Comment conserve-t-on un moment comme celui-ci ? Il n’y a pas d’aquarium, ni de cage à bonheur ?
On croit - à cause du poème de Prévert, sans doute - que le cancre est un doux rêveur, le cœur gros comme une maison, qui s'invente un monde merveilleux. On se trompe, le cancre est un résistant. Il ne sait pas à quoi, mais il résiste. Le cancre est un enfant perdu qui souffre en silence. Et cette douleur est si vive qu'il l'enfouit au plus profond de lui.
L'écriture m'aidait à calmer mes angoisses, à les cerner, à tenter de les décortiquer. L'écriture a accompagné mon analyse tout du long. Je poursuivais les séances sur des feuilles blanches, j'y rapportais ce que je comprenais, ou ce que je ne réussissais pas à expliquer. C'est sur du papier que je me colletais à la réalité. Un jour j'ai écrit : "l'écriture est la seule réalité acceptable pour un névrosé."
Tant que l'on utilise des béquilles, comment sait-on que l'on peut marcher sans ?
Par la suite chez Hachette, j'ai eu deux chefs. Un normalien supérieur, fin lettré, Catalan opiniâtre qui ne comptait pas sa peine. Il était devenu l'un des acteurs incontournables de l'édition française en Afrique. Secteur fondamental, surtout pour les Africains, dont il s'agit de réaliser les manuels scolaires. Usine à fric (Afrique!) pour les deux ou trois éditeurs qui se partagent le gâteau des subventions et des marchés d’état. Il avait su s'imposer sur ce marché où tous les coups sont permis. J'étais admiratif (et envieux) de son énergie qui lui venait plus de son tempérament de rugbyman catalan et roublard que de la rue d'Ulm et de son agrégation de lettres modernes.
"Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve
Se dire qu'il y a over the rainbow
Toujours plus haut le soleil above
Radieux
Croire aux cieux croire aux dieux
Même quand tout nous semble odieux
Que notre cœur est mis à sang et à feu
Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve
Avoir parfois envie de crier sauve
Qui peut savoir jusqu'au fond des choses
Est malheureux"
Paroles de Serge Gainsbourg
En revanche "guetter ce que l'on dit vraiment", voilà une bonne définition du rôle du psychanalyste ! Vous voyez juste également lorsque vous dites que les souvenirs sont des fictions, souvent éloignées de la réalité, de l'exactitude des manuels d'histoire, mais proches d'une vérité, la plus intime, celle qui exerce sur nous ses effets. En cela , nous sommes les romanciers de notre propre histoire et notre désir est engagé dans notre façon d'en faire le récit, dont il faut analyser chaque mot, comme Freud nous a appris à le faire avec le texte du rêve.
Propos de Philippe Grimbert glissés entre les pages.
" Tu sais, je me connais bien. Il ne faut pas se raconter d'histoires. Je n'y arriverai pas. On va s'arrêter là."
Oui, je me connaissais bien. L'échec aussi, je connaissais bien. Il y a avait dans ce sentiment quelque chose de familier. Une fois encore, je passais tout près. Le bonheur était à portée de main. Le sommet était là. Je le voyais. Une fois encore, il n'était pas pour moi.
C'était une vieille histoire.