homme s'organise, l'équivalent russe du GIGN est appelé en renfort.
Volia volnaïa, « libre liberté », c'est le titre d'une chanson cosaque (qui ne finit pas bien ), cela évoque Stenka Razine, tout un programme,... Volia signifie liberté, celle des grands espaces, de la vie sauvage, c'est aussi la liberté de penser. Mais ce n'est pas la même chose que Svoboda, la liberté de l'homme juridiquement libre...
Les personnages sont bien campés, les attitudes de chacun, leurs personnalités, leurs motivations, tout ce qui peut expliquer l'enchaînement de leurs décisions maladroites est détaillé, entre des descriptions splendides de paysages et quelques cuites. Il y a
Guenka le chasseur, Tikhi le chef de la milice plutôt pépère, dépassé par son nouvel adjoint Gnidiouk, Kobiakov, intègre, mais impulsif, Ilya le riche Moscovite qui cherche à fuir la vie urbaine corrompue dans cette nature hostile mais libre, Balabane, chanteur musicien qui joue le Requiem de Mozart en pleine taïga, et pas mal d'autres.
Cela se passe au bout du monde, très loin de Moscou, mais quelle belle manière de montrer à quel point le pays est gangréné par la corruption.
Dans un interview de 2014, l'auteur explique que si tout est fictif, chaque chapitre est tout à fait vraisemblable et, hélas, typiquement russe. Au passage il nous apprend qu'il a vraiment vécu la scène du Requiem et celle avec l'ours. Quand j'ai refermé le livre j'avais l'impression d'avoir lu un roman déprimant au possible, mais pour l'auteur, pas du tout, car à chaque instant chaque personnage aurait pu prendre une autre décision. Un optimisme très minimal tout de même. Heureusement, il y a de très bons moments, le plus souvent solitaires, au coeur de paysages époustouflants (genre Dersou Ouzala, Sylvain Tesson ou André Makine).
Ce livre a été primé (prix Russkiy booker 2014 et prix Bolchaïa Kniga 2014) à sa sortie pour « son regard ouvert sur les conflits sociaux contemporains ». Dire que c'est l'année où la Russie a annexé la Crimée !
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Liberté libre!
Je sors de cette lecture un peu saoule de vodka, les poumons engorgés de fumée de cigarettes mais la tête pleine des grands espaces de la taïga et le coeur débordant de liberté et de volonté.
Je n'ai que le goût de chevaucher une motoneige et de rejoindre les épinettes du nord québécois. D'entendre le silence… sinon, le craquement des arbres, les oiseaux, le vent…
Ce roman est une ode à la nature dans tout ce qu'elle a de beau à proposer et à sa rudesse; mais aussi à ce que les hommes malfaisants sont capables de lui faire ainsi qu'à leurs congénères.
Nous sommes dans un petit village russe de
Sibérie où tout se rapporte à la chasse et à la pêche. le braconnage est roi et la corruption de la milice mène le bal.
Les oeufs de saumons valent leur pesant d'or et la chasse à la zibeline est plus qu'un sport.
L'histoire tourne autour de Kobiakov qui lors d'un simulacre d'altercation, refuse de céder le fruit de ses efforts aux miliciens. le village en entier se retrouve impliqué dans cette affaire qui dégénère tellement que Moscou doit envoyer des membres d'une unité des forces spéciales pour la régler.
Mais comment survivre dans cette immensité? Les villageois sont très bien outillés et le roman décrit très bien les techniques de survie en forêt. Il en est de même avec la lutte entre la loyauté à ses amis et le respect des traditions; et l'asservissement de l'état et la quête identitaire des russes qui ne connaissent que les pots de vins et la privation.
L'auteur nous fait bien ressentir la volonté de liberté de la masse populaire russe mais également le silence dans lequel elle est tenue par rapport à la politique et la désinformation qu'elle subit. L'immensité du territoire en est en partie responsable ainsi que la cruauté de son gouvernement.
J'ai beaucoup aimé cette lecture mais j'y ai mis du temps car je me perdais totalement dans les noms des protagonistes et je devais sans cesse me référer à la liste du début. Il m'a fallu une bonne dose de courage pour passer au travers et j'ai quelques fois penser abandonner mais la finale vaut tellement le coup! A la pensée des critiques élogieuses des amis (es) babeliotes, j'ai tenu le cap et j'ai traversé l'immensité des richesses de ce roman.
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La taïga est le personnage principal de ce roman. Magnifique, magnétique, impitoyable, rude, très rude.
Le roman se permet avec bonheur de grands moments contemplatifs. Les hommes s'arrêtent parfois pour juste admirer la nature qui les entoure.
Et j'aime quand le récit se permet ce genre de pause (vous ai-je parlé du film « Ghost in the Shell » de 1995 ?)

