Citations sur Le pousse-pousse (35)
Parmi les tireurs, les ennuis de chacun servaient de sujet de conversation à tous. Au coin des rues, dans les maisons de thé, dans les cours, chacun racontait, en l’arrangeant, sa petite histoire, qui devenait un bien public et se propageait comme une chanson populaire. Siang-Tse était un campagnard ; il n’avait pas la parole aussi rapide que les citadins. Il n’avait d’ailleurs aucune envie d’imiter ces mauvaises langues. Son histoire, il la gardait pour lui-même.
Siang-tse avec qui nous allons faire connaissance n'a rien d'un chameau.
Siang-tse n'en ignorait pas le danger. ; les pauvres ne souhaitaient pas plus la guerre que les autres. Cependant, elle ne signifiait pas forcément la malchance pour eux. Car, en temps de guerre, c'étaient les riches qui avaient le plus à craindre. A la moindre alarme, ils ne songeaient qu'à se sauver. Mais ils ne pouvaient pas courir, alourdis qu'ils étaient par les richesses qu'ils traînaient avec eux. Ils étaient forcés de faire appel à d'autres mains et à d'autres jambes pour porter leurs coffres et valises, pour transporter toute la tribu. Dans ce genre de cas, on s'arrachait ceux qui vivaient de leurs jambes et on les payait un prix d'or.
Après deux ou trois semaines , il avait les jambes définitivement entraînées. Il trouvait son style « pas si mal » en vérité. Le style, c'est tout le standing d'un tireur. Ceux qui ont les pieds plats et qui balayent le sol comme deux gros éventails de palmier , ce sont de nouvelles recrues venues de la campagne. D'autres, qui baissent la tête et qui font semblant de courir, alors qu'ils ne vont guère plus vite qu'un piéton, ce sont les vieux de plus de cinquante ans. D'autres enfin, qui sont expérimentés, mais démunis de force, adoptent un autre style : le dos courbé, ils courent en levant très haut les jambes ; chaque pas est accompagné d'un mouvement de tête. Ça fait de l'effet ; mais, en réalité, ils ne courent pas vite.
Comme il connaissait l'histoire de ce pousse, Siang-tse n'était pas très chaud pour l'acheter. Des pousses à vendre, on en trouvait partout; alors pourquoi précisément celui-ci, acheté grâce à la vente d'une fille et vendu à cause de la mort d'une femme ! Tigresse, elle, ne s'embarrassait nullement de ces considérations. Pour elle, l'essentiel était le prix.
Siang-tsé, le gaillard superbe, le tireur de premier plan, devint maigre et crasseux, et se rangea parmi les tireurs de la dernière catégorie.....
Autrefois il avait une conscience autrement plus noble de sa profession: il avait à charge une vie humaine!
Maintenant, un accident qui coûterait la vie à son client ne lui ferait ni chaud ni froid.Un homme, c'est fait pour mourrir, non!
Lui avec ses longues jambes, il faisait de grands pas.Les reins bien dressés, il courait sans bruit, sans agiter les brancards du pousse, de sorte que le client sur son siège, éprouvait une sensation de confort et de sécurité....
Mobilité, précision, élégance, tels sont les mots qu'on peut employer pour qualifier son style.
Courir vite sans donner l'impression de hâte , sans provoquer chez le client de l'appréhension, voilà une qualité rare...
Le chemin est semé d’embûches, mais l’homme a un cœur qui bat. Il doit lutter tant qu’il n’est pas dans un cercueil.
Lui, le malheureux, le déchu, l'"individualiste" qui croyait pouvoir réussir tout seul, quand donc serait-il enterré avec cette société cruelle et pourrie qui l'avait enfanté?
Dans cette cour misérable, habitaient une huitaine de familles. La plupart n'occupaient qu'une pièce. Ils s'entassaient à sept ou huit dans un sombre réduit. Ces pauvres gens faisaient toutes sortes de métiers : tireurs de pousse, colporteurs, domestiques, etc. Ils trimaient à longueur d'année pour assurer leur bol de riz.