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Critique de enkidu_


Pour un individu abonné - même de manière timorée - à la lecture des différents systèmes de la métaphysique orientale (Vedanta hindou, bouddhisme mahayana, wahdat-al-wujud en soufisme ou encore la mystique rhénane), cette longue élaboration n'est pas "originale", si ce n'est le but avoué de l'auteur de (re)formuler ces vérités qu'il admet principielles dans un langage "purement" philosophique, ou, du moins, déconnecté de toute transcendance (et ce que les "abonnés" pourraient regretter...).

Pour Schopenhauer, il existe la Volonté, le nouméne (le ding an sich, que Kant n'aurait pas correctement défini), et la multiplicité du monde phénoménal, soumis à l'espace et le temps, n'est que son "miroir" ; pour paraphraser dans les termes du soufisme, Dieu dit, dans un hadîth qudsî, "J'étais un Trésor caché ; j'ai voulu à Me faire connaître - et j'ai existencié les étants".

Cette Volonté étant "toute-puissante" et indéfinie dans son expansion - l'auteur prend l'exemple de la pesanteur -, elle est reflétée de la sorte dans tous les étants (même si il fait le lien avec les Idées platoniciennes, il critique le fait qu'elles ne s'extrapolent nullement au non-vivant) ; tout ce qui existe est soumis à cette loi cosmique, celle du théâtre des actions, mais Schopenhauer considère que l'homme est doté d'une "dignité" qui lui est propre, et qu'en possédant la possibilité de dépasser son mental, il peut, contrairement aux autres êtres, accéder à la connaissance de l'unicité du noumène, derrière la multiplicité du contingent - un Indien dirait de voir Atman par-delà le voile de Maya.

Pour se faire, Schopenhauer élabore une esthétique : celle-ci, à divers degrés de l'art (de l'architecture jusqu'à la musique, en passant par la tragédie), n'a pour téléologie que d'amener l'individu à se dépasser dans la contemplation, c'est-à-dire à devenir sujet pur, dépassant la dualité sujet-objet, qui participe du principe d'individuation (soumission à l'espace, temps et causalité, qui ne "touche" pas la Volonté, étant nouménale.)

Cela entraîne de fait une éthique, et c'est celle qui a sonne le plus "bouddhique" (même si, en définitif, elle est "universelle", car, en réalité, une) : l'homme qui atteint le degré de l'unicité, c'est-à-dire qui se défait de ses agrégats égotiques (ahamkara) et de son propre vouloir-vivre, voit la souffrance, joie, ... (tout cela est relatif) d'autrui comme les "siennes" (partant déjà du fait que lui "n'existe" plus en tant que "moi"). Il oeuvre alors pour la compassion cosmique (même là on a quelques gradations, la "justice" étant subordonnée à la "générosité" pure), envers tout étant, contrairement à celui qui "affirme" son vouloir-vivre, et devient une caricature de la Volonté nouménale dans son extension "oppressive", et l'individu ne fait que "renforcer" son individualité, son égoïsme. Toujours dans l'édification morale, ce n'est que tout naturellement que le philosophe nous demande de méditer sur les biographies des saints chrétiens et, plus encore, les sages d'Inde (dont il juge des actes, et non pas des raisons religieuses, qui ne l'intéressent pas - par exemple, il dit que la métempsychose, même si elle est "irrationnelle", revêt d'un caractère pratique assez exigeant, puisque certains pourraient dire qu'il n'est nul besoin de ne pas être mauvais - pour ne pas dire être bon ! -, si notre monde n'a pas de "valeur ontologique".)

Pour finir, ce n'est pas tellement un "pessimisme", et Schopenhauer réfute l'idée de suicide, en passant, même si l'Allemand a introduit un "sentimentalisme", que découvriront des Friedrich Nietzsche ou René Guénon ; on a aussi accusé les bouddhistes de "pessimisme", mais ce serait plutôt un "réalisme", en ce que dukkha, qu'on traduit malencontreusement par "souffrance" mais qui serait plutôt le désir-de-désir ou l'alternance causale et sans fin (samsara) du bon et du mauvais (comme le dit Michel Hulin), ou, plus caricaturalement, qu'on vieillit, tombe malade, ... est tout simplement la "réalité" du monde phénoménal (précisons que seul le noumène est "réel"...). Pour défricher cette légende du "pessimisme" (pour ne pas dire "nihilisme" !) bouddhique, se référer à Julius Evola dans "La doctrine de l'éveil" ou Alexandra David-Néel et son "Le bouddhisme du Bouddha".
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