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EAN : 9782912833051
205 pages
Les Provinciales (10/04/2000)
4.2/5   5 notes
Résumé :
Crafouilli est la légende d'une peuplade en laquelle se résume l'humanité. L'auteur raconte ses origines, qui se perdent dans la nuit des temps, avec les grandes étapes de la civilisation : l'invention du langage, de l'écriture, du sexe, puis du cache-seins, de la cuisine, etc. Les siècles sont traversés à toute allure, les millénaires aussi, mais quelquefois l'histoire s'arrête, ou bifurque à cause des événements ethniques, politiques, amoureux, ou à cause de l'int... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Il faut aimer Rabelais bien sûr – non, il faut l'adorer ! – pour trouver à Crafouilli le goût de réjouissance qu'on reconnaît à toute expression déliée, foisonnante, dégagée de la plupart des conventions sémantiques et syntaxiques, cette écriture qui est un jeu continuel de liberté, de volupté, et qui s'enthousiasme aux plaisirs du corps, exultant littéralement de toute vitalité, du manger, du boire, du chier et du baiser, où chaque trouvaille est une célébration d'une langue française considérée comme un terrain d'infini ductile, où la littérature entière semble soudain désincarcérée à la manière d'un jaillissement intarissable, d'une turgescence ostensible, d'un orgasme épandu pleine page, de la fleur d'un plaisir désentravé, démoralisé, décuplé et exposé en son impudicité, d'une obscénité abondante et audacieuse, jaculatoire, décomplexée, amorale. Cette langue devient partiellement mystérieuse, son sens si personnellement métamorphosé ne trouve alors pas toujours l'entendement commun, le contact de la multitude par lequel elle fonde également une part de sa définition ; c'est certes un verbe si idiosyncratique qu'il confine à l'hermétisme : où l'individu tend (volontairement ou non) au plus essentiel particularisme naît inévitablement l'expérimental – la Pythie ; où le locuteur crée une langue, il doit s'attendre, en dépit même des dispositions favorables à le recevoir, à ne pas être compris et à impatienter. Cette manière de saisie extraordinaire et ludique du langage rencontre un vice intrinsèque dans ce qui, du message, n'est pas compris de l'extérieur : la qualité d'un langage se mesure aussi en termes d'efficacité à communiquer ; or, ce qui est perdu en transmission dans le bonheur de l'auteur à s'épancher de merveilleuses innovations s'apparente aussi à une limite, à un gâchis, à un achoppement, à une faute même de l'écrivain, à un manque de professionnalisme. Non pas, bien sûr, qu'il faille en écrivant s'abaisser à la compréhension d'une foule piètre, cependant si le philologue bienveillant lui-même succombe, à force de pièges, d'entraves et de surajouts d'obscurités, au sentiment d'importunité où sa progression est découragée par une multiplicité d'embûches que l'auteur a manifestement tendues à dessein de le confondre et de dissimuler le sens – j'ai eu plusieurs fois l'impression, en lisant Mallarmé, que le poète ne pouvait pas ignorer qu'il n'écrivait que pour sa propre compréhension, m'agaçant de ce qu'il était vraisemblable même qu'il ne « voulait rien dire » –, alors s'évanouit une part importante de la nécessité de publier un livre, à savoir : « passer », à d'autres, un message. S'affranchir à l'excès des normes du langage, c'est risquer de ne plus parler du tout, de ne plus rendre le son approximatif d'une langue ou d'une voix – la subtilité résidant dans la définition de cet « excès ».