## Mais où sommes-nous au fait ?

Le récit se situe aux confins de la Russie non loin des terres Yakoutes.
Une petite communauté vit de pêche, de chasse et du trafic des oeufs de poissons. Un véritable or rouge.

## Mais quand sommes-nous ?

C'est un récit contemporain.

## Et les hommes ?

Les hommes ne sont pas « magnifiques ». Certains sont braves, droits et justes. D'autres, beaucoup plus lâches et veules.
Mais de toute façon pour vivre avec un peu de « confort » il faut un « métier » à côté.
Personne n'est blanc comme neige.
Alors tout le monde contourne la loi sous l'approbation de la police qui ponctionne 20 % pour fermer les yeux.

> Peut-être pensait-il que tout flic qui se respecte doit avoir son business. Ce n'était pas lui qui l'avait décidé, c'était la coutume.

Chacun vit sa vie et savoure la liberté sans pareille au milieu d'une nature sans limites.
La vie est rude et l'alcool coule à flots. Vraiment à flot. On boit de la Vodka ou des tors boyaux tout le temps, constamment.
Pas de repas sans Vodka.
Pas de rencontre sans Alcool.
On part en « expédition » dans la taïga sur un coup de tête après avoir beaucoup trop arrosé une discussion nocturne.
Il faut alors de la chance pour en revenir.

Un incident stupide entre un habitant et un policier nouveau venu va prendre des proportions dramatiques.
Le fragile équilibre de la communauté qui tenait surtout par un accord tacite « laisse-moi tranquille » vol en éclat.
C'est pour tous un révélateur : « Sommes-nous aussi libres que l'on veut bien le croire ? »
On peut se moquer du système, de Moscou… mais tout ça se rappelle avec force à tous.

Le récit est très bien dosé (à mon avis) entre moments de contemplation, tension, rencontres.
J'ai trouvé les personnages très intéressants : du plus rebelle au plus résigné, tous sont « vrais ».
Personne ne sonne faux.

## Élargissons le cadre

Le roman donne un éclairage bienvenu sur la perception du pouvoir et de la liberté en Russie

> En Russie, le pouvoir avait toujours été une vache sacrée. Même ici, dans ces lieux reculés qui depuis la nuit des temps servaient de refuge contre les persécutions de toutes sortes et où le servage n'avait jamais pris, où des hommes plus qu'indépendants vivaient au sein d'une nature rude, les gens s'indignaient, non pas de la mauvaise structure du pouvoir lui-même, mais de l'injustice de ses actions. C'était stupide à n'y rien comprendre !

Les hommes boivent, mais leur liberté est un constant sujet de discussion

> Tous les gars du coin se ressemblaient : ils voulaient une vie libre. Même au prix d'un pouvoir inique.
Or un pouvoir inique corrompt même la liberté

On parle de changement de pouvoir en ce moment pour la Russie. Changement vraiment ?

> Il savait pertinemment que de son vivant le pouvoir ne s'améliorerait pas en Russie. le gouvernement actuel, la situation actuelle correspondaient précisément aux aspirations de l'absolue majorité des citoyens, à l'idée que ceux-ci se faisaient du bien-être.

Deux mondes qui s'ignorent

>… Il comprenait bien qu'il n'existait rien de commun entre ceux qui regardaient le ciel depuis leurs bureaux moscovites, passaient leurs soirées au restaurant ou au théâtre, distribuaient les licences de pêche et de chasse, les autorisations à extraire l'or… et un Onc' Sacha qui sillonnait la taïga sur son vieux tas de ferraille.
Rien ne les unissait : ni Dieu, ni un tsar, ni même un guide bien-aimé.

Sur Moscou et le pouvoir

> — Bon, chez nous, d'accord, c'est l'arbitraire, disons. Si tu es procureur, les autres n'ont qu'à se tenir à carreau. Mais tu prétends que c'est pareil à Moscou ? Ça veut dire que le pouvoir est pourri partout ?
— À Moscou, c'est pire. Ici, malgré tout, subsistent quelques valeurs humaines. Là-bas, il n'y a que l'argent.

