À tous les sursaturés du vampirisme littéraire que le seul titre du roman aurait pu faire grincer des dents, rassurez-vous. On est ici très loin des canines étincelantes et des oeillades ténébreuses, mais englués dans la grisaille sordide d'un hiver parisien auprès de trois enquêteurs de la Brigade Criminelle. Plus qu'à éplucher les fèves et faire décanter le chianti, voici le résumé en apéritif :
Un jeune garçon assassiné et sauvagement mutilé. Un autre enfant disparu. Pour Alex, capitaine à la Crim', Giancarlo, son coéquipier et Malik, nouvelle recrue, un compte à rebours macabre est lancé pour retrouver la prochaine victime avant qu'il ne soit trop tard.
Hantée par son passé, Alex ira jusqu'au bout d'elle-même pour découvrir la vérité… dans toute son horreur.
Dès le prologue, le ton est donné : le passé s'immisce dans le présent tandis que l'illusion s'imbrique dans la réalité, tous s'empoignant et s'enchevêtrant dans un amalgame fébrile que caresse la démence du bout de ses ailes fuligineuses. Oui, ça met l'eau à la bouche. Mais rien de sucré en préambule, c'est l'acidité de l'instant et l'amertume d'antan qui définissent les deux intrigues qui guident le roman. Une narration hachée, une écriture sobre et directe leurs laissent toute la place, dans une recherche d'efficacité qui fonctionne à la perfection : on y mord à pleines dents malgré quelques longueurs, grâce à une rigueur certaine dans la documentation et des personnages soignés, bien construits, que l'autrice dote d'une existence, d'une évolution et d'une pensée particulière qui se découvre de chapitre en chapitre.
L'intrigue principale s'installe avec fluidité et une indéniable maîtrise, telle « une pieuvre aux multiples tentacules dont le corps était l'affaire Gabriel. » Au cours des pages, « la pieuvre semblait prendre vie sous [nos] yeux : pivotant sur elle-même, elle changeait de forme, tantôt développant un tentacule, tantôt le rétractant» jusqu'à une montée en intensité aussi brutale et inattendue qu'une calotte de mon adjudant-chef pendant la revue. le récit s'emballe, prend le mors aux dents, et gagne une addictivité à plusieurs tenants : la tension autour de l'enquête et l'adhésion au trio d'enquêteurs en premier lieu.
Mais, alors que les policiers que l'on suit et apprécie sont sur les dents, ils sont, à des degrés divers, aux prises avec bien des éléments perturbateurs, et surtout, envahis par les stigmates d'une affaire passée « lentement enroulés autour de son âme comme le lierre rampant s'enroule autour de l'arbre pour l'étouffer à petit feu ». Les éléments de cette histoire sont distillés tout au long de l'ouvrage par doses homéopathiques et parfois un peu artificielles, mais ne cessent de faire des croc-en-jambes au personnage d'Alex durant son investigation de plus en plus frénétique et hagarde.
C'est elle, la figure centrale qui entraîne le lecteur, « à l'instar d'une Alice aux pays des terreurs, (...) dans un puits sans fond. », vers un final qui prend son temps, s'installe pour mieux se dérober, dérape vers l'irréel et l'horreur, et tout à coup, alors que le cauchemar dévore la réalité...
Alors, l'apothéose d'un roman qui explose sur la frustration, l'implication et l'imagination du lecteur, c'est un peu comme le quadruple axel tornado pour certains, la serpentine au galop avec quatre changements de pied en l'air, ou le turbot cuit à l'arête sur mijotée de calamars et son consommé de Marennes d'Oléron pour d'autres. le coup de maître ultime des auteurs de polar, en somme.
Mais, là, moi, parvenue à la dernière ligne de la dernière phrase de la dernière page, je me suis dit : « ah ben, m'en manque un bout. » J'ai relu les chapitres précédents, vérifié mon fichier de lecture sous diverses applications, comparé le nombre de pages de ma version avec d'autres, re-relu les dix chapitres précédents, mais « ah ben m'en manque pas de bout en fait, oké ». Et ce fut tout.
Tout s'était essoufflé comme un patineur asthmatique durant sa course d'élan, avachi comme un encolure rosse, flétri comme un calamar trop mijoté. Toute envie de bâtir des hypothèses pour conserver la saveur de l'oeuvre s'était dissipée, et il n'était pas plus question de décortiquer le roman pour comprendre cette fin que de démonter ma machine à laver pour retrouver le binôme d'une chaussette esseulée. Ne demeurait qu'un relent fade.
Certes, peut-être ai-je la dent dure. Après tout, au cours de mes investigations pour déterminer si, oui ou non, m'en manquait un bout, j'ai croisé de nombreux commentaires de lecteurs qui saluaient le dénouement de
la Dernière Morsure, aussi je vous invite à vous faire votre propre opinion et à y goûter vous-même.
Tom Larret.
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