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Le lundi 19 novembre 1990 l'Académie Goncourt attribuait son prix annuel à un auteur inconnu, pour un roman au titre qui intriguait, « Les Champs d'honneur. » le nouveau venu s'appelait Jean Rouaud. de lui on savait seulement qu'il tenait un kiosque à journaux dans le 19ème arrondissement de Paris
Mais l'histoire avait commencé un peu plus tôt, même si le néophyte de trente-sept ans n'était apparu que sur la liste ultime des sélectionnés, la fameuse « short liste. » Sa « Comédie d'automne » nous propose aujourd'hui un passionnant retour sur ces semaines qui virent le plus prestigieux jury littéraire de France opérer une spectaculaire volte-face. Elle nous offre accessoirement un édifiant aperçu de la cuisine éditoriale. Et surtout nous ouvre la porte de l'atelier dans lequel fut élaboré ce livre qui revenait de si singulière façon, y compris par le rire jaune, sur la Grande guerre, ses massacres et le cheminement au fil du temps de ses ondes dévastatrices. Ce vingt-deuxième livre de Jean Rouaud vient en effet clore le cycle en six volume de « La Vie poétique », entamé en 2011 avec « Comment gagner sa vie honnêtement. » L'écrivain y restitue non sans ironie son parcours dans cette seconde moitié du XXème siècle, qui vit les territoires traditionnels de la littérature se rapetisser au profit des sciences humaines, et l'auteur être déclaré mort au bénéfice du texte et de sa productivité interne, « le structuralisme ayant fait tomber un couperet entre l'auteur et son oeuvre. » Lui-même en passa par là, dans de premières tentatives d'écriture qui devaient grandement à cet air du temps. Alors qu'il avait sous les yeux une matière aux potentialités autrement conséquentes : un demi-siècle d'histoire d'une famille de la Loire inférieure, nommée plus tard Loire atlantique, déjà le politiquement correct, qui dans sa banalité contenait toutes les autres histoires. Il s'agissait de sa propre famille de petits commerçants dans le bourg de Campbon.
En épigraphe à « Comédie d'automne » Jean Rouaud a placé une citation De Chateaubriand, l'une de ses grandes références : « A la joie que j'ai toujours éprouvée en sortant d'un château, il est évident que je n'étais pas fait pour y entrer. » D'emblée la tonalité du livre et sa portée sont données. L'inconnu de l'automne 1990 entré par surprise dans le monde littéraire n'en fera jamais vraiment partie, du moins dans ses complicités et connivences, ses réflexes de caste et la morgue qu'il ne dédaigne pas d'afficher. Pour le microcosme et ses porte-paroles il fut longtemps cette figure exotique de kiosquier évoquant la vie de sa province avec des accents passéistes. N'alla-t-on pas chez certains jusqu'à soupçonner là-derrière des relents d'idéologie pétainiste ? de cela on ne peut certainement pas accuser celui que Jean Rouaud désigne comme « l'Editeur », Jérôme Lindon, dont il dresse un portrait en même temps respectueux et lucide. N'oubliant évidemment pas que, pour les directeur des éditions de Minuit, en cette rentrée de septembre 1990, « Les Champs d'honneur », dont il avait dans les années précédentes imposé une totale réécriture à Jean Rouaud (une « somme de montages, de charcutages », sans compter le narrateur à la première personne du pluriel), ne représentaient qu'un « second choix » dans la pourtant maigre production automnale de sa maison. Il avait annoncé à son nouvel auteur tabler sur quelques petites centaines de ventes. Soit tout de même autant que Claude Simon avant son prix Nobel. Bref, chez Minuit on postulait à une seule distinction, celle de la rareté et de l'excellence. La maison n'avait évidemment pas jugé utile de faire parvenir au Goncourt (« la plus formidable rotative inventée par le monde de l'édition »), ce livre un peu compliqué d'un débutant : Jérôme Lindon lui-même n'avait-il pas peiné à reconstituer l'arbre généalogique de ces provinciaux, dont les éléments se trouvaient disséminés un peu partout dans le livre ?
C'était ignorer un mouvement qui avait pris naissance au début du mois de juillet, lorsque Claude Prévost, le titulaire du feuilleton littéraire de « L'Humanité », avait signalé à André Stil, ancien du quotidien communiste, écrivain et lui-même juré Goncourt, la formidable nouveauté d'éclairage et l'originalité d'écriture de ces 156 pages. Une appréciation confirmée par un libraire de Perpignan ami de l'un et de l'autre. Quand plus tard il était devenu clair que Philippe Labro, le grandissime favori publié chez Gallimard, en prenant partout la pose du lauréat futur renvoyait au jury une image désastreuse de son indépendance, Hervé Bazin, le président de l'Académie, s'était opportunément souvenu, pour sauver la face, du livre cité par André Stil quelques semaines auparavant. La mécanique était lancée. Jean Rouaud donne à lire le récit détaillé, d'une ironie souriante mais mordante, de ces journées qui, si elles n'ébranlèrent pas le monde, mirent sens dessus dessous le microcosme. Un régal de lecture.