## Points délicats ou qui peuvent l'être

* On s'appelle par le prénom et le nom de famille, ou par le prénom seul, ou par un diminutif, ou par un surnom !
Et oui vous n'échapperez pas au moment « Mais de qui parle-t-il donc ? »
Pas facile de suivre par moment
* Chasse : Pas question ici de chasse à la « galinette cendrée », mais chasse il y a.

## Quelques citations pour se rendre compte du ton du livre

> En avançant en âge – il avait quarante-trois ans –, il s'était mis à apprécier de plus en plus cette vie solitaire au coeur de la taïga. Il en était lui-même étonné : avec les années, bien des choses cessaient de l'intéresser et s'éloignaient en douceur, quittaient sa vie, mais cette attirance-là ne faisait que croître. Dans la forêt, il se sentait toujours bien. Mieux qu'ailleurs, avec qui que ce soit.

> La chanson préférée du Cuistot narrait l'histoire d'un gars qui cherchait l'amour et la liberté, mais qui était tombé sur une belle garce, une traîtresse. Il y avait là un désespoir très russe, un désespoir fou d'ivrogne – la trahison de cette garce symbolisait le désordre du monde –, authentique dans sa profondeur effrayante et mystérieuse. Cette histoire aurait pu être vulgaire, comme toutes les chansons de ce genre, mais elle ne l'était pas. Balabane possédait un savoir calme sur la vie : dans son interprétation, la fille était malheureuse, elle aussi, et c'était très important ; la douce voix du chanteur permettait à tous de s'élever au-dessus de ce qui aurait pu être une banale cuite.

> Il y avait dans le travail de ces hommes un sens immense, presque inaccessible à l'intellect, un sens qui émanait de cette taïga, de ces montagnes, contenu dans le travail lui-même, dans ce lourd labeur qu'ils accomplissaient sans rechigner en sachant que l'année suivante il leur faudrait recommencer

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« La solitude dans la taïga est une drogue accrocheuse »…et même par livre interposé. Ce livre est une plongée réaliste dans l'immensité sibérienne, au coeur de la Taïga, une expédition montagnarde, sylvestre et aquatique pour chasser la zibeline et pêcher le saumon. Un voyage dans le froid et la neige, enveloppé d'une doudoune en duvet et chapka en fourrure sur la tête, là où les pins nains sont saupoudrés de givre comme des paillettes d'argent, à fouler une neige duveteuse et molle, douce sous les pieds comme les poils d'un lièvre. Au milieu des ours et des loups. Une sensation de calme et d'éternité qui serti ce bourg du bout du monde : Rybatchi. Sur les côtes de la mer d'Okhotsk.

Volia volnaïa, ou « liberté libre » en français, du nom d'une chanson, est un roman russe poétique, fulgurant, qui conte l'éternel affrontement entre désir de liberté et asservissement au pouvoir, tiraillement d'autant plus fort en cette Russie post-communiste. Les habitants de cette contrée lointaine tirent leurs revenus principalement du trafic illégal d'oeufs de saumon et de peaux de zibeline, activités interdites par la milice sauf à lui payer une taxe de 20%. Trafic versus corruption du pouvoir. Activités illégales versus racket par les chefs mêmes des milices locales qui sont de fait des chefs mafieux. Les nombreux personnages qui jonchent ce roman, dont les noms, les prénoms et les diminutifs sont tour à tour utilisés pour les nommer ce qui peut être perturbant en début de lecture, se trouvent confrontés à une forte quête identitaire, avec, en toile de fond, ce tableau pour le moins contrasté de la Russie contemporaine elle-même partagée entre tradition et modernité.

Le début du livre donne le ton ; nous sommes en effet immédiatement immergés au sein d'une nature grandiose, découvrant Guenka, parti comme chaque année s'isoler dans son isba en automne, à l'ouverture de la chasse ; Chasseur de zibelines et pêcheur à ses heures, entouré d'une nature qu'il aime, une nature immuable.

