En 2014, la notion de détresse, mentionnée dans la loi d'origine, a été supprimée. François Fillon s'est indigné, y voyant un risque de banalisation de l'avortement. J'ai pensé alors : François Fillon, ce corps, le mien, celui d'autres femmes, n'est pas le vôtre. Ce qui se passe a l'intérieur de ce corps ne vous concerne pas. Vous n'avez aucun droit moral, aucun droit de juger.
J'attends, je ne me souviens toujours pas de la date de mes dernières règles, c'était il y a si longtemps. J'ai peur, j'ai des doutes. La peur prend de plus en plus de place, j'en suis certaine, je suis enceinte. Je décide d'oublier. Ce n'est pas mon genre d'être enceinte, de ne pas choisir, de ne pas être libre.
Je ne lui dis pas qu'il était le premier, je ne veux pas qu'il n'ose pas, qu'il soit prudent, qu'il me croie maladroite, pudique. Il n'est que le premier d'une liste que j'espère longue.
Je peux l'Ecrire désormais, ton absence m'accompagne depuis trente ans.
Ton absence m'a permise être la femme libre que je suis aujourd'hui.
Sur le moment,je n'ai rien dit,et plus tard non plus,je n'en parlerai jamais à personne.
Ma mère est féministe, comme la sienne avant elle.
Elles se sont battues pour faire des études, pour travailler. Pour moi, féministe, cela ne veut rien dire. Je n'ai pas besoin de l'être.
Tous ces slogans des années 70 me paraissent datés. Acquis.
Le combat de ma mère me paraît achevé.
Nous sommes en 1984, la gauche est au pouvoir. La peine de mort a été abolie, la Fête de la Musique inventée, le CD, c'est promis, est incassable. Le Premier Ministre a trente-huit ans, le sida est pour moi une maladie aussi menaçante que lointaine, la révolution féministe est, je crois, achevée.
A la télévision, on regarde Apostrophes, Droit de réponse, et le Ciné-club de Claude-Jean Philippe. Enfin nous sommes tous intelligents et modernes.
Aujourd'hui ce monde dans lequel je vivais et que je croyais indestructible n'est plus. Confort, parents, appui, optimisme, foi dans le pouvoir et dans les femmes et hommmes qui l'incarnent - tout cela a disparu.
"Je peux l'écrire, désormais, ton absence m'accompagne depuis trente ans.
Ton absence m'a permis d'être la femme libre que je suis aujourd'hui."
J’ai dix-sept ans et j’ai un amant. Je ne suis pas amoureuse mais j’ai un amant.
Je peux l'écrire, désormais, ton absence m'accompagne depuis trente ans.
Ton absence m'a permis d'être la femme libre que je suis aujourd'hui.