Tandis que l'on s'agitait dans le salon Goncourt de Drouant, la vraie vie continuait rue de Flandres, certes un peu troublée par l'émergence subite du kiosquier sur le devant de la scène. du côté de la famille, et plus particulièrement de la mère, dont « Les champs d'honneur » racontaient le parcours digne et discret, l'accueil fut à la hauteur de cette posture de repli. La gloire littéraire ne comptait pas parmi les valeurs de celle-ci. le fils relate avec infiniment de tact cette retenue teintée de tendresse. En 1998, quelque temps après sa disparition (il m'était impossible d'écrire sous son regard »), il faisait paraître « Pour vos cadeaux », en manière d'hommage à celle « qui traversait trois livres sur ses petits talons, ne laissant dans son sillage qu'un parfum de dame en noir. » Aujourd'hui Jean Rouaud redit de superbe façon sa dette à « l'humble trésor » familial, dont il se fit en quelque sorte le pillard. Ce qui reste, une fois achevée la comédie d'automne.
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Avec sa Comédie d'automne, Jean Rouaud nous offre un vrai roman de la vraie vie. Au début on redoute le règlement de compte sur le mode du peuple contre les élites. Mais avec son art de la digression, l'auteur ne nous raconte pas une histoire, il nous en raconte mille, pulvérisant ainsi le risque de se focaliser sur une cible. En démontant l'horlogerie d'un pouvoir - celui de la littérature - et en mettant à nu les ressorts des puissants, il nous révèle ce que sont les pouvoirs et les puissants, c'est-à-dire finalement des petits humains comme nous, mais armés d'une capacité de nuisance. Il structure le roman en donnant vie à un personnage-clé qui, avec une présence rare, ouvre et clos le récit. Mais il en fait vivre beaucoup d'autres, des connus, anonymes ou non, des inconnus attachants saisis dans leurs lumières et dans leurs ombres, avec un sens de la nuance et un amour humain souvent bouleversant. Comme dans les Champs d'honneur, la mélancolie de l'auteur se pare d'un regard ironique sur tout ce que nous sommes, et sur lui-même. On rit beaucoup, mais toujours avec tendresse. On se laisse porter par une écriture que je trouve pour ma part somptueuse, qui vous met dans la gêne quand vous prenez la plume, comme je le fais à l'instant, un peu honteux d'oser vêtir la toge du juge pour prononcer une sentence sur la qualité d'un livre écrit par lui, la sentence fût-elle élogieuse ! J'ai quitté cette histoire avec regret ; elle m'a touché profond, et il m‘a fallu quelques heures pour reprendre le cours normal de mes pensées.
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J'ai terriblement apprécié la lecture de Comédie d'Automne . La forme est tellement délicieuse que le fond est presque accessoire . Même sil la façon d'attendre la remise du prix Goncourt comme un suspense( alors que l'on connaît la réponse ) nous tient et nous intéresse . Tous les portraits , Albert , Bernard Rapp , la maman sont d'une justesse formidable .
Bref , un bon livre comme je n'en ne lis pas si souvent !
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Je croyais que ce livre irait du début à la fin, serait un récit linéaire de comment l'auteur avait eu le Goncourt, et de comment il s'en était remis. Quelle erreur.
Rouaud papillonne, évoque ses doutes, ses essais, ses premières rencontres avec son éditeur, ses années de kiosquier, puis revient à la genèse de son livre, puis s'attarde sur la réaction de sa mère, puis s'interroge sur sa place, puis nous raconte le néophyte qu'il a été au moment de la "comédie" du Goncourt puis son expérience des émissions littéraires, ses rencontres avec Doisneau...
À mon sens, le fil rouge de son récit n'est ni l'écrivain débutant qu'il fût jadis ni son éditeur ni le fameux prix, mais plutôt Albert, cet étrange aristocrate de gauche avec qui il entretint sept années durant une relation faite d'une distance respectueuse et d'un mutuel étonnement tant leurs mondes d'origine différaient. Leur dernière rencontre est sans doute tout autant symbolique du rapport que l'auteur entretient désormais avec le monde de l'édition actuel.
J'appréhendais l'amertume de qui a trop rêvé, mais le tout est décrit avec beaucoup d'humour et de détachement, une grande sincérité. On y retrouve surtout un homme profondément et définitivement amoureux des mots et de la littérature. Presque, il me donnait envie de lire Chateaubriand !
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Dans ce texte où Jean Rouaud relate essentiellement les moments qui ont précédé et suivi sa remise du prix Goncourt pour son roman "les champs d'honneur" il évoque aussi par petites touches l'histoire de sa famille et fait le portrait tout en nuances d'un ami ambigu qu'il a vu pendant des années alors qu'il était vendeur de journaux en kiosque. C'est le premier livre de Jean Rouaud que je lis, cela m'a donné de lire les champs d'honneur pour jouir de nouveau de son style très soyeux et raffiné sans exclure parfois une touche d'humour.
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Un univers littéraire se décrit d'une façon agréable. Les chapitres sont bien ciselés et logiques dans la narration. Pas de première personne ou si peu, nous comprenons au long de la narration, le choix de l'auteur et de l'éditeur. Une description intéressante sans nommer la personne des ressentis et des actes lors de l'attribution du Goncourt en 1990 me donne vraiment envie de lire les deux ouvrages. Belle découverte.
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