« Comme la plupart des saisonniers, il aimait particulièrement ces jours précédant l'ouverture de la chasse. La rivière, la forêt, tout était à redécouvrir, tout avait légèrement changé. C'était comme retrouver un vieux copain que l'on n'a pas vu depuis un an. Tiens, il a des cheveux gris, une nouvelle cicatrice, des rides qu'on ne lui connaissait pas auparavant. Pareil. A un endroit, la berge s'affaissait, avalée par la rivière, le sentier avait disparu, un tilleur séculaire gisait, arraché, en travers de la clairière, ayant évité de justesse une petite isba. Mais surtout il y avait une multitude de détails. Les couleurs étaient vives, comme rénovées. Cette répétition éternelle et inépuisable – il verrait la même nature que l'an passé, qu'il y avait deux ans, et pourtant, ce serait comme une nouvelle rencontre – procurait une grande joie à Guenka, elle conférait un sens à son existence. La fraîcheur et l'infini de la vie l'élevaient au-dessus de la terre, au-dessus de la rivière et de la taïga. Dans ces moments, il avait l'impression qu'il en serait toujours ainsi ».

Puis peu à peu les autres personnages prennent vie sous la plume incroyable de Victor Remizov au moyen de descriptions magnifiques de réalisme : chasseurs, pêcheurs, miliciens, hommes, femmes, jeunes et vieux, nous découvrons la vie si caractéristique de cette société du bout du monde, ses codes, ses difficultés. Des hommes qui boivent la vodka comme de l'eau plate. Des femmes qui semblent être la seule planche de salut de ce petit microcosme. Des personnages rudes, taiseux, alcooliques, touchants, à l'image des paysages arides de cette contrée glacée. Un incident mal interprété entre un chasseur et le chef de la milice va mettre le bourg dans tous ses états. Ce sera le début de la fuite du chasseur, puis de sa traque en pleine taïga ainsi que d'une prise de position de chacun dans le village, certains étant pour aider le chasseur, d'autres pour l'attraper et le punir. Mais autant chercher un aiguille dans la taïga…Un événement propice à la réflexion sur les notions de liberté, d'orgueil, de soumission.

Sensible aux plumes poétiques, celle de Victor Remizov sait allier les descriptions poétiques de paysages, celles plus épiques des personnages, il sait distiller un certain suspens tout en faisant passer ses messages politiques…une très belle plume !

« Il gelait légèrement, un soleil rouge se couchait dans la toundra bistre recouverte de neige, plongeant derrière les lointaines cimes blanches pointues des montagnes vers lesquelles les hommes étaient partis. Les nuages vaporeux et plats, s'étaient gorgé des couleurs du couchant qu'ils transportaient vers l'autre extrémité du ciel, vers l'est. Là, le rose tendre s'épaississait, s'écoulait à flots réguliers formant tout en bas, un liseré bleu-vert et violet sombre ».

Liberté d'aller vivre au rythme de la nature, seul, même dans des conditions extrêmes, liberté de s'opposer aux décisions parfois contradictoires toujours corrompues du pouvoir de la base au sommet en cette Russie post-communiste, liberté de changer de vie lorsque celle-ci n'offre plus de perspective ni de sens. Liberté pour contrer l'absurde et la soumission. Ce livre évoque tout cela de très belle et poétique manière. Un premier roman à découvrir !

« Il s'adossa à l'encadrement de la porte, abasourdi par le silence de la taïga et la lumière. Une douce joie pénétrait dans son âme avec l'air froid. Une vie authentique l'attendait, une vie pleine, absolument limpide. Elle régnait tout autour de lui, il suffisait de franchir le seuil. C'était sa vraie liberté, absolue, divine en ce monde. Il ne croyait à aucune autre ».
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Par ces temps caniculaires, on peut tenter de se rafraîchir en voyageant par la pensée (au moins) vers la Sibérie orientale. Au début de l'automne, la neige va bientôt commencer à tomber et à recouvrir la région d'un épais manteau glacé pour de longs mois, propices à la chasse à la zibeline. Ca y est, vous visualisez la taïga par moins 30, le blizzard, les lacs gelés, vous commencez à grelotter ?
Bon, au moins j'aurai essayé.
Or donc, disais-je, transportez-vous sur la presqu'île de Rybatchi, coincée entre la mer d'Okhotsk et celle de Béring. La Nature y est rude, hostile, mais néanmoins généreuse envers qui sait la comprendre et la respecter. Les hommes y vivent de pêche l'été et de chasse en hiver, et aussi, du braconnage d'oeufs de saumon. C'est illégal, mais à l'ère post-soviétique la corruption est endémique, et les autorités locales laissent faire moyennant de juteuses commissions de 20%. Tout le monde n'apprécie pas forcément ce racket institutionnalisé, mais la plupart s'en accommodent, faute d'alternative, il faut bien faire vivre sa famille. D'autres, plus rares, seraient plutôt tentés de se révolter, mais les moyens et/ou le courage leur manquent, et l'abus de vodka n'aide guère.
La vie coule son long fleuve tranquille, jusqu'à ce que la situation se tende après un incident entre Kobiak, l'un de ces pêcheurs-chasseurs insoumis, et un milicien ambitieux qui, en dépit du bon sens et des coutumes locales, fait remonter l'affaire jusqu'à Moscou, qui envoie sur place une unité spéciale d'intervention. Une chasse à l'homme, démesurée au vu de l'incident initial, est lancée, et Kobiak se cache dans la taïga comme un vieil ours solitaire, alors que l'hiver approche.

