Le
bateau ivre
Quelques mots sur ce poème, certainement le plus surestimé de la littérature française.
Charles Cros, esprit scientifique, a fait au bel Arturo ce reproche: « Turo, je vais m'amuser à analyser logiquement le début de ton poème; c'est un jeu qu'on ne devrait, paraît-il, jamais pratiquer sur un texte poétique qui se situe, par essence, nous dit-on, en dehors du champ de la logique. Il me plaît, à moi, de tout observer par le petit bout de la lorgnette. Cette marque d'irrespect fait du bien : on a tellement porté au pinacle certaines oeuvres, qu'aucun étudiant n'ose émettre la moindre critique sur tel ou tel
poème, surtout s'il a remarqué que son prof l'admire.
Tu nous dis, dans la première strophe que ton bateau descend un fleuve impassible. J'en conclus que le courant est très faible, presque imperceptible. Tu en donnes plus loin la preuve: des haleurs doivent tirer le navire pour qu'il se déplace, dans le sens du courant.
Ces haleurs sont trucidés par de méchants Indiens ( d'une force herculéenne puisque des flèches décochées avec un arc artisanal, réussissent à transpercer ces malheureux et à les clouer sur des poteaux.)
Que va faire le bateau privé de ses haleurs, sans l'aide d'un courant suffisant?
Il s'échouera lamentablement sur la rive! »
Toi-même, cher Cros, tu as rapporté la devinette que
Rimbaud posait à ses amis au cours des réunions du club zutique:
« A quelle vitesse file mon rafiot, dans sa descente vers l'Océan? Si vous entendez mes jeux de mots cachés, vous avez la réponse. »
?????
Eh bien, cent à l'heure, oui sans: S-A-N-S; haleurs: H-A-L-E-U-R-S, puisqu 'ils ont tous subi le martyre de St Sébastien.
Quel gamin, cet Arthur!
Je pourrais ajouter que dans les 24 strophes suivantes , l'enfant terrible a ressorti ses pots de peinture (ceux qu'on voit sur une caricature des « Voyelles ») pour enjoliver ses images, et qu' il ne se prive pas de barbouiller, le poète:
eau verte; vin bleu; azurs verts; flottaison blême; bleuités; figements violets; nuit verte; éveil jaune et bleu; arcs-en-ciel tendus; glauques troupeaux; soleils d'argent; flots nacreux; cieux de braises; golfes bruns; flots bleus; poissons d'or; ventouses jaunes; yeux blonds; brumes violettes; ciel rougeoyant; morves d'azur; hippocampes noirs; cieux ultramarins; immobilités bleues; flache noire . Ouf !
Ce fameux manifeste aurait pu se résumer en une phrase: « Poète, libère-toi de toute contrainte ». Il ouvre la voie à cette poésie qui s'est coupée du public et reste confinée, aujourd'hui, dans de petites revues, reflets de petites chapelles.