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Critique de Fabinou7


Nous sommes en guerre…sommes-nous ? ...Soit, essayons de nous élever au-dessus de la mêlée.

« La guerre est le fruit de la faiblesse des peuples et de leur stupidité. On ne peut que les plaindre, on ne peut leur en vouloir. » Roman Rolland, Prix Nobel français de littérature, est également connu pour son engagement pacifiste dès dix-neuf cent quatorze. « Connu » étant un bien grand mot car, concédons-le, les pacifistes ne sont pas très médiatisés ou étudiés.

Le recueil rassemble une série de lettres et d'articles que l'écrivain fait paraitre depuis son exil à Genève et porte le nom de l'une d'entre elles.

« Que les hommes faits soient de grands enfants qui se traînent en chancelant sur ce globe, sans savoir non plus d'où ils viennent et où ils vont ; qu'ils n'aient point de but plus certain dans leurs actions, et qu'on les gouverne de même avec du biscuit, des gâteaux et des verges, c'est ce que personne ne voudra croire ; et, à mon avis, il n'est point de vérité plus palpable. » Werther, de Goethe.

Refuser la guerre. de même que Jean Jaurès en France, qui fit le pari perdu d'une union d'appartenance sociale entre ouvriers français et allemands qui primerait sur l'appartenance nationale, assassiné, Rosa Luxembourg en Allemagne, emprisonnée, Bertrand Russell en Angleterre, condamné, et tant d'autres, déserteurs et mutins anonymes, fusillés pour l'exemple, ahurissement de Jean Giono, députés refusant de voter les crédits de guerre déportés dans les bagnes d'outre-mer, grèves dans les usines d'ouvriers européens unis par le même sort, tentatives de fraternisation aux fronts, violemment réprimées par les nationalistes, Romain Rolland s'oppose à la guerre avec ses propres moyens, c'est-à-dire l'écriture.

« Quand les moins bêtes se ressaisirent, il était trop tard » Léon Werth. Contre l'absurde de la guerre, les articles de Rolland, censurés, vont circuler sous le manteau et il recevra, comme un phare dans la tempête, nombre de lettres de soldats et de civils qu'il publiera dans les journaux genevois ou suédois.

« La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté. » Rolland aime sa France, il aime davantage ses français. Réaliste sur l'état actuel du conflit, ainsi il ne s'agit pas de textes exhortant à l'arrêt immédiat des combats. Néanmoins, il s'attarde à rapporter et dénoncer les dérives propagandistes ex ante de la guerre, cautionnées par des intellectuels et les dérives si peu dénoncées par eux – au contraire, les intellectuels défendent la guerre comme étant un conflit de « civilisation » contre la « barbarie » de l'adversaire.

L'écrivain, véritable directeur de conscience des pacifistes d'alors, ne pardonne pas aux élites intellectuelles des pays belligérants, du français Henri Bergson à l'allemand Thomas Mann, tous attisent le brasier de leurs fagots éditoriaux : « Car si l'on peut admettre que les braves gens qui, dans tous les pays, acceptent docilement les nouvelles que leur donnent en pâture leurs journaux et leurs chefs, se soient laissés duper, on ne le pardonne pas à ceux dont c'est le métier de chercher la vérité au milieu de l'erreur. » Quant aux politiques, aucune illusion ni complaisance pour « la race qui commande, qui se croit au-dessus des lois, qui les fait et défait. »

Rolland juge la défaite de la pensée totale chez les socialistes comme chez les religieux « apôtres rivaux de l'internationalisme religieux ou laïque se sont montrés soudain les plus ardents nationalistes », interpellant le clergé : « Et ne peut-on se sacrifier, chrétiens, qu'en sacrifiant son prochain avec soi ? »

Ces articles de presse nous font revivre « l'actualité » si j'ose dire de la guerre, une vision brève et parcellaire, notamment un épisode moins connu aujourd'hui, le saccage par l'Allemagne de Reims mais surtout l'invasion de la Belgique, neutre, notamment la destruction de la bibliothèque de Louvain, Rolland s'insurge contre les justifications des intellectuels allemands qui détruisent le patrimoine de l'humanité au nom d'une lutte contre la barbarie : « Êtes-vous les petits-fils de Goethe, ou ceux d'Attila ? (…) l'impérialisme de Prusse vous a enfoncé sur les yeux et jusque sur la conscience, son casque à pointe. »

« L'amour de la patrie exige-t-il cette dureté de sentiment » ? Appel à la création d'une juridiction internationale pour les crimes de guerre, à un rapprochement européen ex post, au respect du droit des gens, à la fin des sévices et des rapts subits par les civils, Rolland inlassablement écrit, discute et publie des lettres du front, relaye les initiatives des Pays-Bas, de Lituanie, ou l'Espagne, condamne l'impérialisme, l'obscurantisme, le racisme qui met en accord nos idéaux à notre médiocrité. Bien avant l'avènement d'une communauté institutionnelle européenne, Romain Rolland voit dans le conflit armé une guerre civile. Depuis la Suisse, il regrette son isolement idéologique, « qui ne veut point délirer comme les autres est suspect. »

Au-delà du pacifisme, c'est un appel à la solidarité des peuples, pour nous dire à nouveau que, pour l'immense majorité d'entre nous, économiquement, socialement, ce qui nous rassemble est infiniment plus grand que ce qui nous divise, quand ces divisions ne sont pas fabriquées de toutes pièces par les diplomaties secrètes, les fabricants d'armes etc. : « ennemis, amis, regardons-nous dans les yeux… Mon frère, n'y vois-tu pas un coeur semblable au tien, et les mêmes souffrances et les mêmes espérances, et le même égoïsme. »

« On apprend à l'enfant l'Évangile de Jésus ! l'idéal chrétien. Tout, dans l'éducation qu'il reçoit à l'école, est fait pour stimuler en lui la compréhension intellectuelle de la grande famille humaine », mais alors, d'où vient le problème ? Pourquoi si peu d'européens ont conservé cette éducation, Rolland soulignant : « quand la guerre est venue, je n'ai pas cru devoir les renier, parce que l'heure était arrivée de les mettre à l'épreuve » ? est-ce les adultes qu'il faut remettre aux bancs de l'école ? Comment nous élever au-dessus de la mêlée ?

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