« Volia volnaïa » est une fameuse galerie de portraits d'hommes et de quelques femmes, les uns rebelles à des degrés divers, rudes, courageux, entêtés, solidaires, épris de liberté et de justice, les autres pourris et avides d'argent et de pouvoir, et les derniers vacillant entre les deux, cherchant à s'identifier aux uns ou aux autres. le roman montre aussi le contraste entre une culture traditionnelle qui respecte la Nature, et le néo-capitalisme sauvage qui la surexploite au mépris de tout.
Une Nature grandiose magnifiquement décrite, des personnages touchants et attachants par leur caractère entier, un portrait à l'acide de la Russie poutinienne, « Volia volnaïa » est un très beau roman, lyrique et désespérant.
Quoique... Dans ce pays où tout se vend et s'achète, il reste peut-être une chose non négociable : Volia volnaïa, la « liberté libre ».
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Ce roman est un étonnant nature writing à la mode russe, avec les paysages glacés de la taïga et une chasse à l'homme sur les terres immenses de Sibérie
Mais c'est aussi un roman politique qui met en scène la corruption des institutions et un Poutine ironiquement qualifié de" champion de samba et de judo " qui s'est auto-désigné président a vie, au grand désespoir de ces russes de Sibérie.

Pour survivre, chacun est contraint de braconner et de récolter sans licence les oeufs de saumon, l'or rouge de la Russie. Un équilibre immoral et précaire s'est imposé, puisque les autorités locales demandent un pourcentage de 20% pour ne pas dénoncer les braconniers. Il faut donc travailler toujours davantage pour satisfaire les exigences des profiteurs et les policiers s'enrichissent sans le moindre effort. Même si certains d'entre eux ont des états d'âme comme Tikhi, le policier qui considère la corruption comme une fatalité, mais qui va tenter de servir de médiateur au risque de perdre sa place.

Tout commence lorsque Stepane Kobiakov, pêcheur et chasseur de zibelines comme la plupart des habitants, voit son chargement confisqué par un policier trop zélé et trop ambitieux. Il se rebelle et se voit contraint de fuir dans la taïga. le policier-milicien, furieux de voir son pouvoir contesté, rassemble des hommes pour le pourchasser et prévient les autorites moscovites. Qui debarquent avec hélicoptères, armes de gros calibre et militaires impitoyables ayant combattu en Tchetchenie...

Après un moment de sideration et des perquisitions dans tout le village, la résistance se met en place. Par petits groupes, quelques habitants décident de venir en aide à Kobiakov, de le prévenir et de lui apporter de la nourriture.
Certains rêvent même de révolution, comme l'Etudiant, figure mythique de l'intellectuel russe qui s'indigne :
" Ils sont corrompus de la base au sommet. Les flics, le parquet, les politiques, ils se sont tous ligués, ils ecraseront eux-mêmes le menu fretin du genre de Kobiakov. Il faut faire un grand scandale pour que le pays tout entier soit au courant, alors peut-être que quelque chose changera. Tu comprends, chez nous en Extrême Orient, c'est comme ça. Et pas seulement chez nous, tout le monde vit de cette façon là. Et tout le monde se tait ".
Il tente, sans succès, d'entraîner ses compagnons dans la résistance et l'affrontement armé. Mais tous ont beaucoup à perdre et l'exaltation passée, chacun veut retrouver sa famille et s'accommoder de l'existence.
Ne reste que la chanson que fredonne Balabane, ce musicien vagabond au grand coeur," Volia volnaia" , la chanson préférée du Cuistot qui signifie "liberté libre" pour rêver à un avenir meilleur.
Et ces mots du même Balabane :
" C'est ça qui compte, il faut aimer la vie. S'aimer les uns les autres ! "

