A 27 ans, J.M. Savoye se résume ainsi : échecs à l'examen d'avocature, à l'examen de la vie conjugale, à l'examen de la vie en général ; un état des lieux qui tient en un mot : « l'aquoibonisme ». Que faire ? Se laisser porter, enlisé dans un quotidien gluant de médiocrité ? Savoye ne le supporte pas, il décide d'entamer une analyse afin de comprendre les mécanismes de ce que nous appellerons sa « névrose ». Il est alors amené à explorer un incontournable : la triangulation père-mère-enfant. L'accompagnement successif de quatre spécialistes lui permettra de faire peu à peu la lumière sur l'histoire familiale dont il hérite.
Les lecteurs qui se sont déjà frottés au divan apprécieront la finesse d'un récit sans concession, où il s'agit d'arpenter l'intime en ses recets, ô combien effrayant parfois dans ses remugles. Ils comprendront ce que peut représenter une telle épreuve, longue, parsemée de doutes, de révélations douloureuses, une épreuve chaotique où chaque étape finit par offrir une plus grande lucidité sur soi. Ceux pour qui la psychanalyse relève de « l'étrange » saisiront sans doute mieux la complexité d'un tel processus, qui fait songer à une longue, très longue gestation avant une nouvelle naissance à soi-même.
Autant vous dire que j'ai été happée par ce récit, cela pour plusieurs raisons.
Certaines, tout à fait personnelles, m'ont permise de m'identifier (toute proportion gardée) à la démarche de J.M. Savoye, et de mesurer d'autant mieux la distance « de sécurité » prise avec tout ce qui aurait pu noyer le récit dans la glu pathétique, l'intellect psy, le m'as-tu-lu-moi-j'ai-vécu... Ces écueils évités, le témoignage acquiert une force par sa sincérité juste et lucide.
Je ne pouvais être insensible à la façon dont Savoye s'empare du langage pour s'en faire un allié de taille. Il souligne par là combien nous sommes souvent dans l'ignorance de ce que nous disent les mots sur nous-mêmes. L'espace d'une séance devient le lieu où signifiants et signifiés s'accordent et se désaccordent, où il s'agit de saisir les liens qu'ils tissent afin d'ordonner notre puzzle intérieur. Savoye baigne dans le monde de l'écriture : ses ami(e)s, sa famille, son travail dans l'édition, ces « correspondances » le reliaient à l'écriture alors même qu'il peinait à trouver sa voix/voie. Il s'agissait d'apprivoiser l'alphabet intime, d'en accepter la lecture afin de mieux assumer ses désirs, délesté des filets familiaux.
Philippe Grimbert a été son troisième psychanalyste. Il intervient ponctuellement dans le récit pour souligner les moments importants de l'analyse, se faire l'écho de la démarche de Savoye du point de vue de l'analyste. On comprend ce que la relation entre le patient et son psychiatre a de particulier : transfert ou contre-transfert, peu importent au fond les mots savants qu'on voudra bien poser sur cette relation, si difficile à décrire à qui n'a pas vécu l'expérience. Cette relation investit bien plus que deux personnes, elle convoque à travers elles toutes les figures agissantes, tous les actants d'une vie. Certains voient dans cette collaboration à quatre mains un coup de publicité pour l'éminent écrivain-psychiatre monsieur Grimbert, je me contente quant à moi d'apprécier l'éclairage du spécialiste, qui a eu l'amitié de bien vouloir témoigner, à sa façon, de la progression d'un patient dont le récit est une excellente illustration de ce que peut être une analyse.
Finalement, l'ouvrage constitue pour J.M. Savoye à la fois un aboutissement et une nouvelle vie. Ce titre «
Et toujours elle m'écrivait », que je trouvais assez peu attractif à première vue, prend tout son sens à la lecture. Donner du sens. Avancer. Voilà qui résonne à mon oreille, tandis que j'arpente ces jours-ci des pistes enneigées, avec l'idée que nous avons tous un Mont-Blanc à atteindre.
Ah, Masse critique et ses surprises ! Merci donc à Babelio, et longue vie à l'écrivain J.M. Savoye !