T'as deux choix. Soit tu continues à ruminer, soit tu décides que c'est dérisoire.
Y a pas que ça. La véritable raison, c'est toi. Tu ressembles à ces chansons qui sont tellement belles qu'elles te font mal, tu comprends ? Celles qui donnent envie de fumer une clope en fixant le vide. Celles qui font pleurer quand on n'est même pas triste.
- Désolée.
- T'inquiète.
- C'est particulier la colère, pas vrai? Ca fait comme des insectes dans l'esprit. Ils remplissent l'espace et on ne peut pas s'en débarrasser.
- Si, on peut. Rappelle-toi que tu n'es pas ces insectes. Tu es la meuf qu'ils tourmentent."
(...)
Je me demande si Virgile prend des congés ou s'il est toujours aussi intense. Solennel. *Tu n'es pas ces insectes*. C'est irrépressible, je ricane dans mon écharpe.
La vérité c'est que vous êtes paresseux et égoïstes. Recevoir, ne rien perdre. Zéro effort, le contrôle en permanence, aucun engagement. Ce n'est pas ça l'amour. L'amour c'est abandonner la fierté, avoir mal aux tripes. Oublier jusqu'à son prénom.
ça se situe à quelle section de l'anatomie, les soeurs douloureuses ?
Les mamans folles et les papas qui désertent ?
On se fait bien extraire les dents de sagesse ou l'appendicite, pourquoi pas ça ?
Mamie .
Ça me console ; rêver à Mamie.
Elle est mon rendez-vous hebdomadaire du mercredi depuis six ans. Allée centrale après le clocher, granit rose. Je vais la voir l'été, je m'assois sur sa tombe et j'ai les cuisses froides, je vais la voir l'hiver, mes genoux se changent en grelots, je suis aveuglée par la condensation qui me sort de la bouche, je vais la voir au printemps dans les odeurs douceâtres de chrysanthèmes pourris, essorés d'orage, je vais la voir l'automne quand les feuilles oranges croustillent entre mes Doc et le gravier. Je lui raconte ma vie. Je lui dis : je t'aime, pardon, merci.
- les vampires sont des prédateurs, Bloom. Ils chassent dans le but de survivre. Il me semble que les humains ont ce rapport aux animaux, non ?
- on n'y prend pas du plaisir.
- Ça ne vous endeuille pas non plus. L'élevage tue cent milliards de bêtes par an, soit 96 % de la faune. Vous avez transformé la planète en camp de concentration.
Sans mentir, je trouve ça fascinant. Les diagnostics, les neurosciences, les statistiques - tout à l'exception de Freud le misogyne, en fait. Je m'intéresse aussi à la photo. Aux tatouages. À la meilleure façon de renoncer au tabac. Pourtant je ne veux devenir ni photographe ni tatoueuse et j'ai un paquet de cigarettes dans le tiroir de ma table de chevet.
Je vais lui parler clair et ferme. Droit au but. J'ai préparé mes arguments. Tu vis la nuit. tu habites dans un trou glauque. Je ne t'ai jamais vu avaler quoi que ce soit.
Tu ressembles à ces chansons qui sont tellement belles qu’elles font mal, tu comprends ? Celles qui donnent envie de fumer une clope en fixant le vide. Celles qui font pleurer quand on n’est même pas triste.