Ce soir-là, je sus que ma vie allait devenir une fuite en avant, avec cette femme à mes côtés, que je serais le fou, le fugitif, celui que l'on regarde et de qui l'on se gausse, pour s'être mis à l'intérieur d'une prison dont personne n'aperçoit le moindre barreau.
Méfiez-vous, dit Vladimir, l'amour est souvent une très petite chose que vous n'apercevez pas, parce que vous cherchez l'invention grandiose construite pendant votre enfance, et qui n'existe pas ... Mais la très petite chose, un jour envahit tout ...
"Vos test HIV, pour vous et votre amie, sont négatifs", m'annonça le docteur Ferguson. Je lui avouai que j'avais surtout peur, depuis quelques semaines, d'avoir attrapé le sexe comme maladie transmissible. "Cette fille est un virus, insistai-je auprès du docteur Ferguson, elle est en train d'atteindre mes défenses immunitaires qui, comme vous le savez, sont importantes chez les écrivains... La drogue, l'alcool, le Grand Nord, la Collaboration, rien ne les effraient ils se sortent de tout ! Mais le sexe, docteur, en plein siècle sida, suis-je anachronique ?"
Comme souvent, le docteur Ferguson ne répondit pas à ma question, me posa une perfusion et me demanda, en échange, de me réhabituer à écrire des romans plutôt que d'essayer de les vivre.
Depuis le départ de Justine, je m'endormais le soir avec une bouillotte.
Lui apprendre à puiser dans son expérience ce qui fait mal et ce qui fait bien ? Lui demander pourquoi elle sait si bien aimer avec son corps et si mal avec sa vie ?
... - Je ne suis pas très intelligente, peu cultivée, je t’ai trompé. En fait, je ne suis pas ta femme idéale. Pourquoi es-tu avec moi, tu en parles avec les autres, mais à moi, tu n’en parles pas.
- Parce que tu es le monde tel que je ne l’avais pas imaginé… Et si je ne t’avais pas rencontrée, je serais incomplet et infirme de ce qui me serait demeuré caché à jamais, inculte moi aussi de cette partie des choses qui font souffrir, donnent du plaisir et posent au cœur les justes questions
... j'ai l'impression d'avoir une truelle en main, quelques pierres, le projet étant de bâtir une cathédrale.
L'oubli, c'était cela, un trou noir où les amours passées, lasses de rayonner, se referment sur elles-mêmes pour disparaître à jamais.
… Mais elle ne veut rien. Est-ce que tu comprends que c’est ce qu’il y a de pire ? Elle ne te veut rien. Ni ta mort, ni ta vie. C’est une fille qui se promène dans l’existence, sans repères, sans mémoire, qui passe d’un monde à l’autre comme si rien jamais ne communiquait et qu’il s’agisse à chaque fois d’un jeu nouveau. En fait, elle ne veut aucune histoire et ne passe avec toi qu’une succession d’instants qu’elle souhaite, tant qu’à faire, le plus agréables possible. Pas plus, pas moins.
Chacun pense à la fin, l'appréhende, mais les mots prononcés, les gestes assumés tracent déjà les points de suspension d'une phrase commencée.
Alors on imagine une strophe, un paragraphe, et c'est un roman qui s'annonce avec ses chapitres, ses drames et son point final.
Quelques centaines de pages plus tard, l'histoire est bouclée.
Les livres se referment et les amours se tuent.