Demain c'est loin

Si on proposait aux gens de pouvoir tarter impunément quelqu'un dans leur vie, je parie qu'il y aurait pas mal de banquiers qui s'en prendraient une. Y aurait des assureurs, des députés, peut-être un ou deux chauffeurs de taxi, mais il y aurait surtout des banquiers. C'est pour ça qu'ils embauchent que des têtes à claques pour ces jobs, ça doit être un prérequis.

Imaginez la tête des gens dans la boutique d'à côté quand ils ont débarqué avec leur Kalachnikov en travers de la gueule en demandant si c'était bien ici, Charlie Hebdo. Celui qui a ouvert a dû se faire dessus et leur indiquer sans hésiter le bon numéro de la rue. Je me demande d'ailleurs ce que j'aurais fait, dans la même situation. Pas grand chose. Et tous ces gens qui, après coup, ont mis "JE SUIS CHARLIE" sur leur Facebook et brandi des pancartes "MEME PAS PEUR" dans leurs manifs de résistance ? Qu'auraient-ils fait ? Il auraient dit "Oui, c'est ici", préférant mourir pour la liberté d'expression de Cabu ? Je n'en suis pas certain.

On est parvenu à leur faire croire que s'ils sont dans la merde, ce n'est pas à cause de ceux qui ont tout le blé, non, c'est à cause de ceux qui n'en ont pas du tout. Dingue ! Ils ont gobé ça tout cru. Ils gobent tout, de toute façon. Y en a jamais aucun qui s'est dit : Tiens, je vais aller péter la gueule à ce député là qui me prend pour un jambon depuis cinq mandats. Ou : Tiens, ce chef au bureau, qui me sourit en me demandant comment a été mon week-end, gagne cinq fois mon salaire; Leur ennemi a été désigné, il est sale, il vit dans les banlieues, et il est pauvre.

Les gens n'ont rien contre les juifs mais ils n'aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu'il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons et c'est ça qu'ils n'aiment pas : être comme des cons. Moi, les juifs, je m'en fous, comme je me fous des Japonais. Ils ont des mœurs et des fringues pourries, ils mangent bizarrement, mais à part ça, ça va. Ils servent à rien, quoi, c'est tout.

Elle a aussi trouvé très étrange que le nom de la ville de Lyon soit barré en vert sur tous les panneaux de signalisation, ce que j'ai dû lui expliquer.
-C 'est à cause du foot.C'est les supporters de Sainté qui font ça.
- Mais pourquoi, je ne comprends pas.
- Le vert , c'est leur couleur. ils mettent de la bombe verte sur Lyon, l'OL, quoi
. Cherchez pas , c'est des cons. Les vrais singes, ils sont pas à Saint Martin [c'est un zoo], ils sont à Geoffroy Guichard.

La France me manquait, le sol, le climat, les odeurs, les enseignes connues des magasins, les stations de radio et les gueules de cons dans le métro, tout ça, ma baguette, mon demi au comptoir et n'importe quelle bavette-échalotes d'un bouchon passable du Vieux Lyon. Ma patrie. Ce mot prenait un sens. Je crois que j'ai compris ce que c'est d'être français quand j'ai quitté le pays.

Elle s’est dit que j’appartenais à une race de bêtes, une race de gens capables de danser sur le cadavre encore chaud d’un adolescent pour négocier un prêt. Ce qu’elle ignorait, c’était qu’un Ibrahim, un Saïd ou n’importe lequel de ses cousins aurait dansé sur son cadavre à elle pour à peine cent euros. Parce que l’argent c’est quelque chose, alors que les gens, c’est juste quelqu’un.

On est parvenu à leur faire croire que s'ils sont dans la merde, ce n'est pas à cause de ceux qui ont tout le blé, non, c'est à cause de ceux qui n'en ont pas du tout. Dingue ! Ils ont gobé ça tout cru. Ils gobent tout, de toute façon. Y en a jamais aucun qui s'est dit : Tiens, je vais aller péter la gueule à ce député, là, qui me prend pour un jambon depuis cinq mandats. Ou : Tiens, ce chef au bureau, qui me sourit en me demandant comment a été mon week-end, gagne cinq fois mon salaire. Leur ennemi a été désigné, il est sale, il vit dans les banlieues, et il est pauvre. Il se goinfre tellement d'allocs que ça gèle les salaires. C'est à cause de lui... Quoi ? . . . Les actionnaires ? Ah non, ça c'est pas pareil, ferme ta bouche et bouge de là. T'es pas content ? T'avais qu'à mieux bosser à l'école. Pis c'est pas de notre faute si tu t'es pas retrouvé dans la bonne couille.

Mais, attention, pas une piscine normale, non : c'était un couloir de piscine. Deux mètres de large, à tout casser, et vingt de long. Je me suis planté devant le bassin, parfaitement incrédule et incapable de comprendre le pourquoi de ce que j'avais sous les yeux. J'ai dû faire une tête d'abruti, car Juliane m'a demandé ce qui n'allait pas.
- Moi, ça va, c'est le mec qui a fait cette piscine qu'à un putain de problème, vous trouvez pas ?
(...)
- Mais enfin, François, c'est une piscine pour faire des longueurs. C'est fait exprès. Vous plaisantez ?
- Une piscine pour des longueurs ? Allez, arrêtez...Vous vous foutez de ma gueule. Une piscine, ça sert à faire le con, ça sert à faire des bombes.
- Ah là là...les musulmans, vous êtes bien tous pareils : vous pensez qu'à faire des bombes.

Je n'ai pas d'enfant mais si j'en avis, je sais quelle consigne je leur donnerais: "Si quelqu'un te frappe, tu frappes en retour". Attention, il ne s'agit pas du tout de vengeance, de suprématie ou de celui-qui-a-la-plus-grosse. Il s'agit de communication primaire. Il s'agit de bien faire savoir à toute la jungle de la récréation qu'il y a un os, que ça répond, que ça mord, que ça pique, bref, qu'il vaut mieux éviter de chercher des noises. Il s'agit aussi de faire tomber la sentence sur le champ. Et puis c'est un message limpide, nul besoin de traducteur et aucun risque d'incompréhension.