Troublantes racines

Nous traversons la grande forêt équatoriale, primaire, impénétrable, mystérieuse, énorme, massive, silencieuse, bruyante de sons étranges et inquiétants, car la vie sauvage grouille sur les deux rives. Il me semble vaguement entendre des cris aigus, on me dit de ne pas mettre ma main dans l'eau, les crocodiles et les serpents d'eau étant fréquents dans la rivière. Les dangers latents de la jungle qui peut s'ouvrir en permanence sur des bêtes fauves ou sur des hommes plus fauves encore, ce qui était sous-entendu dans le reportage, dont je revois en pensée les images et dont je ressens l'angoisse, se révèlent impossible à éluder ; pourtant il faut passer, et d'ailleurs, pas d'autre issue.

Lorsqu’on parle de corruption en Afrique, on pense à la vénalité des politiciens, à la cupidité des fonctionnaires, et aux flics qui arrondissent leurs fins de mois en rançonnant les automobilistes au bord des routes. Mais il faut savoir aussi que les expatriés ne sont pas tous des parangons de vertu.

Sur le pont du bateau nous menant à Port-Gentil, rempli d’oranges minuscules, du feu est fait : un crocodile a été pêché, et les femmes le font cuire dans une marmite. Sa queue est un mets proche du homard, j’y suis conviée et me régale. (p.54)

[À propos de la chasse aux éléphants]

Il ne s’agit pas d’une chasse de personnes nanties venues en Afrique pour exterminer tout ce qui bouge et arborer des trophées, ni de prélèvements sauvages de défenses pour l’ivoire, puisque les défenses des éléphants de forêt sont très petites et peu appréciées, ce n’est pas non plus une traque pour se procurer de la nourriture, c’est l’élimination d’un monstre devenu dangereux par plusieurs planteurs qui ne peuvent plus en supporter les ravages. (p.52)

Petit Papa, fils de Germaine, âgé de huit ans, a le privilège de déguster des pattes de singes, au cri horrifié des femmes qui l’ont cuisiné, car ces pattes sont des mains. Pour cela, on l’exile derrière la case de la cuisine, non mais, pas devant nous pauvres humains. Il se fait chicoter s’il essaie de rentrer. (p.50)

Ces ancêtres dont la mort est en quelque sorte niée par le culte qui leur est rendu, n'appartiennent pas toujours au sexe masculin ; beaucoup de femmes, devenues grands-mères, sont vénérées de la même manière. Chaque lignage possède un Byéri, la société fang étant, comme l'a remarqué Balandier, "segmentaire" et non unifiée dans ses représentations.

En d'autres termes, le seul but de ces cultures serait de déjouer la mort, et se base sur la croyance en une transmission de la force des morts aux vivants, qui garantit la survie et la permanence du groupe.

La rareté ne crée pas la pauvreté, en fait nous nous débrouillons pour faire beaucoup avec peu, et la fierté que nous en retirons remplace tous les prodiges gastronomiques. Nous n'avons rien et nous avons tout : je découvre cette vérité un peu new âge, qui jusque-là m'avait juste paru une phrase comme une autre. Nous n'avons rien nous avons tout.

[…] nous devons dormir sous des tissus tenus par des bâtons, alors qu’il vaudrait mieux d’ailleurs ne pas dormir, puisque les hippopotames qui, me dit-on, détestent les femmes, peuvent s’exciter nuitamment et nous déranger. (p.54)

Mer en paix comme dans un petit ventre bien calfeutré, palmiers sur la falaise rangés l'un derrière l'autre, aucun nuage ni vague, du bleu, plusieurs nuances de bleu, outremer, aigue-marine, améthyste et turquoise affichant la tranquillité, dans une crique toujours calme de Guinée Equatoriale. Sans aucun risque. On monte dans le bateau et on gagne le large.

Nous allons aussi dans un petit restaurant rustique goûter la spécialité locale : des crabes de terre, dont la chair est extraite patiemment, cuisinée avec piment et sauce tomate, et remise dans la carapace : un régal impossible à confectionner chez soi, tellement la préparation est longue et se déguste vite.