J'ai lu plusieurs textes qui s'éjouissaient ainsi, se contemplant folâtres, gambadant avec fierté dans les pâturages bienheureux de l'inédit indécelable naturellement permis par l'Art, inutiles à autrui, autosatisfaits, en façon de thérapie de destruction ou de création, irrationnels et contents de cette absence d'ordre, uniques en une certaine acception comme l'est la démence sans digue ou le bazar sans construction, joyeux délires égoïstes, partisans avoués surtout de la sensation qui a toujours selon eux une « magie » pour amorce de rapport, plutôt régressifs en vérité que subversifs, douteux autant que triomphaux, certes tout de suite curieux mais aussi rapidement lassants au lecteur qui, civil, préfère alors rendre poliment une approbation de pure forme, entretenant l'illusion d'une connivence qui doit bien signifier quelque passage d'une idée – c'est si difficile, quand on n'y connaît rien, de critiquer un poète (et le lecteur français n'y connaît rien en général : comme pour tout, il réclame même de n'y rien connaître, c'est ainsi qu'il fonde toute sa tranquillité parce qu'en le clamant partout on ne lui demande rien qui ressemble à un jugement ou au début d'un engagement à affirmer quelque chose, il veut surtout ne jamais rendre de compte). Ce n'est pourtant pas précisément le cas ici, bien que cette oeuvre comporte son lot de frivolités potentiellement pénibles au désir d'entendre une parole exacte c'est-à-dire univoque et fixé avec la responsabilité technique d'un spécialiste de transmission – car il est encore des lecteurs « froids » comme moi, défenseurs de l'efficacité et contempteurs de l'excuse, qui estiment que la valeur d'un auteur se mesure à la correspondance d'une digne intention et de son effet.
Crafouilli raconte la genèse d'un village éponyme – son peuple, ses figures spirituelles ou prosaïques, ses croyances et ses traditions – formant une légende explicative d'un mode de vie tournée surtout vers la satisfaction des besoins et des sens. Ses habitants sont gargantuesques ou pantagruéliques, et la langue pour en parler en cohérence devient riche de figures incongrues, de ruptures stupéfiantes, d'amalgames cocasses, de mélanges bouffons, conférant à l'ensemble un climat de carnaval et de farce dans un grand dérisoire absurde des origines où la religion se construit par hasard ainsi que les coutumes, où tout découle d'étranges imitations grotesques, où chacun aspire aux symboles et à se ruer dans les plaisirs évidents de la Vie, de cette grande vie où tous les freins paraissent des injustices et des turpitudes, des entraves à la liberté de cette étonnante évanescence qu'est l'existence humaine et dont il faut tirer chaque jour le plus grand profit. La philosophie même, si l'on peut user de ce mot un peu grandiloquent s'agissant de ce fond de jouissance, de cette oeuvre, c'est l'immense adulation de la Vie pleine et entière et convoitée avec gourmandise et dévorée avec gloutonnerie, couleurs, senteurs, chaleurs, toutes choses exhalées par le corps, hymne à l'instinct naturel, profond, sauvage et envahissant du bien-être, où le bonheur de l'humour tient tout logiquement une place première traduite en tournures impromptues d'où naît le décalage contre le sérieux typique de la « Littérature » – une des essences de Rabelais : l'omniprésence du jeu. Cependant, il ne faudrait pas croire que ce récit pittoresque, excessif, imagé, emphatique, truculent, n'est qu'une vanité plus ou moins lassante et défoulatoire, sans narration réelle et sans objectif que le récit de sa propre geste en écriture-de-l'énormité, une mise en scène d'un soi formel outrecuidant qui se prend pour cible uniquement et selon laquelle le sujet même de l'oeuvre, son intrigue, ne consiste qu'en une exposition d'enflure de son auteur soucieux de valorisation par contraste violent avec toutes les règles qui lui ont préexisté – tout auteur d'un peu d'expérience sait qu'il n'est pas difficile de produire un écrit sans règle, un écrit de l'affranchissement, un pur écrit de la destruction et de la rébellion contre tout ce qui régule et contraint, en quoi maints « efforts » par exemple des surréalistes, des nouveaux-romanciers et des dramaturges de l'absurde pour s'émanciper des traditions n'ont pas valu en difficulté l'effort d'un écrivain classique pour faire entrer son idée dans une forme admise et reconnue, quoiqu'avec tous les minutieux écarts personnels que cela suppose forcément. L'essence de l'art, si l'on y réfléchit, consiste justement à innover en tenant compte des impératifs d'un certain code nécessaire à la transmission : tout renversement sans distinction, fond et forme en totalité, tout irrespect sans discernement, tout anarchisme absolu, y figure l'acte enfantin par excellence, le défoulement disgracieux de celui qu'on peut raisonnablement suspecter de ne pas avoir su s'adapter à des règles ou de trouver un avantage notamment publicitaire à les dénigrer. Et pour revenir à ce style de l'ampoule sans pudeur, à cette forme inconvenante où la grossièreté des effets s'accompagne d'une disposition assez superficielle à la vulgarité pour le seul choc, il m'a toujours semblé que la critique avait élu Rabelais pour cette démesure à laquelle il a fallu parfois, mais seulement pour faire figure universitaire, adjoindre à toute force des « thèmes » et des « réflexions » qu'à mon sens le texte ne réalise pas avec un tel degré de profondeur, et je propose que cette insistance à l'idolâtrer est surtout due, à mon sens et à l'instar de la littérature de chevalerie inversement mièvre et convenue, à ce que l'archéologie littéraire ne propose, pour ces époques, guère autre chose pour « se servir », la « publication » étant rare à ces époques modérément préoccupées de littérature.
