La mort est une chose si cruelle, rien ne nous prépare à une telle implosion. Elle n'a aucune cohérence, ne s'inscrit dans aucune logique et aucune religion. Aucune culture ou aucune pensée philosophique ne peut nous préparer à cette douleur; La mort est un abandon barbare
Les larmes étaient restées à la lisière de mes yeux, sans couler, comme ces gestes que je ne faisais pas et ces mots que je ne prononçais pas. Je regrette de ne pas avoir eu la force de bousculer les portes des cages dans lesquelles nous étions enfermés. J'ai manqué de courage, je savais pourtant que je fabriquais mes regrets
Etre l’otage de ses souvenirs est une torture, ils ne servent à rien sauf à nous entraîner vers le passé avec nostalgie, parfois avec effroi.
Je viens d'un pays aux teintes ternes et je transporte en moi cette grisaille.
Mon fils…Je ne lui ai pas dit au revoir. La dernière fois que je l’ai vu, je lui ai seulement fait un signe par la fenêtre, parce qu’il était pressé et que je n’aime pas les cérémonies d’adieu. Quelle erreur ! Il faut toujours prendre le temps de serrer les gens qu’on aime dans nos bras quand ils s’en vont. Les sentir pour ne pas oublier leur odeur, surtout celle de la dernière fois.
Désormais ,je n'avais plus de famille. Peu importait le sol français. Tous les matins, un autre jour. Un pas vers l'avant ,modéré, pas trop rapide pour ne pas ressentir l'insupportable fugue du temps. Je n'avais pas fui. J'avais refusé de mourir, j'étais parti à la recherche d'une autre vie possible. J'avais réappris à vivre selon des règles simples. C'est ce qui arrive quand on ne veut pas mourir de chagrin, on cherche à respirer différemment ,moins profondément, en veillant à laisser les sentiments flotter à la surface.
Durant le vol, j'ai dormi profondément. Rien n'aurait pu troubler mon sommeil. Oubliant le petit filet d'air qui me glaçait le cou, mon mètre quatre-vingt-sept plié en quatre ,le dos courbé, les genoux au menton, je me suis réfugié, sans drogue, dans un sommeil sans rêve qui me coupa du monde. Au réveil ,je ne me souvenais plus de m'être endormi. J'avais fermé les yeux comme on ferme une porte à double tour, pour ne plus y revenir. Pendant douze heures d'affilé j'avais erré dans le néant.
Mon père était mort. J'entendis un long silence. Je murmurai : "Maman ?". Elle ne répondit pas. Peut-être pleurait-elle. Elle ne m'avait pas dit grand-chose, seulement quelques mots, et j'avais suivi ,sans réfléchir, tel un automate, la douceur de cette voix maternelle, inconnue jusqu'alors. Son écho avait frappé mon cœur par surprise et je n'avais pas pu y résister. Les milliers de kilomètres, les années passées ,les vies gaspillées, les cœurs piétinés, les souvenirs oubliés, tout cela n'avait plus d'importance. Ma mère avait besoin de moi. Je rentrais. Semblable à un chien sans orgueil qui n'aurait même plus le réflexe de montrer les dents, j'étais soumis à elle, comme un animal à son maître.