Confinée comme tout le pays, Nesrine, diplômée de
Sciences Po et brillante journaliste quitte Paris pour retourner auprès de ses parents, près de la ville d'Apt, dans le Vaucluse,.
L'occasion pour elle de revenir sur son parcours, son histoire et dresser un constat doux-amer sur les «
illégitimes », ceux qui ne sont pas issus des classes dirigeantes et qui ne mangent pas « la culture directement depuis la bouche de leurs parents » (p23).
Dans un style clair et efficace, la narratrice décrit avec une certaine désillusion la construction d'un « transfuge des classes », qui, à cheval entre-deux, fait des va-et-vient entre son milieu d'origine (populaire) et sa nouvelle condition sociale. Un décalage entre deux mondes qui oblige à une adaptation continuelle et finalement, à ne jamais être complétement soi-même.
Plusieurs réflexions intéressantes sont à relever, notamment celle sur les différences sociales qui créent des inégalités et ce, dès l'entrée dans le système scolaire.
Le système éducatif est un moule assez rigide dans lequel seule la réussite est valorisée et où les inégalités sont les plus importantes. En dépit des moyens alloués aux zones dites d'éducation prioritaire (ZEP, ZEP+ …) et d'un programme national d'enseignement, un enfant scolarisé dans une banlieue pauvre et un autre dans une école du 5ème arrondissement de Paris n'aura absolument pas la même transmission d'enseignements.
L'environnement d'origine a une influence directe sur ce fait ; certains acquièrent un socle de connaissances et de références commun à la classe supérieur dès la naissances, tandis que d'autres sont formés uniquement par l'école.
Dans le premier cas, l'acquisition d'un ensemble de savoirs, de savoir-être et de savoir-faire favorise les parcours d'excellence dans les grandes écoles jusqu'aux postes décisionnels dans une continuité naturelle, inhérente à la classe favorisée.
Ces différences creusent inévitablement les inégalités entre les classes mais est-il réellement possible de gommer ses écarts ?
Pour la narratrice, l'accès à Science Po a formalisé le concept de transfuge, ces « bugs dans la matrice » (p175), ceux qui n'ont pas reproduit le schéma social naturel, ceux qui, comme elle, font partie des quotas favorisant l'accès aux jeunes issus de la classe populaire. Comment trouver sa place alors que d'autres s'y glissent de manière si naturelle ? Comment se sentir accepté en tant que tel lorsque l'étiquette de l'exception, de la minorité est accolée à votre nom ?
A ce sentiment d'exclusion sociale et de ne pas être à sa place (la narratrice parle du syndrome de l'imposteur p.69), viennent se greffer d'autres facteurs, notamment celui des origines, une part importante dans la construction personnelle de tout individu.
Nesrine Slaoui dit« L'ascension sociale exige un abandon d'une partie de soi-même mais renoncer à ma classe et à mon appartenance ethnique, la violence serait trop grande » (p.47).
Néanmoins, pour accéder à la classe supérieure, il faut pourtant se couler dans le moule, acquérir les mêmes connaissances, suivre les mêmes parcours d'excellence, adopter un mode de vie similaire, confirmer une culture générale commune d'une classe dirigeante comme étant celle à avoir et à valoriser, créant ainsi, une voie royale de réussite pour une catégorie ciblée.
Derrière ce témoignage d'une réussite, difficile certes, mais d'une réussite tout de même, le constat est amer : quel que soit le chemin parcouru, les diplômes en poche, il n'est pas réellement possible de trouver sa place sans altérer une partie de soi. Illégitime.
Une lecture « coup de poing » qui amène de nombreuses réflexions sur la société actuelle, les inégalités sociales, l'hermétisme des milieux élitistes et la représentation des minorités.
Illégitimes ? Non, je dirais complétement légitimes ! Tous, autant que nous sommes, avec nos origines, nos prénoms, nos milieux, nos parcours, nos références culturelles, représentants de la société française. A nous de rendre cette diversité et mixité plus visible…
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