Rivron, lui, est un peu au-delà de ces affectations – mais peut-être pas beaucoup au-delà non plus, j'y reviendrai – pour au moins deux raisons :
La première, c'est que son texte incontestablement est d'un soin extrême et pas du tout une façon d'écriture automatique de tous heurts lexicaux ou moraux par exemple qui lui seraient venus en tête au moment de la rédaction. Il opère sans nul doute un travail fort méticuleux et composé sur le langage, et il faut être rompu à la philologie pour deviner la somme considérable de retouches que ce texte a exigé : c'est en cela une oeuvre, et pas du tout, comme d'autres, le premier jet vaguement insolent d'un dilettante qui s'adonnerait aux plaisirs d'une imitation emportée. Ici, il est patent que ce que je n'ai pas compris n'est pas le fruit d'une volonté d'hermétisme, mais le résultat de références qui me manquent et m'empêchent d'en effectuer un décryptage probablement pour d'autres assez facile. D'ailleurs, l'essentiel, comme je l'ai dit, est très clair, et le village de Crafouilli, de page en page, s'augmente de figures et d'actions nouvelles qui constituent une histoire et un patrimoine : cette généalogie est le sujet tout transparent du livre, et c'est seulement la forme, ne cessant de jouer sur les attendus de la langue, rebondissant avec souplesse sur des connotations, travestissant des figures, multipliant les énumérations, réduisant les expressions à leur quintessence compréhensible, glissant de sons en sens et réciproquement, en somme cette virtuosité insistante, principe de suprême contorsion à sortir mots et phrase de la banalité, de la gangue grisâtre où ils se figent la plupart du temps, qui constitue l'originalité modelante du récit, et j'use à dessein de ce terme plastique car l'esprit du lecteur, pour autant qu'il soit très attentif et soucieux de partage, confiant dans la continuité d'un sens et dans la bonne volonté de l'auteur, est altéré de cette gymnastique continue qui, d'abord, l'oblige à insister pour saisir – d'où l'initial sentiment de travail un peu rude – et qui, peu à peu, par cette sorte d'accommodation qui est un usage accoutumé de certains muscles à s'adapter à des conditions extérieures devenues régulières et normales, perçoit de plus en plus immédiatement (allant même jusqu'à anticiper) le retournement des codes nécessaire à sautiller comme l'auteur de métaphores en amusements sémantiques. Dans l'exercice – auquel tout de même il faut être au départ bien disposé, et je doute que le lecteur contemporain y soit prêt, désireux surtout de ne pas réfléchir quand il lit et de progresser aussi vite dans le livre parce que sa vantardise le pousse ensuite à clamer qu'il a parcouru « tout cela » pendant ses vacances – figure un paroxysme de littérature, un parangon d'art, où le créateur réinterroge jusqu'au matériau qu'il utilise : c'est certes assez loin des intrigues plates d'aujourd'hui où l'auteur-prestataire-de-service-éditorial ne consent qu'à user des mots les plus accessibles d'un lectorat qu'il sait ou devine piètre en vocabulaire autant qu'en idées. Crafouilli, en cela, est un suprême respect accordé au lecteur perspicace et généreux… ainsi, malheureusement, que l'absolue certitude d'un échec commercial.
