L'évènement attendu vient coïncider avec lui-même, d'où précisément la surprise : car on attendait quelque chose de différent, quoique voisin, la même chose mais pas exactement de cette façon. C'est à cette coïncidence rigoureuse du prévu avec l'effectivement arrivé que se résument en dernière analyse les "tours" du destin. Lequel délivre l'événement lui-même, ici et maintenant, alors qu'on l'attendait un peu différent, un peu ailleurs et pas tout de suite. Telle est la nature paradoxale de la surprise face à la réalisation des oracles, que de s'étonner alors qu'il n'y a précisément plus lieu de s'étonner, le fait ayant répondu exactement à la prévision : l'événement qu'on attendait s'est produit mais on s'aperçoit alors que ce qu'on attendant n'était pas cet événement-ci, mais un même événement sous une forme différente. On croyait attendre le même, mais en réalité on attendait l'autre.
Le chichi est ainsi en relation avec une angoisse très profonde, qu’on peut décrire sommairement comme l’inquiétude à l’idée qu’en acceptant d’être cela qu’on est on accorde du même coup qu’on n’est que cela.
Telle est bien la structure fondamentale de l’illusion : un art de percevoir juste mais de tomber à côté dans la conséquence.
C'est d'ailleurs pourquoi cet homme après tout "normal" qu'est l'illusionné est au fond beaucoup plus malade que le névrosé : en ceci qu'il est lui, à la différence du second, résolument incurable.
L'aveuglé est incurable non d'être aveugle, mais bien d'être voyant : car il est impossible de lui "refaire voir" une chose qu'il a déjà vue et qu'il voit encore.
La qualité que l'on prétend cacher ou dénier, par une mise au loin de soi, est justement constituée par cet écart même ; écart qui contribue, d'autre part, à rendre cette qualité à jamais invisible aux yeux de son possesseur.
Ainsi la structure hégélienne du réel se retrouve-t-elle en toutes lettres dans la structure du réel selon J. Lacan. Peu importe que chez Lacan le réel ne soit pas garanti, comme chez Hegel, par un autre réel, mais plutôt par un « signifiant » qui « n’est de par sa nature symbole que d’une absence » [Ecrits, page 25]. Ce qui compte est l’égale insuffisance du réel à rendre compte de lui-même, à assurer sa propre signification comme chez Lucrèce ; l’égal besoin de rechercher « ailleurs » - fût-ce en une « absence » plutôt qu’en un « au-delà » - la clef permettant de déchiffrer la réalité immédiate.
Un vieillard craintif avait un fils unique plein de courage et passionné pour la chasse ; il le vit en songe périr sous la griffe d’un lion. Craignant que le songe ne fût véritable et ne se réalisât, il fit aménager un appartement élevé et magnifique, et il y garda son fils. Il avait fait peindre, pour le distraire, des animaux de toute sorte, parmi lesquels figurait aussi un lion. Mais la vue de toutes ces peintures ne faisait qu’augmenter l’ennui du jeune homme. Un jour s’approchant du lion : « Mauvaise bête, s’écria-t-il, c’est à cause de toi et du songe menteur de mon père qu’on m’a enfermé dans cette prison pour femmes. Que pourrais-je bien te faire ? » A ces mots, il asséna sa main sur le mur, pour crever l’œil du lion. Mais une pointe s’enfonça sous son ongle et lui causa une douleur aiguë et une inflammation qui aboutit à une tumeur. La fièvre s’étant allumée là-dessus le fit bientôt passer de vie à trépas. Le lion, pour n’être qu’un lion en peinture, n’en tua pas moins le jeune homme, à qui l’artifice de son père ne servit de rien.
Ainsi entendu, ce refus du simple permet de comprendre pour les "précieuses" font des "chichis" : moins pour briller dans le monde que pour atténuer la brillance du réel, dont l'éclat les blesse par son intolérable unicité.