Si ce très beau roman n'atteint pas pour moi les 5 étoiles Babelio, c'est uniquement pour ces longs chapitres sur la chasse et la traque d'animaux qui ont perturbé ma lecture, non pas tant pour une trop grande sensiblerie, mais surtout parce qu'elles m'ont réellement ennuyée.
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Le lecteur qui ne connaît pas le russe n'apprend qu'à la toute fin du roman le sens des mots "Volia Volnaïa"; ils veulent dire " Liberté libre" ou peut-être "Volonté libre". C'est aussi le titre d'une chanson.
Le sujet du livre est en effet la liberté, celle à laquelle aspire une petite communauté de pêcheurs et de chasseurs qui est contrainte à se livrer au braconnage pour échapper à la rapacité de la milice locale corrompue mais qui fait, malgré tout, office d'autorité. C'est donc l'histoire d'une révolte qui, un jour éclate à l'initiative d'un homme, bientôt suivi par quelques autres, une réaction violente contre un système de corruption bien implanté dans la Russie post-soviétique, y compris dans les endroits les plus reculés du pays.
Victor Remizov place son intrigue au coeur d'une bourgade sibérienne des bords de la mer d'Okhotsk, en lisière d'une vaste taïga giboyeuse, traversée par des rivières poissonneuses, avec en arrière-plan des montagnes enneigées dès la fin de l'été. Ce choix du lieu ne semble pas neutre, car ici l'idée de liberté se conjugue avec la proximité d'une nature sauvage, dont la beauté est un appel permanent à "prendre le large".
Mais ce n'est pas si simple, et l'auteur montre que les réponses radicales de quelques uns ne peuvent être qu'individuelles dans une société où rien ne change sur le fond. Les hommes partent, disparaissent ou sont remplacés, les morts sont enterrés les souffrances mises sous cloche, mais la corruption demeure et la vodka continue de couler à flot.
Ce récit alterne la mise en scène de personnages rudes et terriblement humains dans leurs faiblesses, avec de belles pages d'écriture qui racontent les paysages, les intempéries, les silences et la vie intense de la taïga sibérienne peuplée par une faune multiple.
Toutefois, ce roman nécessite une lecture suivie tant il est facile de se perdre dans l'identité des protagonistes de l'histoire, appelés parfois par leurs noms, parfois par leurs prénoms, ou encore par leurs diminutifs ou leurs sobriquets. Une narration dont il ne faut donc pas "perdre le fil", au risque de passer à côté de l'histoire.
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Sous le soleil automnal, Gwenka rame lentement, jetant régulièrement des coups d'oeil sur la senne, évaluant l'agitation des poissons pris au piège dans les mailles du filet. Des ombles, des loches, des ombres se débattent vainement, la rivière est généreuse. Il contemple avec joie la nature qui suit annuellement son cycle, note cependant quelques différences sur les rives de l'Iouthka et dans la taïga alentour. Il goûte pleinement cette solitude régénératrice. L'hiver qui pointe saisit peu à peu les paysages et Gwenka guette les premiers flocons de neige, signes annonciateurs de la chasse à la zibeline. Pour la chasse et la pêche, la vaste étendue forestière qui s'offre à ses yeux est allouée en tronçons par l'État aux villageois du bourg de Rybatchi.
Mais ces espaces sauvages qui ne devraient pas être salis par l'homme, sont le théâtre d'un braconnage révoltant autorisé et même encouragé par la milice locale qui prélève un beau pourcentage afin de fermer les yeux sur l'illégalité et remplir ses enveloppes de dollars. Ces flics qui devraient être là pour protéger la nature…
Gwenka commence à en éprouver un écoeurement. L'été, il sacrifie, comme beaucoup de ses voisins, des milliers de femelles uniquement pour remplir d'oeufs de saumon les caisses qui lui permettront de faire vivre sa famille et s'offrir aussi quelques extras.
Cet équilibre commercial douteux, entre braconniers et représentants de l'ordre, vole en éclats suite à l'altercation d'un certain Stepane Kobiakov. Cet homme, un rien sanguin, méprisant les miliciens, se braque contre un adjoint zélé du chef de la milice. Alors qu'il est en fuite vers la taïga, le bourg est en émoi. Des discussions, enflammées par les verres de vodka, débattent sur l'acceptation de ce pouvoir corrompu. Jusqu'où est-il possible de fermer les yeux et de se contenter de cette liberté amputée ? Les rancoeurs s'éveillent contre ces graissages de pattes auxquelles ils ne peuvent déroger, contre l'impossibilité de vivre en travaillant honnêtement de leur pêche.