La seconde raison de ne pas considérer ce récit comme vanité et comme délire, c'est qu'il est manifestement fondé sur une dimension autobiographique à laquelle viennent s'ajouter des affects et des pensées, c'est-à-dire qu'il est une substance au lieu d'être seulement une forme ou une couleur, il décrit évidemment une chose plutôt que de s'épancher longuement dans la sphère éthérée du néant : en relatant le lieu attachant où il a lui-même vécu, le narrateur mélange ses propres souvenirs aux événements qui y sont survenus, et, passé la cosmogonie détachée et plutôt mythologique ou allégorique de ce monde, la relation chronologique du lieu prend des atours tantôt affectueux et tantôt critiques, toujours assez cryptés, où se devine une implication sentimentale et une vision réflexive ; concrètement, on y devine De Gaulle et mai 68, puis la mémoire familiale, quoique parcellaire, d'un narrateur qu'il faut croire confondu avec l'auteur (mais qui ne cesse de jouer avec la déformation et l'exagération irrévérencieuses des faits) ; on devine la pudeur, des tendresses, des audaces et des scandales, et surtout l'influence pernicieuse et toute puissante de la modernité sur un mode de vie autonome et sain, la décadence d'habitants oubliant l'heureuse simplicité des moeurs édéniques du territoire où ils ont grandi, la corruption immuable contre laquelle la résistance se perd et qui unifie l'intimité et la propreté individuelles des villages en une confusion, en un anonymat généralisé où la communication forcenée, où l'ordre impérieux de l'image et de la transparence, abolit l'altérité, c'est-à-dire au fond, toute identité. Cette progression dans le récit, qui rend les événements de plus en plus identifiables et personnels, est le témoignage d'une composition de fond et pas seulement de forme sur un sujet qui, par exemple, pourrait être fort extérieur et n'avoir aucune importance – n'est-ce pas plus ou moins le cas de Gargantua qui n'est à peu près qu'un carnaval et qu'un défoulement sur les plaisirs humains et sur la guerre ? Rivron n'a que le défaut de se livrer peu, de s'impliquer rarement, de ne rendre ses émotions qu'avec parcimonie en retenant la plupart des difficultés à peindre des développements subjectifs, et, surtout, ce séquençage, cette sélection de faits dont certains même symboliquement ne semblent que des amusements certes formellement maîtrisés mais thématiquement potaches – la bouffe, la merde, le sexe, les détritus, et le tout souvent mis ensemble (c'est longtemps le cas au début) – induit une impression de dérisoire et une lassitude que la patience mue, comme la mienne, par un goût de la découverte et de l'apprentissage ne permet pas toujours : on peut s'ennuyer jusqu'assez tard dans cette oeuvre composite, faite de talentueuse verve qui n'en profite pas régulièrement pour réaliser la profondeur, le déploiement portant surtout sur la langue et moins nettement sur un sujet. C'est surtout un amusement bénin que ce Crafouilli (dont il aurait mieux valu, je le soutiens, supprimer la partie finale, intitulée « Apocryphes », très vaine, des brouillons presque), ou bien, à la rigueur, un exercice d'intérêt pour l'écrivain comme moi qui ne cesse jamais de s'interroger sur des modalités d'expression, c'est presque, pour ainsi dire, un document d'anthropologie pour spécialiste en communication.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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«Ah, c'est rabelaisien !» ça veut dire attention, c'est pas délicat, ce truc là, ça manque de correction. Et le nom d'un de nos plus grands écrivains a ainsi servi à façonner un adjectif diffamatoire. Monstrueux !
Mise en garde de Céline. Mais comme dans Crafouilli abondent jeux de langages, bas-corporel, gigantisme, ruptures de tons et bigarrures, Rabelais rôdera toujours dans les parages de ce livre. Jubilatoire, inconvenant, noir.
Lien : http://stalker.hautetfort.co..
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Lien vers des critiques parues dans Le Figaro Littéraire et L'Action Française, et d'autres écrites par Clément Bulle et Yves Guesdon.
Lien : http://srivron.free.fr/crafo..
