AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Stefan Zweig est un de mes auteurs préférés. Je n'en finis pas de le découvrir, autant dans son oeuvre romanesque que dans ses biographies éclairées.
Bien sûr, Les derniers jours de Stefan Zweig, c'est elle aussi une biographie romancée, écrite du reste avec talent, érudition et sensibilité par Laurent Seksik, auteur que je découvre au passage. Une biographie romancée ne dit pas forcément toute la vérité, elle est par définition subjective, mais elle imagine tous les possibles qui viennent se glisser dans les interstices d'une existence, celle dont nous pensons connaître déjà dans les grands traits...
Ici tous les possibles sont dits dans le vertige des mots.
Que dire dans l'émotion encore palpable des dernières pages...?
Que dire sinon un chagrin immense qui m'a étreint au fil des pages de ce récit magnifique.
Stefan Zweig est déjà en exil, à Londres, lorsqu'il rencontre une certaine Lotte Altmann, qui a vingt-cinq de moins que lui. Elle est emplie d'admiration pour l'auteur. Mais celui-ci est marié. Lotte devient sa maîtresse. Et la fuite continue de se faire dans l'exil, New-York, puis le Brésil... Poser les valises dans la ville de Petrópolis à quelques encablures de Rio de Janeiro.
Nous sommes en 1942, l'exil fuyant la barbarie nazie dure déjà depuis neuf ans et Stefan Zweig s'est entre temps séparé de sa femme Frederike, restée à New-York, pour épouser la jeune et belle Lotte.
C'est Lotte maintenant qui dactylographie sur la vieille Remington chaque page rédigée de manière manuscrite par l'écrivain...
Le cadre est idyllique, la paix est ici présente, il suffirait d'attendre quelques mois encore pour espérer voir s'achever cette guerre devenue mondiale. La progression des Alliés semblent donner quelques notes d'espoir.
J'ai aimé une des premières scènes qui ouvre le livre. le nouveau couple découvre cette maison de Petrópolis qui les accueille provisoirement. C'est une scène banale qu'on a tous peut-être vécu après un déménagement, mais ici elle a une saveur toute particulière, une malle qu'on vide de ses livres, l'odeur des livres qui rappelle là-bas, sa demeure de Salzbourg, sorte de madeleine de Proust en exil et qui donne le vertige à l'auteur, comme une ivresse...
Et puis, il suffirait d'attendre que parvienne de Londres cette autre fameuse malle, qui contient une somme de documentations inédites qui lui permettra d'écrire enfin ce qui pourrait être son chef d'oeuvre, la biographie De Balzac ! Mais l'océan est aussi le théâtre de cette guerre... Et la malle n'est toujours pas parvenue à sa destination...
Avant cet exil, avant de fuir sa chère ville de Salzbourg, Stefan Zweig pensait que les livres allaient former comme un rempart contre la barbarie. Nous y pensons tous ici dans notre communauté de lecteurs. C'est parfois quelque chose qui nous anime avec ardeur.
Mais ses livres ont été brûlés là-bas, à Vienne ou Salzbourg.
Le chemin de l'exil emplit Stefan Zweig d'un terrible désespoir. Et la pauvre Lotte encore amoureuse, éprise de Stefan Zweig, se sent glisser, happée dans ce chemin désespérée, alors qu'elle voudrait exister par son amour, enflammer l'homme qu'elle aime, le retenir à la vie, lui redonner de l'espoir... Elle pense qu'il n'a pas le droit de se laisser abattre.
Dans cette errance, il se sent devenir comme une ombre sans racines.
Il se sent devenu comme un paria, un fuyard, un lâche, le dernier des hommes. Ses forces l'abandonnent. D'ailleurs, de grands écrivains comme Thomas Mann lui reprocheront son acte.
Il se sent devenu une sorte de vagabond hanté par l'absolu.
Sa rencontre avec Georges Bernanos lui aussi en exil est forte lorsque celui-ci lui dit " C'est dans cette clameur qu'il faut se faire entendre. Nous sommes des romanciers, nous avançons dans les ténèbres, guidés par notre seul instinct. C'est dans ces ténèbres qu'il faut éclairer les consciences. Aucun peuple ne peut se sauver lui-même. Cher ami, le monde a besoin d'entendre votre voix."
Mais ces mots ne suffiront pas...
Lors de ce fameux dimanche de 22 février 1942, sans doute plus rien ne les retient, lui et elle, au bord de l'abîme.
Ce que j'ai trouvé particulièrement émouvant, pathétique même, ce n'est pas le suicide de Stefan Zweig, qui relève d'un acte personnel, mais c'est le geste de Lotte, son sacrifice à ses côtés, qui souhaitera le rejoindre dans ce dernier voyage, sans doute afin de pouvoir exister à ses yeux, lui offrant ainsi un ultime geste d'amour, elle qui ne se sentait peut-être pas suffisamment regardé par l'homme qu'elle aimait durant cet exil partagé depuis tant d'années...
Ce livre est d'une inconsolable tristesse, écrit avec pudeur, émotion et justesse. Une clef supplémentaire pour continuer de cheminer dans l'oeuvre incontournable de ce très grand écrivain.
Commenter  J’apprécie          6614



Ont apprécié cette critique (60)voir plus




{* *}