Il est des livres qui sont comme des cris trop longtemps retenus.
Des livres qui ressemblent à de longs sanglots et plus encore à des gémissements, à des râles qui se muent en hurlements.
Il est des livres dont les silences écorchent comme autant d'épines, des livres dont on ne sait plus quel est le feu qui les brûle et les consume, s'ils sont pétris de colère et de révolte ou de renoncement...
Il est des livres au creux desquels danse parfois un peu d'espoir, ou perce l'indignation. Des livres qui veulent donner une voix aux cris et aux silences. Une voix à la souffrance.
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Le Silence d'Isra" est de ceux-là qui grâce à un récit douloureux entre en résistance, chantant en creux le pouvoir libérateur de la littérature et des histoires.
Si je n'ai pas toujours trouvé la langue (la traduction) de ce très beau roman d'
Etaf Rum à la hauteur de la beauté de ses personnages et de son engagement, de la force de son sujet même, j'ai tout de même été happée et émue et poignardée par les histoires conjointes d'Isra et de sa fille Deya.
Isra n'est encore qu'une adolescente qui n'a connu que son bout de terre en Palestine quand en 1990 son père la marie à Adam qui vit à New-York avec sa famille, contrainte à l'exil par la situation politique tragique du pays. La jeune fille rêvait de cette vie américaine, imaginait un destin qui ne ressemblerait pas à celui de sa mère ou de ses voisines... Mais les rêves n'engagent que ceux qui y croient, pas vrai?
Deya a dix-huit en 2008, elle a grandi à Brooklyn, mais elle ne sait rien de New-York, ni de ses parents qu'elle a à peine connue. Ce qu'elle voudrait, c'est aller à l'université, être libre. Libre de fréquenter un autre quartier, d'autres gens, de voyager. D'aimer aussi peut-être.
Mais elle doit se marier. Question d'honneur et de tradition.
Grâce à une narration qui alterne les points de vue et les époques, "
Le Silence d'Isra" nous dévoile par bribes les vies de Deya et d'Isra, lourdes de silences et d'énigmes, jusqu'à l'ultime chapitre où chacune des pièces s'emboîtent pour nous révéler le motif qui unit ses deux femmes au-delà du lien de sang.
Comme un tapis qui se tisserai sous nos yeux, un tapis dont on suivrait les fils pour le comprendre enfin.
Comme Pénélope, l'amour en moins, comme un conte, la fin heureuse en moins.
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Le Silence d'Isra" est un roman qui se dévore fiévreusement, l'angoisse chevillée au corps et les sanglots dans la gorge, un poignant portrait de femme en même temps qu'un hommage bouleversant à la littérature et qui a le bon ton de ne pas sombrer dans le manichéisme, comme en témoignent les très beaux personnages d'Adam et de Farida, d'une richesse et d'une complexité rare.
Par ailleurs,
Etaf Rum a eu le talent et l'intelligence d'aller au-delà de la question de la condition de la femme et du poids des traditions en auscultant un autre sujet tout aussi douloureux: celui de la guerre, celui de l'exil, celui des gens qui ne sont plus d'ici mais qui ne seront jamais de là-bas.
Cela n'excuse rien, mais ceci explique peut-être cela.