Usagi Yojimbo: Senso

Ce tome comprend un récit complet mettant en scène le personnage d'Usagi Yojimbo. Il contient les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2014/2015, écrits, dessinés, et encrés par Stan Sakai, le créateur du personnage. Ce récit est en noir & blanc.

L'histoire se situe 15 ans dans le futur, par rapport à celle de la série régulière d'Usagi Yojimbo. Elle s'ouvre alors que commence la grande bataille qui oppose le clan Geishu (avec à sa tête le seigneur Moriyuki, défenseur du shogunat), à l'armée du seigneur Hikiji qui a comploté des années durant contre le shogun. Usagi Yojimbo se bat sous les ordres du général Murakami Gennosuke pour le Shogun. Dans cette armée, se trouve également Jotaro le fils naturel d'Usagi, et Tomoe Ame.

Un engagement particulièrement meurtrier entre les 2 armées est interrompu par la chute d'un vaisseau de métal venu du ciel. Une investigation précautionneuse réalisée par le ninja Chizu permet de découvrir que ce vaisseau est celui de créatures ayant la forme de Tako (des pieuvres). Ces extraterrestres commencent à construire des tripodes.

Stan Sakai a créé le personnage de d'Usagi Yojimbo en 1984, et n'a cessé d'écrire des histoires autour de ce personnage depuis. Il bénéficie depuis 2014, d'une belle réédition de ses aventures publiées par Dark Horse, à commencer par Usagi Yojimbo Saga Volume 1. Il s'agit d'une série à destination d'un jeune public, qui a bénéficié d'un coup de projecteur bienvenu quand Usagi Yojimbo est apparu dans quelques épisodes du premier dessin animé des Teenage Mutant Ninja Turtles. Ce n'est pas la première fois que Stan Sakai introduit une composante de science-fiction dans sa série, puisque qu'Usagi avait déjà eu droit à des aventures dans l'espace, voir Space Usagi (1996).

Le tome commence par une introduction de 5 pages en bandes dessinées, au cours de laquelle Stan Sakai se met en scène face à Usagi pour expliquer son choix. Il indique qu'après avoir réalisé 47 Ronin (avec un scénario de Mike Richardson), il souhaitait revenir à son personnage, mais en incorporant un élément de science-fiction tiré de la Guerre des mondes (1898) de Herbert George Wells. Il ne s'agit pas d'une adaptation du roman, mais d'utiliser les martiens, en supposant qu'ils avaient déjà réalisé une mission de reconnaissance à l'époque d'Usagi.

L'histoire est donc telle que le lecteur peut s'y attendre : les martiens arrivent, construisent leurs tripodes, beaucoup de destructions massives s'en suit. Les héros finissent par triompher, mais en payant le prix fort. La narration est totalement linéaire, très facile à suivre. Les affrontements sont de grande ampleur. Stan Sakai nourrit le récit en allant piocher dans l'univers très riche d'Usagi Yojimbo.

L'auteur réalise des dessins au stylo, comme dans la série régulière d'Usagi Yojimbo. Il est visible qu'il s'applique à restituer les formes des armures médiévales, les constructions de l'époque, et les armes, avec le souci d'authenticité habituel de la série Usagi Yojimbo. Les pages de croquis en fin de volume permettent de prendre conscience du travail effectué pour donner toute l'ampleur voulue à la présence de ces extraterrestres et à leur capacité de frappe.

La première partie se déroule sur le champ de bataille, et le lecteur peut être un peu déçu de ne pas retrouver le degré d'application habituel de l'artiste, avec ces arrière-plans très vides. Les décors sont plus consistants dans la deuxième partie lorsque les tripodes se rapprochent de villes. Sakai donne l'impression de dessiner avec un trait un peu plus lâche, moins décidé, pour conférer plus de spontanéité à ses images. le résultat transmet à la fois un sentiment d'urgence, mais également une impression de finitions pas achevées. Sakai choisit de faire coexister des aplats de noir pleins, avec des surfaces noircies de coups de stylo multiples, laissant subsister quelques espaces de blanc (comme du crayonnage, mainte fois repassé), créant un décalage de traitement, visuellement déconcertant.

Du point de vue de l'utilisation des martiens de HG Wells, Stan Sakai a repris les vaisseaux, les tripodes et la forme des martiens. Pour le reste, il choisit d'en faire des extraterrestres à l'apparence littérale de pieuvres, sans capacité de combat physique. L'emprunt à HG Wells est fidèle, mais sans volonté d'interprétation, ou de second niveau de lecture, juste de quoi fournir des méchants qui veulent détruire les humains pour coloniser leur planète.

Cet auteur a pris le parti de réaliser des histoires tout public, ce qui a une conséquence directe sur sa représentation de la violence. Il ne montre ni giclée de sang, ni plaie béante. Sakai préfère montrer le coup porté, puis le personnage mort sur le sol, avec un rictus s'apparentant plus à une grimace (avec un léger décalage comique volontaire), qu'à une expression de souffrance, ou d'hébétude liée à une mort soudaine. Cette précaution visuelle pour ménager la sensibilité des plus jeunes lecteurs diminue la gravité des affrontements et des destructions.

Le lecteur apprécie plus l'utilisation que l'auteur fait de ses propres personnages. Il y a bien sûr quelques Tokage (lézards) qui se promènent. le bond de 15 ans dans le futur lui permet d'apporter une résolution à plusieurs antagonismes récurrents. Stan Sakai a choisi de montrer la mort de plusieurs personnages, ainsi que la révélation de secrets de famille. Shizo et le clan ninja Neko ont droit à plusieurs séquences. le sort de Jei et Keiko est réglé en 3 cases. Jotaro et Usagi ont enfin l'occasion d'évoquer le secret qui les lie. Il ne manque que Kitsune à l'appel.

"Senso" constitue une aventure d'Usagi Yojimbo, incorporant une invasion des martiens créés par HG Wells, avec des scènes d'action de grande ampleur, et l'apparition de plusieurs personnages de la série. Stan Sakai utilise ce dispositif des martiens pour élargir le cadre de la série en renouvelant la nature de l'intrigue, et en s'amusant à introduire quelques anachronismes sous la forme d'une technologie d'anticipation (beau clin d'oeil à une autre spécialité japonaise dans le combat final).

Le lecteur appréciera plus ou moins ce récit en fonction de ce qu'il en attend. S'il souhaite voir un film à grand budget, avec une issue possible pour la vie de plusieurs des principaux personnages, il appréciera cette aventure, malgré le rendu graphique parfois un peu lâche. 4 étoiles. S'il préfère Usagi pour la reconstitution historique et les saveurs complexes et délicates des personnages, il pourra regretter une utilisation trop primaire des martiens de HG Wells, ainsi que des destructions massives qui prennent le pas sur les nuances et la sensibilité.