Nature et hommes de cette presqu'île sibérienne se partagent les pages de ce roman, dénonçant ouvertement la corruption, l'absence d'établissement d'ordre et de justice, dans une somptueuse région aux rivières poissonneuses, à la faune sauvage et généreuse, au goût de liberté à la fois rude et reposante.
Les hommes se succèdent, avec leurs noms, diminutifs et surnoms qui brouillent un peu le lecteur distrait qui ne désire pas se référer à la liste des personnages donnée en introduction. Heureusement que Victor Remizov ne se contente pas de les ébaucher mais fouille au plus profond de leurs états d'âmes, révèle leurs pensées même embrumées par l'alcool, nous donnant aussi des détails de leurs vies personnelles afin de mieux les reconnaître, même cachés derrière leurs multiples dénominations russes.
Impossible de tous les nommer ici mais que ce soit au bourg ou sur l'immense territoire de chasse, vous rencontrerez Tikhi, le chef de la milice locale, un brave homme qui réussit à s'arranger avec la loi tout en gardant de bons rapports avec les chasseurs. Il fait cependant le bilan de sa vie, amèrement, et pleure sur le pouvoir ignorant la justice et sur ses fonctions inutiles.
Ilya, venu de Moscou, se pose aussi des questions sur son existence alors qu'il a brillamment réussi dans les affaires. Perçu comme une lubie par ses proches, il éprouve le besoin d'aller chasser la zibeline, se retrouver par des températures glaciales dans la solitude de la taïga.
Les avis d'Onc' Sacha, chef de la brigade de pêcheurs, sont respectés. Vagabond dans l'âme, noyant souvent ses idées dans la vodka, il refait surface grâce à Polina.
Balabane, un musicien échoué dans ce bourg, sa guitare et ses airs d'opéra en bandoulière, jouera aussi un rôle important dans la traque que les forces spéciales lanceront sur le territoire enneigé, d'isba en isba.

Alors que les malheurs des hommes se noient dans l'alcool, que les autorités venues de Moscou multiplient les perquisitions dans toutes les maisons abritant des quantités de produits illégaux, l'air de l'immensité forestière commence à sentir le gel qui s'installe davantage chaque nuit.
Le froid engourdit la taïga, les poêles des isbas crépitent et réchauffent les braconniers. L'air glacial pénètre et adoucit l'âme. La beauté, le silence et la lumière de cette nature donnent une sensation de liberté. Les pins nains s'ensevelissent sous la neige et les mélèzes, après avoir formé des tapis d'aiguilles, se décorent de flocons.
Tout l'amour éprouvé pour ces lieux, somptueusement décrits par l'auteur, reste le point commun de ces hommes qui, amoureux aussi de la solitude, ont du mal à s'entraider.

Roman âpre, à la belle écriture descriptive, où la corruption met en péril une liberté toute relative, où l'argent, à tous les étages de la société russe, balaye le respect de la nature et des lois.
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D'après une critique du Figaro littéraire, " ce roman est un alcool fort. Il ne livre son feu qu'à ceux qui voudront bien abandonner leurs repères et se perdre dans l'immensité de ce Far Est".
J'étais donc prévenu et bien désireux d'adopter l'état d'esprit nécessaire pour me laisser brûler à ce feu de littérature russe.
Mais je viens de refermer ce livre sans que l'embrasement ne se fasse. le feu n'a pas pris, je ne sais pas pourquoi. Ne me reste de cette lecture qu'une impression de tristesse, une sorte de nostalgie indicible pas franchement confortable.
Lien : https://christophegele.com
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Au moment du confinement, un grand bol d'air frais et d'extrême Orient dans la taïga loin loin de la civilisation au bord de la mer d'okhotsh...
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