concernant "l'Etranger" page 111
Le roman tire sa force de l'économie de son style, tellement économe, objectif, presque froid, et en même temps d'une précision extrême. Il structure le récit tout entier, dynamise la fiction en même temps qu'il crée une atmosphère où les hommes, et notamment le héros, semblent détachés de tout et d'eux-mêmes, étrangers les uns aux autres, aux règles habituelles de la société, au cours du monde et à leur propre histoire. (...) Il est troublant en effet de constater que l'Etranger, tout en se dérobant à une lecture trop interprétative, continue d'entraîner notre adhésion de lecteur, et conserve une puissance hypnotique, sans jamais susciter en nous qu'indifférence envers le destin de son héros. Cette contamination du lecteur par ce personnage tellement passif, comme si une part secrète du livre devait lui rester étrangère, n'est peut être pas la moindre réussite du romancier.
Camus prolongeait Giono, que j'aimais, mais me rapprochait de de la Grèce et de Rome. De l'Afrique aussi. C'était le printemps, le soleil donnait, je vivais. Quand je fermais les yeux, je respirais l'odeur des absinthes dans les ruines de Tipasa
C'est une grâce assez rare, pour un écrivain, de savoir aimer son peuple, ses douleurs, ses blessures. Toute grâce appelle des exigences en retour. Camus a toujours répondu sans détour aux questions que sa conscience lui posait. Souvenons-nous de son défi de Stockholm, sa préférence criée à la face du monde, sa mère avant la justice. D'une façon générale, il a refusé de se plier à la loi des conformismes, ce mélange de suffisance dans l'affirmation de cette insuffisance, pas toujours volontaire, du regard et de la pensée, qui pétrifie tout, et pas seulement l'innocence.
Il est bon qu'une nation soit assez forte de tradition et d'honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même.
Il y avait chez lui une noblesse, une ardeur serrée, une façon de voir l'éternité dans chaque instant, un mouvement naturel entre la prose et la parole qui l'ont fait grandir dans son coeur et durer dans celui des hommes...
La solution de toute chose se trouve près de la Méditerranée.
Quand il recevra le prix Nobel de littérature en 1957, Camus, reconnaissant, écrira à M. Germain : "[...] ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. "
Le silence de Tipasa rompait avec le brouhaha parisien. Il me semblait que dans cet amphithéâtre de pierres sèches, marchant le long de la mer entre les temples et cette basilique chrétienne où il avait entendu le chant de la terre venir à sa rencontre, Camus avait réfléchi à l'unité du monde et des hommes.
Camus est algérien, et algérois avant tout. Dans l'exil, dans ses textes et dans ses prises de position, il portera une tendresse inconditionnelle pour ce peuple côtoyé durant toute son enfance et dont la simplicité et les souffrances sont aussi les siennes.
Camus cherche son tempo, sa discipline, et aussi son talent. Il explique alors qu'il ne croit pas au génie, seulement au travail. Il aurait pu ajouter : à l'énergie.