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Puis vinrent les pluies, et leur ambiance mouillée. Un matin, au sortir de chez soi, un rideau d'eau a remplacé la vue. Les mares se remplissent, puis les étangs, les lacs, les sentes, la chaussée. Où que tu ailles, ce n'est que boue, que flache, que flotte. On monte les meubles à l'étage, on sort les barques. Il pleut. Les digues rompent, les arbres embâclés sonnent à ta porte, sur ton tapis humide gît un vieillard noyé, tu croises en nageant des cadavres boursouflés, des gens méconnaissables accrochés à ton pain. Partout ça dégouline. Partout ça suinte. Partout ça ruisselle. Partout ça poisse. Partout ça colle. C'est la mousson, le monde liquide. Les baobabs refont des feuilles, blottis au fond des cases les indigènes trempés vivent de potage et de mets mous.
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Énarques et socles, donc, multipliaient sur fond d’indifférence dans Crafouilli re-né (Gontran fut plus marrant, mais nul n’eût entamé). S’estimant seuls, ils s’ébaubissent doucement le vaniteux de leurs soi-disant succès sur les forces maniaques, mirobolant bientôt jusqu’à plus soif, repeignant, via Crafouilli, l’univers de leurs pinceaux à poils ras, bougeant debout. Rien d’assez farfelu ne les comble : un an font arracher les arbres auprès des routes pour ne pas enrouler leurs voitures, l’autre les font remettre pour ralentir les voies. Un an décrètent obligatoire la culture des mangues à l’hectare qu’on n’a jamais goûtées, le suivant distribuent des subsides à les échanger contre des potagers entre quatre murs à rebâtir. Inventent la télévisive, où ils s’invitent. Distribuent d’ici les bons points, les trophées, les brevets. Captivent le monde avec des sorbets, des vanilles, des feuilletons. À coups d’images choc et de couleurs vulgaires, distillent émerveillés des trampolines à leur lubie d’embritraver le vif, rebaptisé social. Veulent contrôler, prévoir, gérer, organiser, réglementer. Interdisent la pratique des métiers à ceux qui n’ont pas reçu les brevets. Interdisent la remise des brevets par ceux qui n’ont pas les médailles. Soulèvent l’opinion sur les dangers. Interdisent les cigarettes parce qu’elles fument, le vin parce qu’il enivre, les toboggans parce qu’ils glissent, les récréations parce qu’elles écorchent les genoux, les taudis parce qu’ils s’effondrent, les pauvres parce qu’ils puent, la neige parce que c’est l’hiver, l’hiver parce qu’il enrhume, le rhume parce qu’il est interdit. L’un butant un matin sur un bord de trottoir, interdisent les trottoirs. L’un tombant d’une échelle, interdisent les échelles. L’un s’étranglant au noyau d’une cerise, interdisent les noyaux dans toutes sortes de fruits. Décrètent la sécurité parfaite, le revers imparable de la cicatrice, la vie garantie vie.
Si le monde s’en porte peu ou prout, on voit bien nonobstant que le climat Crafouillis n’est guère sain à ce rythme. À force radotages sur le point d’avanir, on craint terriblement. Un rien détraque. La santé fait peur. La loi et ses décrets mijorent, ce qui n’est bon, quoi qu’on s’en touche. On y pense, on ressasse. La dialectique socle fait des émules. Quiconque revendique un arpent aurait bien tort de ne pas le draper d’une ombre d’un chantage à la sécurité, il l’a. « J’exige un passage souterrain de ma porte à la cantine, il en va de la vie de nos enfants ! » — accordé. « Je veux un extincteur à friture à tous les porches ! » — accordé. Insensiblement l’angoisse sourd, muette. On se replie, on calfeutre. La folie sanitaire des énarques et des socles impuisse le corps social. Un autre pas et ce sera le faux… Et là, c’est l’hallali !
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Cette époque incroyable où le chemin de pierres que tu voyais passer à l'horizon de ta maison, ton grand-père l'avait vu et son grand-père, et le grand-père encore de ce der à l'infini de leur mémoire, identique à l'ornière près, au buisson de mûres en haut de la côte, et tu croyais que tes enfants en cueilleraient aussi les baies, pauvre gland. Je te le mentionne maintenant que le fin fond d'aucune sierra d'aucun trou du cul de la planète n'est dispensé de se voir en quinze jours transformé en aquacentre, parc Astérix, cité internazionale, carrefour nodulaire des technopoles associées. Le binz. L'incertitude. Le carnage de l'étant.
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