Je me souviens de ce moment d'errance dans les rues de Strasbourg, le temps était fade, humide, le ciel gris délavé presque translucide, à travers la pluie en sourdine se fige une journée d'automne quelconque, je déambule vers la librairie à la quête incertaine d'un livre, d'un titre, d'une couverture. Sur l'étale centrale, des livres pêle-mêle, à la merci des lecteurs attendent d'être enfin l'objet du désir, d'être convoité, de susciter l'envie,
Une immense sensation de calme de
Laurine Roux happe mes azurs, le titre, la couverture magnétise tout mon être, ce roman est là, dans mes mains, et sans réfléchir je l'achète, il viendra un moment où un autre apaiser mon esprit de cette sensation de plaisir, cet instant propice se présente à moi, j'entends les oiseaux chanter dans le calme de cette matinée de printemps, la nature est belle, comme un chant de ce roman venant prendre ce présent, je lis les premières pages, mon coeur est en suspens, l'écriture douce de
Laurine Roux caresse l'émoi de cette héroïne rencontrant Igor, un coup de foudre.
Une immense sensation de calme de
Laurine Roux est le fruit de son premier roman, publié aux éditions du sonneur en mars 2018, elle est professeur de lettres modernes dans les Hautes-Alpes. le titre est un prolongement d'une émotion, sans majuscule, c'est une sorte de virgule, une continuité qui se prolonge, sans début sans fin, une onde parcourant l'atmosphère du lecteur, une ligne temporelle dont nous sommes véhiculés vers les profondeurs des abysses de l'imagination.
Laurine Roux aspire les sensations de découverte dans un style narratif fabuliste moderne, un conte ensorcelant où l'espace habite un paysage inconnu, des lieux aux accents slaves, ces noms imaginaires caressent la volupté fantasque de l'auteur, embrasant les méandres de la curiosité du lecteur, ruisselant dans cette rivière Zolotaï, traversant Varatcha, pêchant sur le lac Taïgal des oumouls et des carpes, ramassant des feuilles de ramzek, de crisuble, portant des bracelets traditionnels Matralinka…Un univers brodé avec beaucoup de précision, faisant voyager le lecteur vers des cieux en terre inconnue, pénétrer l'univers magique de cette fable touchante, berçant les coeurs, dansant l'amour volatile de ces êtres innocents, de ces âmes exclus de la férocité humaine. Ce monde, terre des secrets, cache un passé terrible, juste des allusions par ci par là,
Laurine Roux distille cette terre balayée par ce vent froid, le Knik, avec une pudeur presque majestueuse, une région marquée par une guerre relatée par Baba à sa petite fille, la narratrice, c'est un récit post apocalyptique, cette guerre effaça les mémoire, les survivants devenant la première génération du Grand-Oubli. Tout est légende, sacré, comme le peuple du Grand-Sommeil, le monde des morts, accueillant les âmes perdues, cristallisant ce lien unique entre les vivants et les morts où sommeillent Ama et Apa les parents de la conteuse, Baba, sa grand-mère qui vient de mourir, laissant la jeune fille solitaire de cette région froide et hostile, libre de ces terres et vierge d'un passé oublié.
Ce livre est le récit d'une femme, dont nous ne savons pas son âge, si cette histoire est ancienne ou récente, cette narration est comme un songe lointain, un écho du passé ricochant dans la chair de notre narratrice, s'évaporant au gré du vent, n'oubliant pas cette rencontre avec Igor, cet homme de la nature, épousant le paysage rude de cette terre escarpée, son corps à la rudesse des hivers de tempête, de neige , de froid translucide brulant la chair. le début du livre s'ouvre sur cette phrase significative, A PRÉSENT IL FAUT QUE JE RACONTE, en majuscule, comme un récit oral, une petite fable traversant le temps, raconté à des quidams ou des êtres proches, pour faire perdurer le mythe de ces personnes solitaires, amoureux d'une nature sauvage et aimante. Au début de chaque chapitre, les premiers mots sont majuscules,
Laurine Roux installe encore plus le lecteur dans ce style narratif orale, comme les petites histoires que l'on raconte le soir à un enfant avant de dormir, ou lors d'une veillée autour d'un feu de bois, comme Baba et Grisha dans cette histoire raconter les secrets à la narratrice, nous sommes ce lecteur privilégié, lisant une scène de vie de cette narratrice, avec celles des autres caressant son existence.
S'ouvre alors une douceur d'éternité,
Laurine Roux aspire ces personnages dans un interstice du temps pour le fixer, tous sont des êtres à part, d'une communauté de l'exclusion, car différente, ils sont des êtres de chair de sang au coeur rythmant l'amour , comme les invisibles, des orphelins bruler au fer rouge par l'apocalypse d'une guerre, devenu des parias aux yeux blancs stigmates, des oiseaux de fers venus brûler la terre de leur oeufs de feux. Il y a aussi ces errants couleurs de peaux mates, donnant un spectacle de village en village, étranger par leur différence, puis coule la légende de la passion de Kolia, jeune fille devenue une créature des eaux et Tochko, cet être invisible, donnant naissance à Igor, l'amour de la narratrice.
Laurine Roux distille merveilleusement cette histoire à travers le récit multiple par écho, celui de sa défunte grand-mère Baba, puis de la vieille Grisha, une triple onde traversent l'espace des légendes, des secrets pour effacer l'oubli, construire un présent peupler des contes anciens pour ne pas oublier.
Il y a dans ce roman, une forme de poésie de la nature en couple avec ces êtres déchus de la communauté humaine, une tragédie sourde tinte l'invisibilité sombre qui se cache dans la beauté de l'amour s'évaporant de mots de la narratrice, orpheline, recueilli par la famille Illiakov, soignée par Olga, cette jeune femme traversant cette histoire avec Igor, c'est surtout ce petit rayon de soleil, réchauffant les morsures noires, cette ode naturelle de cet amour rare, Igor et la narratrice inondant le paysage d'un léger voile de douceur et de magie, de deux êtres attirés l'un à l'autre par une alchimie inconnue, seul le corps épouse les contours de cette attraction, l'âme fécond d'un silence coule vers cette destinée légendaire d'un amour pure où le passé vient renforcer cet amour des autres, un amour communautaire.
Nous pouvons avoir une double lecture de ce roman, un message de
Laurine Roux, de ces êtres différents, stigmatisés par la normalité, ces personnes vivant dans l'ombre, ces hommes et ces femmes dans la rupture des traditions, exposées à la folie humaine. Les orphelins abandonnés à leur sort lors de la guerre, dont nous ne savons rien, juste les dégâts qu'elle causa, ces enfants devenus des Invisibles, des parias, volant pour survivre, cachés pour ne pas être tués. Il y a aussi dans je le disais au préalable, ce camp de nomade, vivant le temps de leur spectacle sur la Terre-Morte, seul lieu octroyé par le village, l'eau non comestible, rendant malade chaque saltimbanques contagieux, mourant un par un, puis par la folie des habitants, les chassés, les massacrés, par bêtise et ignorance. Igor, Grisha, Tochko, Kolia et la narratrice errent dans cette terre comme des fantômes, ils sont prisonnier des autres, mais s'échappent de cette prison humaine par la liberté de leur vie, solitaires des autres, vivant en harmonie avec ce paysage, respectant l'autre.
Laurine Roux avec ce premier roman, enchante par une écriture douce et chantante, un style entrainant le lecteur dans un envoutement addictif, les personnages sont des fantômes d'un passé, animés par la magie de la narration fabuliste.